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Art et Culture

En privé avec Alain Gomis: ‘’Le Sénégal m’a accueilli et m’a reconnu comme cinéaste sénégalais’’
Publié le mercredi 8 mars 2017  |  Enquête Plus
FESPACO
© aDakar.com par Evrard Ouédraogo
FESPACO 2017 : "Félicité" de Alain Gomis remporte l`Etalon d`or de Yennenga
Samedi 4 mars 2017. Ouagadougou. Palais des sports de Ouaga 2000. Le long métrage `Félicité" du Franco-Sénégalais a remporté l`Etalon d`or de Yennenga qui lui a été remis par le président du Faso, Roch Kaboré, et son homologue ivoirien, Alassane Traoré, qui ont assisté à la cérémonie de clôture de la 25e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO)




Avec un deuxième sacre au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le réalisateur franco-sénégalais, Alain Formose Gomis, vient de rentrer définitivement dans l’histoire du septième art africain. Une consécration qui, dit-il, l’a surpris, non pas parce qu’il ne croyait pas à la force de son film, mais parce qu’il a gagné l’étalon, il y a 4 ans. Après son sacre, il s’est entretenu avec EnQuête pour partager avec nos lecteurs sa joie, le parcours du film, son écriture cinématographique en général, ainsi que le financement de ‘’Félicité’’ qui lui a permis d’être encore ‘’Etalon de Yennenga’’.

Que ressentez-vous après votre sacre ?

Je ne réalise pas encore ce qui se passe. Mais, c’est un grand honneur pour moi de recevoir ce trophée pour la deuxième fois. C’est une très belle surprise, je n’y croyais pas du tout. Parce que je pensais qu’il allait vouloir pousser d’autres talents et j’aurai trouvé cela tout à fait normal. J’étais prêt à me lever pour quelqu’un d’autre. Je suis très surpris, très content et très fier. Cela me permet de dire aussi merci, à tous ceux qui ont travaillé ardemment pour que ce film existe, au Sénégal et à Kinshasa.

Vous pensez continuer, dans les années à venir, à participer à la compétition ?

On va réfléchir à tout ça. L’idée n’est pas d’accumuler les trophées. On avait de grands aînés qui eux ne se présentaient pas à la compétition. L’étalon est d’une grande aide. Quand on l’a vécu une fois, on sait que c’est quelque chose qui vous propulse. Il faut aussi avoir le plaisir de voir d’autres vivre ça. C’est vraiment important. Je prends l’étalon comme un outil, un encouragement pour continuer à avancer.

Avec Souleymane Cissé, vous êtes les deux seuls réalisateurs à avoir remporté ce prix deux fois. Cela représente quoi pour vous ?

C’est un poids. Je ne sais pas. Là, je suis très étonné. Je suis un peu comme sonné. Souleymane Cissé est une légende. La comparaison n’est pas juste. C’est quelqu’un qui fait partie des grands créateurs du cinéma africain. C’est quelqu’un qui nous a dit, comme Sembène Ousmane nous a dit : ‘’Adressez-vous au monde ! ’’, ‘’croyez en vous ! ’’. C’est cela qu’il faut retenir et qu’il faut rappeler. Ce n’est pas seulement pour rester entre soi, mais dire : nous avons des choses à dire, à vous dire et à tous. Il faut retrouver la confiance en soi. Il y a des gens qui baissent les bras, comme s’il n’y avait plus rien à faire. Non ! Il faut prendre exemple sur les aînés qui se sont levés, par pour les regarder mais pour se dire que ça suffit de porter le tee-shirt. Maintenant, il faut se lever.

Comment est né ce film, ‘’Félicité’’ ?

Je voulais faire un film sur ces personnes que je côtoie, qui sont dans les quartiers populaires, qui ont cette vie qui est finalement la plus commune. Elles constituent la majorité de la population et qui, tous les jours, doivent se battre pour faire la journée. Je ne voulais pas le dire d’une manière miséreuse. Je voulais dire juste : ‘’je vous aime, aimons nous, vous pouvez vous aimer, c’est vous la vérité, c’est vous la vie’’. Il y a d’ailleurs un personnage du film qui le dit : ‘’Nous sommes la vérité, nous sommes les héros’’. Pour moi, c’était vraiment quelque chose d’important de dire ça. Il dit à l’enfant (Ndlr : c’est le fils de Félicité, héroïne du film), ‘’tu vas te battre, parce que tu n’as pas le choix, mais, je serais ton soldat’’. C’était cela qui comptait pour moi.

Le soir de la projection de ‘’Félicité’’, il y avait du monde au Ciné Burkina. Comment avez-vécu ces moments-là ?

Ce qui était agréable et très touchant, c’était de voir l’affluence. Malheureusement, beaucoup de gens n’ont pas pu voir le film, parce que la salle était pleine. Cela est toujours quelque peu flatteur pour un réalisateur, un producteur, après avoir travaillé. On est content. Ce sont aussi des moments de tension pour moi. On ne sait jamais comment les gens vont réagir. Le cinéma que je fais est assez particulier. Il appelle à des questionnements. Moi, j’aime ça. J’aime quand les gens se posent des questions. J’aime échanger avec eux, après. C’est toujours un plaisir pour moi de rencontrer le public. Avant la projection, je suis tendu. Après, je suis content de voir que le film est devenu concret, parce que les gens l’ont vu.

Y a-t-il des similitudes entre ‘’Tëy’’ et ‘’Félicité’’ ?

Dans ‘’Tëy’’, j’ai sorti une sorte de porte temporelle on va dire ; une façon de travailler sur la durée. Ce que j’ai continué d’explorer ici dans certaines parties de ‘’Félicité’’. C’est vraiment un moment où l’espace et le temps se sont ouverts.

Est-ce que les deux films dialoguent ?

Pour moi, après ‘’Tëy’’, j’avais envie d’en venir au tumulte. ‘’Tëy’’ parle de la paix. Il y a un moment, j’ouvre les yeux, je montre le film, je me dis attention, les gens qui sont autour de moi ne sont pas toujours prêts pour cette paix, il faut parler de leurs réalités, de leurs difficultés, de leurs guerres quotidiennes pour pouvoir aller vers la paix. Les deux films dialoguent comme ça.

C’est cela qui fait que, dans ‘’Félicité’’, même si on est dans la fiction, on sent le réel dans l’histoire contée et les images montrées ?

La bataille du cinéma, c’est la bataille de la représentation et c’est la bataille du réel. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la fiction télévisuelle nous a confisqué le réel. C’est comme si le réel est ce qu’on voit sur nos écrans. Et quand on voit que ce qu’on vit n’est pas le bon réel, alors on ne s’aime pas. On se fait violence et ce sont des problèmes même très sérieux à l’intérieur des familles. Quand on pense qu’on ne peut se réaliser et qu’on ne peut exister qu’en partant. Qu’on évolue dans une société dans laquelle 1% ou 2% ont réussi à s’en sortir, on a un gros problème structurel. Il est évident que les choses sont à l’envers.

Dans ‘‘Tëy’’ comme dans ‘‘Félicité’’, vos personnages sont très combatifs et ne voient pas en la mort une fatalité. Est-ce un de vos traits de caractère que vous reproduisez à l’écran ?

Je pense qu’effectivement c’est aussi quelque chose qui fait partie de ma culture. Même si ma culture est multiple. Je suis manjaque. Cela signifie aussi que, dans notre quotidien, la vie et la mort se mélangent de façon concrète. Au Sénégal, cette idée du visible, de l’invisible, de l’interprétation des mondes est différente d’une communauté à l’autre. Chacune dialogue avec ça. Mais c’est quelque chose qui fait partie de nos vies quotidiennes, qu’on n’est pas seuls, que les racines sont dans des espaces, dans des inframondes. Tout cela fait partie de notre quotidien. Il faut parler de tout cela.

Vos films sont oniriques. Quel message voulez-vous faire passer à travers le rêve ?

Ce n’est pas tant un message qu’un parcours. Je considère un film presque comme ce qu’on peut penser d’une initiation. Ce n’est pas tant qu’on vous le dise, mais que vous fassiez le parcours. C’est cela qui est important. Une fois que vous avez fait le parcours, peut-être que vous pourrez comprendre les choses. ‘‘Félicité’’ a besoin de faire un parcours pour accepter sa vie et pour s’accepter elle-même. C’est quelqu’un qui est au bord du renoncement. Elle pense que c’est trop difficile. Que cela ne vaut pas le coup de se battre pour ça. Elle s’est battue toute sa vie et finalement, c’est comme si elle a échoué. De partir de là pour revenir à la vie, il faut quelque chose. Il faut un parcours. Ce parcours-là, se situe dans cet espace-là, un peu dans le monde des rêves, dans le monde de la forêt où peut-être elle va se perdre, rester là-bas, renoncer à la vie. Comment, contre toute attente, la vie va venir la rechercher, c’est cela le parcours dont il est question.

Après votre sacre à la Berlinale, du côté de l’Europe on disait ‘‘le Français Alain Gomis’’. Au Sénégal, on parle du ‘‘Sénégalais’’ Alain Gomis. Au Fespaco, on parle du ‘’Franco-Sénégalais’’ Alain Gomis. Finalement, vous êtes de quelle nationalité ?

Je fais partie de ces personnes et on est de plus en plus nombreuses qui sont attachées à différents endroits. Si je dois dire les choses vraiment, je suis très attaché au Sénégal. Et je suis très attaché à la France. Avec cette dernière, je dirais que j’ai un rapport plus conflictuel, y compris à partir du moment où j’ai commencé à faire du cinéma. Le Sénégal m’a accueilli et m’a reconnu comme cinéaste sénégalais. La France, il a fallu qu’effectivement qu’il y ait ce prix à Berlin pour qu’à France 24, ils disent le Français (rires). Des amis m’ont appelé pour me dire : ‘’Ah bon tu as vu ? T’es devenu français !’’. Mais au fond des choses, ce qui m’intéresse, ma position en tant que quelqu’un qui appartient à plusieurs cultures, elle est quand même de mettre les gens en connexion, les unes avec les autres. Non pas de les opposer, mais d’essayer de dire, ce que vous vivez là, là-bas ils le vivent avec un autre langage. Il faut trouver des liens pour qu’on soit ensemble. C’est cela qui compte, mais pas les polémiques. Cela m’a un peu piqué aussi quand j’ai entendu ça. J’ai dit alors c’est maintenant qu’on me voit comme un Français.

Pourquoi le Fespaco et pas le festival de Cannes ?

Ce n’est pas rien si aujourd’hui on est au Fespaco. On aurait pu attendre Cannes. Tout le monde me dit toujours, vous avez déjà eu l’étalon, maintenant la prochaine étape c’est Cannes. Comme si c’était la panacée. A nous dire quels sont les endroits importants. Moi, je ne pouvais pas aller à Cannes, parce qu’il me fallait être là au Fespaco. C’était quelque chose qu’il m’était important d’affirmer. Le reste, ce sont des blagues. Il faut que les gens comprennent. Sur la sortie du film, j’entends des choses. Les gens disent pourquoi en France d’abord. Au Sénégal, on est en train de construire pas à pas l’industrie cinématographique et c’est difficile.

La sortie reste compliquée. On va le faire, dès que possible. Alors qu’en France, on est avec des partenaires qui travaillent sur cela, depuis 6 mois. On bosse, à la fin du film la sortie arrive et on n’a pas encore pu préparer l’exploitation et la distribution. On est toujours un tout petit en retard, à cause d’un manque de structures. Il faut vraiment que les gens comprennent que ce sont des choses qui se font pierre après pierre. Ce n’est pas un manque de volonté, mais c’est comme ça que cela se passe. On est en train de tout faire pour que le film sorte au Sénégal. La première projection pour l’équipe, c’était à Dakar. C’était une projection entre nous. C’était aussi pour remercier la direction de la cinématographie pour leur montrer le film. Elle nous avait soutenus.

Concernant ce soutien, comment avez-vous pu décrocher le financement, sachant votre nom n’était pas sur la liste de ceux qui ont reçu les financements du Fopica ?

Je dis merci, mais cela n’a pas été quelque chose d’unanime. Je vais dire les choses telles qu’elles sont. Dans un premier temps, je ne voulais pas faire partie de la première session. Je trouvais ça juste qu’elle soit ouverte. Je ne voulais pas entrer en concurrence, tout de suite. Je ne voulais pas qu’on me donne la subvention pour services rendus ou autre. Je voulais attendre la seconde pour déposer mon dossier. Sauf qu’elle tardait. Ce devait être une session, par an, mais il s’est passé plus de deux ans et demi et ça ne venait pas.

Il fallait qu’on y aille. La stabilité politique du Congo était menacée. On se rapprochait de la date des élections qui n’ont finalement pas eu lieu. Plus on attendait, plus on mettait le film en danger. On a posé cette situation au Fopica. Je leur ai demandé si on devait le faire sans eux. Mais, j’avais besoin d’eux. Je croyais en ce film et je leur ai dit qu’il fallait que le Fopica soit avec nous, parce qu’il pouvait leur servir de vitrine. Des gens étaient d’accord, d’autres pas. Il a fallu l’intervention du directeur de la cinématographie, Hugues Diaz, et du ministre de la Culture. J’étais surpris de voir certaines personnes qui étaient vraiment à nos côtés, au moment où on gagnait l’étalon, nous tourner le dos. Mais c’est la vie. C’est la comédie humaine. Je n’en veux à personne. Je ne m’attendais pas à certaines histoires, mais le film est là. J’espère que les gens sont contents qu’on ait pu mettre le nom du Fopica sur l’affiche.
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