L’affaire Khalifa Sall, interrogé par la Dic après un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) sur l’utilisation qu’il a faite des fonds sociaux de la Ville de Dakar ne serait que l’arbre qui cache la forêt.
Ils sont, en effet, nombreux les titulaires de charges publiques à disposer de fonds dont la gestion obéit à des règles dérogatoires du droit commun.
Dès que le terme «caisse noire» est évoqué, les regards se tournent, en premier, vers le président de la République dont le bas de laine, alimenté en milliards de Cfa, échappe à tous les contrôles, qu’ils soient inopinés, à priori ou à posteriori. Une fois votés par l’Assemblée nationale, ces crédits sont à la seule discrétion du chef de l’Etat qui en dispose sans obligation de ne rendre compte qu’à sa conscience. Le montant de la cagnotte a évolué. Celui-ci était de 324 millions dans la loi de finances pour 1973-1974. Il est passé à 580 millions en 1976-1977. Sous Abdou Diouf, il est resté constant. Sous Wade, il aurait grimpé jusqu’à atteindre 8 milliards puis plus de 10 milliards sous Macky Sall. «Le tout premier décret d’avance du Président Macky Sall a été signé, avant même l’installation de son gouvernement, pour alimenter ce qui est communément appelé ses fonds politiques à hauteur de 8 milliards. Ces fonds sont composés des fonds spéciaux et des fonds de solidarité africaine. Cette opération a été effectuée sans tenir compte du prorata temporis. Ce qui le conduit en parfaite contradiction avec l’esprit du législateur qui autorise un montant pour une année et non pour huit mois…», cogne Thierno Bocoum, député non inscrit à l’Assemblée nationale. Pire, selon ce dernier, «le Président, à travers toujours un décret d’avance, s’est doté de 2 663 908 000 francs Cfa de fonds politiques supplémentaires dans la même année budgétaire 2012 à travers des fonds spéciaux. Un décret qui n’a pas figuré dans la Loi de finances initiale de 2012 mais sciemment dissimulé dans celle de 2013. C’est le décret n°2012-747 du 19 juillet 2012. Le président de la République s’est donc octroyé, d’une manière unilatérale, des fonds politiques d’un montant de 10 663 908 000 francs Cfa pour huit mois de magistère contre huit milliards autorisés à son prédécesseur pour la durée d’un an».
Outre le président de la République, d’autres chefs d’institutions de la République disposent de confortables cagnottes qui sont à leur seule et exclusive disposition. Il s’agit des Présidents de l’Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental, du Haut conseil des collectivités territoriales, du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur, du Premier Président de la Cour suprême. Les fonds secrets répartis entre ces institutions deviennent soudain des fonds douteux. A quoi servent-ils ? Pour le président de la République et le ministre de l’Intérieur, une partie de ces fonds sert, officiellement, à financer les actions secrètes de l’Etat, services de contre-espionnage et menus frais en cash. Par exemple, pour payer des «indics». Un renseignement dans le maquis casamançais peut être financé par ce fonds qui échappe à tout contrôle. Mais, on est jusque-là dans la para-normalité puisque, même secrètes et supportées par l’argent public, ces actions peuvent être justifiables à l’aune de l’intérêt général. Il est, en effet, révélé que «l’argent noir» de la République sert aussi à payer cadeaux, voyages, billets d’avion ou même au financement politique occulte. En déplacement à Ziguinchor, n’est-ce pas Souleymane Ndéné Ndiaye qui révélait que Landing Savané, alors fidèle allié de Me Wade, émargeait pour 30 millions de francs mensuels dans la cagnotte secrète du président de la République ? On était en plein dans la guerre entre Landing Savané et Mamadou Diop «Decroix» pour le contrôle d’Aj.
En l’état actuel de notre législation, rien ne s’oppose à l’allocation de ces fonds secrets. Sauf que, dans le monde, la tendance est à la réglementation. «Il convient de réformer les +fonds politiques+ pour les recentrer essentiellement sur les activités liées à la sécurité nationale et prévoir un organe de contrôle dont la forme et les obligations des membres qui le composent pourraient s’inspirer de solutions appliquées dans certaines démocraties avancées. En Allemagne et en Grande-Bretagne, ces fonds sont contrôlés par une commission réunissant toutes les sensibilités des Parlements de ces pays. En France, la commission de contrôle instituée en 2002, comprend des parlementaires et des membres de la Cour des comptes. L’exercice n’est pas aisé car il s’agit de concilier l’obligation de transparence dans la gestion de l’Etat et la part de secret que celle-ci implique». C’est la conviction du Pr Abdourahmane Diokhané, chargé de cours de Finances publiques à l’Ucad et ancien Commissaire du droit près la Cour des comptes dans une tribune publiée dans les quotidiens de la place.