Le projet de «Pôle de développement de la Casamance » pose un certain nombre de questions préjudicielles auxquelles il faut trouver réponse. Quelle est la place réservée aux identités territoriales dans la mise en place du Pôle Casamance ? En attendant l’installation du Coordonnateur du Projet par le Comité de pilotage, pourquoi les régions de Kolda et de Sédhiou sont-elles toujours chevillées à celle de Ziguinchor ? Quelle est la pertinence de loger le Comité de pilotage de ce projet à la Présidence à Dakar, au moment où l’on parle de territorialisation des politiques publiques ? Comment résoudre l’équation de ressources qui sont pour le moment très limitées (il n’y a que 20 milliards F CFA) de manière à attirer d’autres bailleurs et partenaires ? Les vraies questions sont là et aucun accueil, fut-il princier, ne pourra les dissiper.
L’idée de regrouper les régions en pôle est une bonne chose, si cette notion renvoie à une impulsion ou une polarisation autour d’espaces économiquement viables, véritables leviers des politiques publiques au niveau local. Pour ne pas tomber dans le piège du politicien qui vend sa camelote, il y a lieu de s’interroger sur le « pôle Casamance ». Si l’on prend en compte quelques considérations techniques, l’hypothèse d’un flou territorial se dessine.
La territorialisation des politiques publiques est un concept assez chargé dans contenu.
L’idée de reconduire, de manière mécanique, les anciennes régions héritées de la période post-indépendance, en Casamance, doit être vite dépassée. La seule logique de rationalité territoriale et de viabilité des services publics ne doit pas constituer, selon les techniciens, un seul principe de gouvernance. Quid des identités territoriales dans la mise en place du Pôle Casamance ? La dimension évolutive que requiert le concept de territoire doit être prise en compte.
Or, dans ce nouveau pôle de la Casamance, seules les dimensions économique et administrative ont été prises en charge.
C’est l’erreur à ne pas commettre. La dénomination Pôle Territoire est un concept opératoire qui transcende la logique administrative. Les nouveaux concepteurs du Pôle de la Casamance sont plutôt dans une logique économico-administrative. La consolidation de la Paix, pour ne prendre que cet exemple, ne s’analyse seulement que l’angle d’une offre dans les domaines de l’agriculture, du transport, du développement local. Certes, la Casamance gagne au change avec une plus grande accessibilité aux régions du centre et du Nord. Ce qui, du coup, va favoriser un redéploiement de l’activité économique dans l’axe Bignona – Oussouye, avec un repositionnement économique de la zone du Kassa et du tourisme, mais aussi un rétrécissement sans équivoque de l’éloignement de l’axe Sédhiou-Kolda.
Pour rappel, deux volets sont en effet retenus dans le Projet pôle de développement de la Casamance (PPDC), dans le but de rentabiliser les potentialités économiques de la Casamance et spécifiquement, de soutenir les efforts déployés par le gouvernement pour accroître la production de riz et de mangues, entre autres.
Il y a d’abord les interventions de base qui doivent accompagner les activités de production. Il s’agit précisément des infrastructures routières, hydro-agricoles, commerciales, etc ; il y a le second volet qui concerne le soutien de la production économique.
Au-delà de positionner les dimensions économique et administrative dans le nouveau Pôle Casamance, il est important d’intégrer de nouvelles polarisations sociales dans le réagencement de l’architecture territoriale. De l’avis de certains techniciens de la décentralisation, la formulation d’une cohérence territoriale pour une plus grande lisibilité des échelles de gouvernance devra être envisagée de manière dynamique avec beaucoup d’audace et un grand sens de l’innovation.
Qui sera le Chef-lieu administratif de ce Pôle territoire qui abrite le Projet Pôle de développement de la Casamance ?
A moins de définir de nouveaux critères pour identifier le chef-lieu du Pôle Territoire. Il s’agira d’opérer des choix judicieux, en se libérant de la pesanteur des conservatismes régionaux, en identifiant dans le Pôle Territoire, l’entité qui combine, à la fois, plusieurs intérêts au sens pluriel.
Ce Projet Pôle de développement de la Casamance n’a pas encore jeté les bases de son décollage. Signalons qu’il interviendra dans une entité administrative qui n’est pas encore reconnue au Sénégal. Il se pose quelques questions préjudicielles.
Le Comité de pilotage n’a pas encore installé le Coordonnateur du Projet et les autres régions (Kolda et Sédhiou) sont toujours chevillées à la région de Ziguinchor. L’on a le sentiment que ce projet appartient à Ziguinchor plutôt qu’à la Casamance. D’ailleurs, son ancrage au sein de l’Agence régionale de développement (Ard) desserre les autres régions qui pourtant, ont aussi des agences régionales de développement. Pourquoi est-il implanté au sein de l’Agence régionale de développement de Ziguinchor ? Cela, visiblement, trahit les principes de l’autonomie des collectivités locales et de leur libre administration.
L’autre question majeure reste la coordination du Projet Pôle de développement de la Casamance. Quelle est la pertinence de loger le Comité de pilotage à la Présidence à Dakar, au moment où l’on parle de territorialisation des politiques publiques ? Il est saugrenu de voir les acteurs de Dakar se déplacer pour prendre des décisions importantes en Casamance, au moment où les acteurs territoriaux maîtrisent les questions de leur développement mieux que quiconque.
Contrairement au tintamarre de politiciens parfois en mal de popularité, les ressources de ce pôle Casamance sont très limitées. Il s’agit de seulement 20 milliards F CFA (40 millions de dollars), apportés en plus par un seul partenaire, boulimique, de surcroît, selon certains techniciens, dans ses méthodes. Il serait très encombrant, au point que les autres s’en méfient.
L’on comprend alors, pourquoi Macky Sall veut monter en première ligne pour inciter les autres bailleurs à venir en Casamance. Des sources très avisées sur les questions de développement local font état du caractère très partisan du Projet Pôle de Développement de la Casamance. Nous devons alors réfléchir sur l’alignement des partenaires technique et financier aux politiques publiques.
Le pôle Casamance, au-delà de ses domaines d’intervention, renvoie à un projet classique comme tout autre. Quid de son approche ? En quoi renvoie-t-il à la territorialisation des politiques publiques ? Qu’est ce qui fait sa particularité, si l’on sait que son instruction a été quasiment faite par les Experts de la banque mondiale ? La partie nationale n’ayant servi que de faire valoir.
Le Projet Pôle de développement de la Casamance doit constituer un véritable test pour l’Acte III de la décentralisation. Et Macky Sall devrait inviter tous les techniciens de l’Acte III à y concentrer leur énergie pour tester tous les outils qui seront prochainement étendus aux autres pôles de développement. Pour une cohérence dans la réflexion, si nous ne voulons pas patauger dans une sorte d’auberge espagnole.
Reste à présent de remplir les préalables indispensables à une bonne impulsion du développement territorial. Tous les acteurs au développement sont interpellés.
NOTE DE CADRAGE DE L’ACTE III DE LA DECENTRALISATION - Le projet de développement territorial de l’État en Casamance
Comme annoncé depuis le 27 juin 2013 à Ziguinchor, le Chef de l’Etat a instruit « de préparer un cadre adéquat pour la territorialisation des politiques publiques et des offres de services publics; et de diligenter l’élaboration et la mise en œuvre du projet territorial de l’État en Casamance pour faire de cette région le territoire test de cette nouvelle politique ». Ce cheminement est corrélé à l’acte III de la décentralisation qui cible la territorialisation du développement en renforçant les compétences des collectivités locales.
Ainsi, dans la perspective de refondation majeure de l’action territoriale de l’Etat, en particulier en Casamance comme pôle pilote, l’objectif poursuivi par le Chef de l’Etat est-il de promouvoir une nouvelle modalité d’intervention sur ce territoire afin de : mettre en évidence les grands enjeux de la Casamance naturelle ; fixer les objectifs stratégiques qui y sont associés et enfin définir la stratégie à mettre en œuvre pour atteindre les résultats escomptés.
Cette manière de faire permettra d’unifier l’organisation en globalisant la prestation, de décloisonner les politiques publiques et d’asseoir l’inter ministérialité.
Fruit d’une volonté collective de changement, le pôle Casamance est l’expression d’une vision prospective partagée et qui met au cœur des processus à engager la construction de la cohérence territoriale, la lisibilité des échelles de gouvernance entre l’Etat et la Collectivité territoriale et la valorisation de mécanismes de financements adaptés.
Global dans son approche et intégrant les relations avec les espaces transfrontaliers, le Projet de développement territorial de l’Etat en Casamance mettra en jeu différents secteurs et acteurs, s’inscrira dans une perspective à long terme et devra permettre, dans le cadre d’une démarche de suivi et d’évaluation continue, des adaptations régulières. Il s’articulera autour des principes suivants :
- La centralité du territoire comme un épicentre fédérateur du système socio-économique qui s’appuie sur ses forces internes (attractivité, dynamisme local, ressources, coopération, compétitivité, structure de l’économie…) ;
- L’approche projet avec la définition et la mise en œuvre de « projets de territoires » et de « projets étatiques de territoires ».
- La contractualisation comme modalité de développement territorial. Au total, la philosophie qui sera adoptée peut être résumée par « un territoire, un projet, un contrat ». Ce triptyque se construira autour du diagnostic partagé/solutions partagées, de la prospective territoriale, de l’identification du projet de territoire (cadre fédérateur et de mobilisation des acteurs territoriaux), de la contractualisation et du suivi-évaluation.
1. Lancement processus de création de l’Entente Casamance
La rencontre tenue entre les acteurs des trois régions, le 17 décembre 2012, à l’Hôtel Kadiandoumagne de Ziguinchor, sous la houlette des Présidents de Conseil Régional, indique l’impérieuse nécessité de créer l’ « Entente Casamance » en vue de placer les acteurs des trois régions qui la composent sur le chemin de l’anticipation en préparant le portage territorial du projet de Monsieur le président de la République consistant à faire de la Casamance un pôle de développement pilote pour opérationnaliser la territorialisation des politiques publiques.
Sur la période comprise entre janvier et Février 2013, chaque région a partagé l’initiative et le projet de Convention “Entente Casamance” avec les conseillers régionaux et les chambres Consulaires. Ainsi, les Présidents de Conseil ont reçu l’autorisation de signer le document et d’engager la procédure de reconnaissance (approbation) par les autorités compétentes. Le 18 février 2013, les trois régions ont procédé à la signature de la Convention “Entente Casamance” qui a pour objet principal le renforcement des liens de solidarité entre les trois régions en valorisant l’intercommunalité fondée sur le développement territorial de la Casamance naturelle et le développement des synergies nécessaires à la prise en charge efficace et efficiente des besoins des populations.
2. Domaine de coopération
Les trois Parties, dans le cadre de leurs attributions, s’engagent mutuellement au travers de cette convention à coopérer dans les domaines suivants : Valorisation du capital humain inter-régional de la Casamance en construisant : i) une capacité de coexistence harmonieuse et mutuellement bénéfique au sein des communautés, entre les communautés et leur environnement; ii) des systèmes de formation professionnelle et de recherche orientés vers le développement de capacités locales d’optimisation durable des ressources naturelles et physiques.
Encadré 1. La capacité de coexistence harmonieuse et mutuellement bénéfique est articulée au besoin de renforcer et de valoriser l’identité de la Casamance à travers son patrimoine historique et culturel et le traduire en puissants leviers d’intégration institutionnelle et sociale avec les régions limitrophes et le reste du monde ; la promotion d’un évènement culturel biannuel est une option envisageable. L’adéquation des systèmes de formation professionnelle et de recherche sont articulées au besoin d’adopter l’approche territoriale en vue de développer les filières vertes porteuses et les métiers associés ; la création de centres de formation professionnelle inter-régionaux ancrés sur la demande des territoires reste une option louable.
Promotion d’un Label Casamance agro-alimentaire et touristique fondé sur les valeurs de culture et de terroir en construisant un environnement des affaires qui ferait connaître les Chambres Consulaires de la Casamance et les faire reconnaître comme des interlocutrices dignes de confiance.
(RF Note de cadrage)