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Malaise au sein de la famille judiciaire: Pourquoi les politiciens au Conseil supérieur de la magistrature (CSM)
Publié le lundi 13 fevrier 2017  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DF
La Rentrée solennelle des cours et tribunaux 2016
Dakar, le 12 Janvier 2016 - La Rentrée solennelle des cours et tribunaux a eu lieu, ce matin, à la Cour Suprême. Elle a été présidée par le chef de l`État Macky Sall. Les plus grandes personnalités de l`État ont assisté à la cérémonie qui avait comme thème: "les collectivités locales et le contrôle de légalité".




Au-delà de son caractère spectaculaire, la démission du magistrat Ibrahima Hamidou Dème met à nu le sentiment de méfiance, voire de suspicion, qui anime les justiciables à l’égard de leur justice. Elle n'est plus épargnée par les nombreuses critiques des citoyens, des hommes politiques ou des syndicalistes qui doutent de son indépendance. Les représentants du secteur privé et les bailleurs de fonds doutent de sa transparence et de son efficacité. EnQuête relève les causes profondes de ce malaise.

Le CSM est composé de membres de droit (le Président du Conseil d’État, le Premier Président de la Cour de Cassation et le Procureur Général près la Cour de Cassation, les Premiers Présidents des Cours d’Appel et les Procureurs généraux près lesdites cours) et de membres élus par les magistrats (trois titulaires et trois suppléants). Les membres du Conseil sont tenus au secret professionnel. Le Conseil est présidé par le président de la République, le vice-président étant le ministre de la Justice. Et même si dans sa timide réforme, Macky Sall lâche que l’augmentation du nombre de membres élus au sein du CSM passe de trois à quatre magistrats et que les membres élus le seront pour un mandat de 3 ans, renouvelable une fois, et non plus pour un mandat de 4 ans sans limitation pour le renouvellement, la démission du juge Ibrahima Hamidou Dème montre que les magistrats sont très loin de s’en contenter.

Si le débat est si vif, après cette démission du juge Ibrahima Hamidou Dème, c’est en raison non seulement des incertitudes qui entourent le système qui organise ce conseil confronté aux nouveaux défis que lui lancent une société en transition et un monde en pleine évolution, des difficultés de toutes sortes qu’il rencontre, mais aussi de la nature ambiguë des rapports qu’il entretient avec le pouvoir politique. En dédicaçant son ouvrage intitulé "Comment renforcer l’indépendance de la magistrature au Sénégal", le juge Babacar Ngom, qui exerçait alors au Tribunal d’instance hors classe de Dakar, avait souligné la nécessité d’aller vers une réforme du Conseil supérieur de la magistrature où le président de la République et le ministre de la Justice ne siégeraient plus. Et même si dans la lettre de démission, le magistrat Ibrahima Hamidou Dème croit "justifiée" au CSM la présence du président de la République, en tant que celui qui incarne toutes les institutions, puisqu’il en est la clé de voûte, beaucoup de ses collègues magistrats pensent et murmurent que les garanties de la carrière des magistrats présentent des insuffisances, du fait essentiellement de l'intrusion possible de l’Exécutif.

Il possède en effet un nombre de leviers peu appréciés par les magistrats qui ont le sentiment d’être moins libres qu’ils ne devraient l’être. Par exemple, l'avancement des magistrats dépend des propositions envoyées périodiquement au ministre de la Justice dans ce sens. Et c'est cet officiel, dont les choix sont bien souvent politiquement orientés, qui en arrêtera une liste qu’il adresse au Conseil supérieur de la magistrature dont il est le vice-président et où il pourra théoriquement suivre et tenter d'influer sur les décisions en faveur de l'aboutissement de ses choix. Et même si on peut évoquer la bonne foi du ministre de la Justice ou encore le fait que les listes de propositions soient portées à la connaissance des magistrats qui peuvent introduire une requête en vue de leur inscription au Président et aux autres membres du CSM, le mal est souvent fait, puisque la suspicion est déjà en l'air. Les dernières affectations de juges en sont le parfait exemple.

Exit l’ancienneté, place au mérite et à la compétence

Les magistrats insatisfaits du système en place soulignent, par exemple, que le principe de l’ancienneté, qui est prioritaire dans l’avancement, devrait être atténué par le mérite et la compétence qu’ils veulent voir être considérés comme les critères déterminants pour l’avancement et la responsabilisation des magistrats. Ils avancent même que le mérite devrait être apprécié par le CSM au regard du savoir-faire et du savoir-être du magistrat considéré et à égalité. Nombreuses sont les fois où des magistrats ont fustigé le fait que la notation des magistrats ne se fasse pas dans les meilleures conditions de transparence. L'Union des magistrats sénégalais (UMS) a toujours proposé, sans obtenir beaucoup de succès, de définir des critères objectifs d’évaluation des magistrats et de sanctionner en conséquence le rendement insuffisant, tout en récompensant et promouvant ceux qui sont méritants.

Autrement dit, il est nécessaire d’instituer des sanctions positives du travail, de la compétence, de la rigueur morale et intellectuelle et négatives (absence de rendement et indélicatesse) au moyen d’une évaluation et d’une notation détaillées et objectives. L'UMS a aussi milité pour instituer des procédures de transparence pour l’avancement des magistrats, de manière à soustraire ceux qui y sont disposés à la tentation d’aliéner leur indépendance. C'est ainsi que beaucoup de magistrats que nous avons interrogés dans la préparation de cet article estiment que le législateur sénégalais devrait, par exemple, mettre en place un système ou un mécanisme qui garantit la transparence, en prévoyant la communication à l’ensemble du corps et aux corporations (notamment l’UMS) les propositions de nomination assorties de la liste des candidats et à prendre en compte les observations éventuelles.

Comment le politique contourne l’inamovibilité des juges

Selon l’article 5 de la loi organique, "les magistrats du siège sont inamovibles. Ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable". Cette garantie est mise en échec et par une exception légale (le déplacement dans l’intérêt du service) et par une pratique contestable (l’intérim). Les magistrats qui se sont ouverts à nos questions notent que concernant le déplacement dans l’intérêt du service, l’alinéa 2 du même article prévoit que toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, sur l’avis conforme et motivé du CSM qui indiquera la durée maximum pour laquelle le déplacement est prévu.

Or, soulignent nos interlocuteurs, "cette exception a pu permettre aux autorités d’affecter les magistrats du siège en se fondant sur un argument aussi subjectif que les nécessités du service. Ensuite, soulignent-ils, la loi qui prévoit que si le nombre des magistrats disponibles dans la juridiction ne permet pas de combler toutes les vacances d’emploi, le service peut être assuré par un intérimaire choisi parmi les magistrats des cours et tribunaux, ouvre la porte à des pratiques peu orthodoxes qui ont souvent permis aux autorités politiques de contourner l’inamovibilité des magistrats du siège. Il est à peine besoin de souligner que les juges nommés par le ministre de la Justice ne bénéficient pas de l’inamovibilité. Il faut ajouter à cela le déplacement d’office qui est une sanction disciplinaire applicable aux magistrats du siège comme du parquet.

On peut se plaindre que les magistrats étalent souvent sur la place publique leurs appétits matériels et pécuniaires. Mais cette démission fracassante souligne si besoin en est, qu'au-delà de l’aspect matériel, les magistrats tiennent aussi à leur crédibilité.
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