Comme si de rien n’était, bien des festivaliers continuent à aller voir des films dans les salles. Pourtant, il y a deux jours, des terroristes ont attaqué deux postes de police de deux localités situées à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso.
Mardi passé, le réveil a été brutal pour certains invités du Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Aux aurores, ils ont appris dans les médias deux attaques terroristes. Des djihadistes auraient pris d’assaut et saccagé les postes de police Baraboulé et Tongomayel. Deux villes situées à 200 km de la capitale Burkinabé. Cependant, même si elles surviennent en plein festival, elles ont beaucoup plus surpris qu’elles n’ont ému. Le fait qu’il n’y ait pas eu de victimes en est peut-être la raison.
La distance aussi peut expliquer cela. Rien à Ouagadougou n’a visiblement changé hier. Les gens ont continué de vaquer tranquillement à leurs occupations. Il n’y a pas eu de dispositions particulières prises dans la capitale. Au village du Fespaco, il y a autant d’hommes de tenue qu’il y en avait depuis l’ouverture. On les voit partout. Cependant, dans les salles de cinéma, les fouilles sont devenues plus rigoureuses. Avant, on jetait un regard assez pudique dans les sacs des femmes et certains ne les faisaient pas passer dans le détecteur de métaux. Depuis hier, les forces de l’ordre vident presque les sacs et le passage dans les portiques détecteurs de métaux est devenu obligatoire pour les femmes.
Au centre culturel français de Ouagadougou, la sécurité semble être aussi renforcée. Normal, dirait-on puisque les espaces où se retrouvent les étrangers sont souvent les cibles d’attaques terroristes. Ici, les fouilles à la porte sont aussi obligatoires. Devant la salle de cinéma, un peu moins d’une dizaine d’hommes de tenue filtrent les entrées. Ils portent des gilets pare-balles. Dans la salle de cinéma qui est en plein air, des hommes armés de kalachnikov, bien en vue, sont assis de part et d’autre. Au Ciné Neerwaya, le dispositif sécuritaire des premiers jours est maintenu. Rien n’a changé peut-être parce que comme le dit le ministre de la Sécurité publique du Burkina Faso : ‘’Nous terrorisons les terroristes.’’
Les festivaliers y croient malgré ce qui s’est passé dans le Nord du pays. A 15h 30 hier, le Ciné Burkina était bondé alors que le film prévu ne devait passer que 30 minutes après. ‘’La forêt du Niolo’’, réalisé par le Burkinabé Adama Roamba, était à l’affiche. Les cinéphiles présents étaient de différentes nationalités. Ils faisaient déjà la queue sous le chaud soleil. Parmi eux Marcel et Aliya. Ils viennent de la Belgique et sont en vacances à Ouagadougou. Ils font, depuis le début du Fespaco, le tour des salles noires à la découverte du cinéma africain. Ils sont au courant de ce qui s’est passé dans le nord du pays mais n’ont pas peur du tout. ‘’Nous venons de Belgique. Nous savons ce que ces gens sont capables de faire. Nous savons aussi qu’ils procèdent ainsi pour faire peur aux gens. Et c’est tout ce qu’il ne faut pas’’, disent-ils sur un ton désintéressé. Sans même qu’on ne l’interpelle, Clélia, une Française d’une soixantaine d’années balance : ‘’Pourquoi avoir peur ? Pourquoi arrêter de vivre ? On est là pour voir des films, personne ne peut nous empêcher de le faire tant que les salles sont ouvertes’’.
‘’Pourquoi arrêter de vivre ?’’
Après la projection de 16h, celle de 18h 30 mn a aussi refusé du monde. ‘’L’interprète’’, un film ivoirien, était à l’affiche. Au même moment passait au CCF ‘’Frontières’’ de la réalisatrice Burkinabé Apolline Traoré. Ici aussi s’est formée une longue queue pour la séance de 18h 30. Il y a plus de Blancs que de Noirs. La plupart sont des touristes. ‘’Mon père s’est un jour fait enlever dans un pays. Quand il a eu les nouvelles ce matin, il avait peur pour moi. Je l’ai rassuré et lui ai fait comprendre que ce qui lui est arrivé ne m’arrivera pas forcément’’, raconte Mélanie entourée de ses amis. Son détachement contraste mal avec l’appréhension de Landry Sawadogo. ‘’Ce n’est pas la première fois que des attaques de ce genre surviennent dans le nord du Faso.
Il paraît que c’est un groupuscule d’hommes qui est derrière. Leur mode opératoire est le même. Ils attaquent des postes de police. Ce qu’ils font ressemblent plus à du pillage qu’à une attaque terroriste’’, indique-t-il. Les assaillants volent des motos et du matériel dans ces postes de police. Aussi, ‘’on ne va pas arrêter de vivre. On va continuer à voir les films. Mais il faut que l’Etat règle la question avant que ce groupe ne devienne ce que Boko Haram est devenu au Nigeria’’, avise-t-il. Son ami Aimé Yao va plus loin.
‘’Ce problème, le gouvernement doit le régler une bonne fois pour toutes. Le peuple a fait le constat qu’à chaque fois que des sanctions sont demandées contre le Général Bassolé, il y a une attaque. Et comme quelqu’un l’a dit un jour dans un débat, les attaques se passent de manière passive. Ces gens sont en moto, pillent un commissariat ou deux, personne ne meurt, presque jamais, et le lendemain, tout le monde en parle’’, constate-t-il. On serait alors tenté de dire qu’il y a un film qui se joue dans le nord du pays en direct et qui n’est pas en compétition au Fespaco. Qui le montrera, qui le tourne, qui sont les acteurs ? On ne le sait pas pour le moment.