Le procureur de la République Bassirou Guèye s’est prononcé hier sur pas moins de 7 affaires qui tiennent en haleine la République, lors d’une conférence de presse. Il s’agit, entre autres, du saccage de la mairie de Dakar, de l’affaire Ndiaga Diouf, de la caisse d’avance de la ville de Dakar et du meurtre de Fatimata Matar Ndiaye. Entre éclaircissements et menaces, le Procureur s’est montré incisif. Il récuse tout soubassement politique à ces dossiers.
Le procureur de la République avait hier beaucoup à dire. Dans un exercice, apparemment qu’il affectionne, Bassirou Guèye s’est prononcé sur toutes les affaires judiciaires qui mettent en ébullition le landerneau politique. Le ton ferme, il n’y est pas allé du dos de la cuillère pour parler de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Il a d’abord indiqué qu’il a reçu un rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) qui lui a demandé l’ouverture d’une information pour élucider la manière dont les fonds ont été gérés. Puisque l’IGE a relevé un montant de 2,830 milliards dépensé sans justification. ‘’Devant de telles recommandations, j’ai été obligé de saisir des enquêteurs. Et le dossier a été confié à la Division des investigations criminelles (DIC). Qui a commencé à mener ses enquêtes. Et depuis lors, on n’a plus le calme. On a traité la justice, le procureur, de tous les noms d’oiseaux. On a fait beaucoup d’amalgames’’, s’est indigné le procureur.
Bassirou Guèye de marteler que les faits sont simples. ‘’Dans cette affaire, la première question à laquelle il fallait répondre, c’est à l’assertion du DAF de la mairie de Dakar, qui est un proche collaborateur de Khalifa Sall. Qui a écrit aux inspecteurs généraux d’Etat ; qui seul devant les enquêteurs de la DIC et devant Khalifa Sall, en confrontation, a dit et répété : tous les papiers, toutes les pièces, qui ont été confectionnés sont faux. Et n’étaient destinés qu’à couvrir les dettes. Que moi DAF, je récupérais 30 millions que je remettais en mains propres à Khalifa Sall. C’est cela le problème qui n’est pas politique’’, a confié Bassirou Guèye.
Pas avare en révélations, le procureur a rapporté les déclarations du responsable des magasins. Une question simple lui a été posée : est-ce qu’il recevait, chaque mois, de 2011 à 2015, la valeur de 15 millions F CFA en mil et 15 millions F CFA en riz. ‘’De 2011 à nos jours, je n’ai pas reçu un grain de riz. Je n’ai pas vu un grain de mil’’ a été sa réponse. Et c’est un proche collaborateur de Khalifa Sall’’. Le procureur d’enfoncer le maire de Dakar : ‘’En outre, quand on dit que l’argent a été distribué, pourquoi donner en justificatif l’achat de mil et de riz ? Le problème se situe à ce niveau. On a dit que le GIE Tabar fournissait le riz et le mil. Le responsable a dit qu’il vend du café Touba et tire le diable par la queue. Sa sœur, assistante à la mairie de Dakar, a effectivement confirmé cela. Que toutes les factures qui ont été produites lui ont été faites sur la demande du DAF pour couvrir les montants de 30 millions par mois qu’on remettait directement au maire.’’
Le Procureur de conseiller à Khalifa Sall de justifier plutôt le montant de 2,830 milliards et non de vouloir taire le nom des bénéficiaires. ‘’Je dis devant vous et les Sénégalais que plus de 20 questions lui ont été posées par la DIC. Aucunement, il n’a été demandé au maire Khalifa Sall de donner les noms des bénéficiaires. Le débat ne se porte pas sur cela. Que 2,830 milliards lui ont été remis en mains propres par le DAF et qu’il doit se prononcer sur cela’’, a invité le chef du Parquet. Avant de révéler que les procès-verbaux de réception signés par le maire mentionnant que le riz et l’huile ont été produits ont été niés par le DAF.
‘’Je vais instruire une ouverture d’une information judiciaire pour escroquerie pourtant sur les deniers publics et faux et usage de faux, la semaine prochaine, à l’encontre de Khalifa Sall et autres. Il s’agit ici d’un exercice de clarification et non de justification, comme me le permet la loi, d’ailleurs. Je ne suis pas informé que l’arrestation de Khalifa Sall est imminente’’, a-t-il laissé entendre.
Saccage des locaux du PS : ‘’une affaire de droit commun’’
Pour ce deuxième face-à-face avec les journalistes, en l’espace de quelques mois, le procureur de la République est également longuement revenu sur les incidents à la maison du parti. Là aussi, il dit avoir actionné la Division des investigations criminelle (DIC) pour mener une enquête. Qui fut minutieuse et de qualité et a abouti à l’interpellation des sieurs Bira Karim Ndiaye, Abdourahmane Mbaye, Amat Diouf, Bassirou Samb, Bamba Fall et autres, inculpés et placés sous mandat de dépôt. L’enquête suit son cours. ‘’Ici, que n’a-t-on pas entendu ? Justice manipulée, justice politique, justice partiale. Alors qu’il ne s’agit que d’une affaire de violence dont certains ont prétendu être les victimes. La police en a été saisie pour élucider l’affaire. On a parlé d’acharnement, or là aussi, on peut dire qu’il s’agit d’une affaire de droit commun dénoncée par un citoyen qui s’est trouvé, pour l’occasion, être le secrétaire général du Parti socialiste’’.
‘’A la question que vous vous posez de temps en temps, je vais y répondre. Quand vous dites que plusieurs cas de violence ont été constatés dans certaines organisations privées, notamment au sein des partis politiques, et aucune personne n’a été arrêtée. Ma réponse est simple : c’est parce que je n’ai pas été saisi de ces affaires. Aucune plainte - je défie quiconque de me prouver le contraire - n’a été déposée par le chef d’un parti politique et d’une association pour se plaindre de violences’’, a dit le Procureur. Qui anticipant sur une autre question, a poursuivi : ‘’Vous pouvez me rétorquer de m’autosaisir. Mais, l’autosaisine doit reposer sur des éléments, des indices. Dans ce cas d’espèces, aucun indice, aucun élément ne m’a été conduit pour me permettre d’arrêter qui que ce soit. Et d’ailleurs, aucune victime n’a été signalée pour se plaindre de violences. Où est donc le caractère politique ? En quoi la justice a été manipulée ?’’
‘’Abdou Mbaye n’a pas été arrêté, encore moins gardé à vue’’
Le procureur Bassirou Guèye a aussi réfuté toute manipulation dans le dossier concernant l’ancien Premier ministre Abdou Mbaye poursuivi par son épouse. Selon les explications du patron du Parquet, le 10 décembre 2015, la présidente du Tribunal d’instance de Dakar l’a saisi d’une lettre pour qu’il débute une enquête, parce que Abdoul Mbaye, ayant attrait en justice son épouse Aminata Diack en divorce, a produit un certificat de mariage duquel il résultait que leur union a été scellée sous le régime de la monogamie avec séparation des biens. Alors que l’épouse a, elle, produit un certificat de mariage qui mentionnait une communauté des biens.
‘’Devant une telle situation, est-ce que la réaction du Parquet pourrait être autre que d’essayer d’élucider lequel des certificats est le bon. C’est pour cette raison que j’ai demandé une enquête. Abdou Mbaye n’a pas arrêté, encore moins gardé à vue. Et on a parlé d’acharnement. L’enquête suit son cours. On n’a pas parlé de faux commis par un magistrat ; de ratures ordonnées par un magistrat, comme on le dit aujourd’hui’’, a renseigné Bassirou Guèye. Selon qui, le juge d’instruction a entendu Abdou Mbaye en premier lieu, puis au fond.
‘’Jamais il n’a été dit qu’un quelconque magistrat a ordonné la rature d’une ordonnance, comme on le dit aujourd’hui. Le juge, après son instruction, a su qu’il s’agit d’une affaire de faux et de tentative d’escroquerie et renvoyé Abdou Mbaye devant le Tribunal des grandes instances de Dakar. Et là, on parle de politique, d’acharnement. Que voulez-vous ? Quand des citoyens saisissent le Tribunal pour ce genre de dossier, est-ce que le Procureur peut ne pas trancher ? Deux actes différents qui concernent un même mariage. L’un parle de séparation des biens, l’autre de communauté des biens, nécessairement, il y a un faux et il faut qu’on élucide. M. Abdou Mbaye, d’ailleurs, n’est pas la seule personne dans cette affaire. Pourtant, il y a une autre partie qui est silencieuse’’, a fulminé le magistrat. Qui précise qu’il a sur sa table une plainte avec constitution de partie civile déposée par M. Abdou Mbaye qui estime que c’est son épouse qui a fait le faux. ‘’Nous traiterons ce dossier. On parle de procureur manipulé, de juge d’instruction manipulé, de justice manipulée… Il n’y a absolument pas de manipulation, encore moins de politique, dans cette affaire.’’
‘’La famille de Ndiaga Diouf a besoin de justice’’
Dans l’affaire Ndiaga Diouf, le nervi du PDS tué le 22 décembre 2011, la chambre criminelle du Tribunal de grande instance de Dakar a condamné Habib Dieng, Barthélémy Dias et Babacar Faye à deux ans dont 6 mois ferme. ‘’Je fais appel à cette décision et bientôt le dossier sera jugé à la Cour d’Appel de Dakar. On parle là de politique, mais est-il politique de dire que Ndiaga Diouf est mort. Est-ce que je parle de politique quand je dis que Ndiaga Diouf est mort à la suite de balle qu’il a reçue. D’ailleurs, je n’ai jamais dit que la balle qui a tué Ndiga Diouf n’appartenait pas à Barthélémy Dias. Qui n’a pas vu des images à la télé montrant une personne tirant et dire que c’est lui qui a ouvert le feu. La famille de Ndiaga Diouf a besoin de justice dans cette affaire’’, a conclu le Procureur.
RAPPORTS DE L’OFNAC
Le Parquet instruit 12 dossiers
Hier, lors de son face-à-face avec les journalistes, le procureur de la République a été interpellé sur les dossiers de l’OFNAC. Bassirou Guèye a révélé qu’ils sont entre les mains des membres de la commission finance de son cabinet. ‘’Il s’agit de 12 dossiers. Je sais que beaucoup de bruits ont été distillés sur le rapport de l’OFNAC, mais je vous en parlerai. Vous verrez que c’est comme un mauvais gruyère ; il y a plus de trous que de fromage’’, a-t-il dit sur un ton moqueur. Sur l’affaire Thione Seck, il a soutenu n’avoir pas reçu une demande d’ouverture de scellés.
Ensuite, il a loué le travail des forces de l’ordre qui ont mis hors d’état de nuire des gangs qui semaient la terreur. ‘’Je les félicite, car elles ont fait preuve de bravoure, de détermination’’, a-t-il déclaré. Avant de mettre en garde les pourfendeurs de la justice et des magistrats : ‘’Il ne sert à personne de salir la justice. C’est un effet de mode partout dans le monde. Mais parfois les gens le font avec moins de violence. On injurie, on calomnie. Que cela cesse ! Je ne vais plus accepter, encore moins permettre à qui que ce soit, de quelque bord où il se situe, de continuer à invectiver les magistrats, à atteindre leur honorabilité, de continuer à jeter le discrédit sur eux. C’est terminé ! Il faut que cela cesse !’’