Situé dans la commune de Rufisque, distante de 54 km de la capitale sénégalaise, le village lébou de Diokoul se bat désespérément contre le diktat des raz-de-marée. Même après avoir englouti des dizaines de mètres de terre ferme, le «monstre», une manière de décrire l’océan qui avance à pas feutrés, persiste dans son obstination à vouloir faire décamper les populations de leur village ancestral, contre leur gré. Des habitants qui se sont résignés à vivre dans l’angoisse permanente, gardant un mauvais souvenir de la forte houle de septembre 2015.
En ce matin de jeudi 9 février, elle est relativement calme. Elle, c’est la mer. Un vent doux, accompagné de brise marine, caresse les visages, donnant une sensation de bien-être. Sur la berge, quelques pirogues amarrées meublent le décor. Sur le sol, la saleté dicte sa loi, avec toutes sortes de déchets, notamment des sachets plastiques, des bidons en plastique, des chaussures usées, des gobelets ou encore des carcasses de moutons, entre autres, sans oublier des morceaux de tissus, etc. Des pêcheurs, assis sur le rivage, discutent paisiblement. Pendant que certains d’entre eux vérifient leurs filets, d’autres s’affairent à prendre le petit déjeuner. De petites vagues viennent s’écraser sur la plage. Plutôt, sur le petit espace qui sert de débarcadère aux pécheurs. Nous sommes, en réalité, au niveau du quai de pêche de DiokoulKaw, village de pêcheurs lébous dans la commune de Rufisque. A coté, se trouve le cimetière du village.
LE “MONSTRE“ EST TENACE
Qui disait que les morts se reposent à jamais ? Cela ne semble pas être le cas au cimetière de Diokoul. Les vagues qui viennent s’affaler sur la digue de protection en béton, construite pour contenir la furie de la mer, perturbent en réalité la quiétude des occupants des lieux. Les stigmates sur l’ancien mur du cimetière font constater les nombreuses attaques dont cette dernière demeure de milliers de défunts a fait l’objet. La mer a rongé le ciment de la clôture du cimetière, obligeant les populations à construire un autre mur derrière l’ancien déjà usé. La digue de protection, construite entre le cimetière et l’océan, pourtant imposante à première vue, s’affaisse progressivement au niveau de ses deux extrémités. Le ciment mélangé au béton et au fer, sans oublier les grosses roches sur lesquelles reposent les constructions, n’y feront rien.
Une scène piteuse qui rappelle un certain septembre 2015, où la furie de la mer a «profané» le cimetière de Diokoul, en exposant, au vu de tous, ossements et macchabées. L’on est tenté de dire qu’ici, les morts ne se reposent pas en paix. Cela, d’autant plus que le «monstre» prend, de jour en jour, le dessus sur les moyens mis en place par les humains pour se protéger de lui. Oui, ce «monstre», appelé océan, qui avance à pas feutrés et qui a décidé à marquer son territoire, n’en démord pas. La digue bâtie en juillet 1990 a fini de céder face à son opiniâtreté. Celle élevée, il y a de cela 4 ans, selon les riverains, montre ses limites devant le diktat des vagues. Les secousses du «monstre» narguent chaque jour ce barrage en béton qui commence à se fissurer. Ils lui promettent d’ailleurs une fin tragique, comme son ainé, sans délai.
Les habitations ne sont pas non plus épargnées. Tout le long de la côte, les maisons présentent un visage hideux. Elles donnent même l’impression d’être construites, il y a de cela bien des lustres. Les constructions rongées par la salinité de l’eau de mer peinent à garder, en vérité, leur éclat d’antan. Toutes, ou presque, sont crevassées. Impossible de voir une bâtisse en bonne et due forme, dans ce village de pêcheurs lébous.
Le constat est le même au niveau de Diokoul Ndiayenne. Ici aussi, les populations n’ont que leurs yeux pour contempler les dégâts que cause, chaque jour, la mer. Le décor est sinistre pour un amoureux de la mer. Les riverains ont fini de transformer les berges en dépotoir, y balançant ordures ménagères comme eaux usées. Une manière pour elles, estime-t-on, d’élever le niveau du rivage. Un précaire bouclier s’est ainsi formé par l’accumulation des déchets dans cette zone dépourvue de digue de protection. Rien d’autre pour parer à toute éventualité. Un tableau lugubre qui donne des allures de duel à mort entre les populations et la mer. Des habitants qui gardent, très certainement, un mauvais souvenir des récents dégâts de la forte houle de septembre 2015.
RESIGNEES, LES POPULATIONS VIVENT DANS L’ANGOISSE
Les riverains ! Ces pécheurs lébous n’ont, en réalité, que leurs yeux pour pleurer. Mame Boubou Thiombane et ses camarades ne diront pas le contraire. Trouvés devant leur concession, assis sur un long banc en train de se lézarder sous ce doux soleil matinal, ces pécheurs s’apitoient sur leur impuissance face à la déferlante, décidée qu’elle est à engloutir les vétustes maisons qui leur restent, selon eux. Cette mer qui leur a pourtant pris des dizaines de mètres de terre ferme persiste dans sa détermination à les déloger de Diokoul, ce village qui a vu naitre leurs ancêtres lébous.
Mame Boubou Thiombane, fils de Diaraf, étale les maux de toute sa communauté, tout en tournant le dos à l’océan. D’un air résigné, il explique que la nouvelle digue de protection finira comme l’ancienne, tant qu’il n’y aura pas de grosses roches, disposées entre la mer et le barrage. A son avis, c’est la seule manière de garder encore debout ce qui leur sert, pour le moment, de protection. N’empêche, renseigne-t-il, en période de forte houle, les vagues traversent le barrage en béton érigé pourtant pour freiner leur ardeur. Pis, il confie que les villageois vivent dans l’angoisse et la peur constante d’une attaque probable du «monstre». A l’en croire, pendant les raz-de-marée, aucun riverain ne dort d’un sommeil juste et profond.
EN ATTENTE DE LA PROMESSE DE MAHAMMED BOUN ABDALLAH DIONNE
Quid de la promesse du Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, lors de sa dernière visite en septembre 2015, au lendemain des afflux soudains? «Rien n’a été fait», rétorquent nos interlocuteurs, les yeux rivés vers cette vaste étendue d’eau qui donne l’air d’être docile, ce jeudi 9 février. De l’avis de Mame Boubou Thiombane, autoproclamé porte-parole de tout Diokoul, le Premier ministre avait promis de construire une digue tout au long de la côte de Diokoul. Hélas, se désole-t-il, «les populations n’ont encore rien vu». Il informe, qu’en réalité, «des gens sont venus prendre toutes les mesures (dimensions) du rivage, mais on ne les a jamais revus». Pis, le fils de Djaraf, la quarantaine révolue, fait part de l’incapacité des riverains à quitter le lieu qui a pourtant perdu sa quiétude. Il révèle qu’un espace, appelé “Terrain Lébougui“, leur avait été offert comme site de recasement. Cependant, «la contrepartie qu’ils nous ont demandée n’est pas à notre portée», avoue-t-il. La cause, Mame Boubou Thiombane souligne que les revenus tirés de la mer ne leur permettaient pas de verser la compensation, afin de bénéficier de ces terres à l’intérieur du village. Au final, regrette-t-il, les terres qui leur étaient destinées sont aujourd’hui vendues, à plus de 3 millions la parcelle, par ceux-là même qui les avaient mises à leur disposition. A l’en croire, aucun Lébou parmi eux n’a pu bénéficier de lopin de terre au niveau du site de recasement. Faute de moyens, ils se sont résignés à rester vivre dans la terreur, face aux dents de la grande déferlante. Au final, au nom de leur communauté, Mame Boubou Thiombane et compagnie lancent un appel au régime du président MackySall en ces termes : «Nous demandons au gouvernement de nous venir en aide, par la grâce de Dieu».
FINANCEMENT DE LA DIGUE BOUCLE
Une source bien aux faits du dossier sur la digue promise par le Premier ministre, préférant gardée l’anonymat, informe, par ailleurs, que le financement a été bouclé, sans pour autant avancer de montant. Toutefois, elle a tenu à préciser que l’investissement vient de l’Union européenne, et non de l’Uemoa. Sur les raisons du retard dans l’exécution des travaux, la source indique que le projet est dans sa phase d’étude de l’impact sur l’environnement, mais qu’elle n’est pas à mesure d’avancer la date de démarrage des travaux. En attendant, la concrétisation de l’engagement du Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, notamment la réalisation du projet d’infrastructures d’une valeur de 1,5 milliard de F Cfa à Diokoul, financé par l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), les populations assistent, impuissantes, à l’érosion de cette partie de leur village. Pis, les habitants de cette zone vivent dans un traumatisme qui ne dit pas son nom.
Qui d’entre les populations et le «monstre» aura le dernier mot ? En tout cas, la mer ne cesse de faire subir des revers aux occupants de Diokoul. Un village qui se meurt, à cause du réchauffement de la planète.