L’avocat français associé du cabinet Jones Day Rémy Fekete a estimé, dans cet entretien accordé hier, à EnQuête, qu’il y a un retard noté dans le domaine des TIC. C’était en marge de l’atelier de lancement de la mission d’actualisation du cadre juridique du secteur des Télécoms au Sénégal.
Vous avez établi des normes pour mener à bien votre mission d’actualisation du cadre juridique du secteur des Télécoms/TIC au Sénégal. Quelles sont les principales conditions posées?
La première condition c’est l’honnêteté intellectuelle. Si on veut remettre en place des textes applicables au secteur des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication, il faut d’abord que, en toute honnêteté, l’ensemble des participants se mettent au tour d’une table, pour se dire ce qui va, mais surtout ce qui ne va pas. Au Sénégal, on a la chance d’avoir un Etat stable, une économie plus développée que la plupart des pays de la sous-région. Mais, malgré cela, bizarrement depuis plus de dix ans, le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) est en retard.
Comment justifie-t-on ce retard ?
Il est en retard, mais pas forcément en termes de taux de pénétration des services de téléphonie mobile. Parce qu’il y a les phénomènes de multi-sim qui font que chaque citoyen a, un ou trois téléphones. On a l’impression qu’ils ont énormément de téléphones. Mais, il y a toute une partie de la population qui n’a toujours pas accès aux services de téléphonie de base. Ce sont les populations rurales et celles enclavées. Le service universel a montré ses faiblesses. Donc, il y a beaucoup de choses à faire sur ce terrain. En 2017, l’enjeu essentiel ce n’est plus d’avoir accès à un téléphone et parler. L’enjeu essentiel, c’est d’avoir accès à l’internet pour échanger des informations, avoir accès à des services publics et pour pouvoir faire du commerce, prospérer et se développer. Cela nécessite des infrastructures importantes et des investissements considérables. Tout ceci, nécessite aussi et surtout d’avoir confiance à un cadre juridique qui va permettre à l’Etat de fournir des services, aux citoyens d’obtenir des services publics, de payer ses impôts en ligne et aux consommateurs d’avoir accès à de nouveaux services, de nouveaux biens et des objets à vendre.
Vous avez évoqué l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp). Quel doit être son rôle ?
L’Artp a un rôle clé. Elle joue un rôle d’arbitrage. C’est elle qui a la compétence, l’indépendance ou qui devrait avoir la compétence pour ne pas être juge et partie. Elle ne doit être ni du côté de l’Etat ou de l’opérateur. Elle a plus de souplesse que l’administration tout en étant rigoureuse. Elle place les besoins de transparence sur les tarifs au cœur de sa démarche pour faire en sorte que les ressources dont dispose l’Etat dans ce secteur, en particulier les fréquences, soient utilisées de manière optimale. C’est plus important aujourd’hui, dans la mesure où on parle de 4G et bientôt de 5G et d’E-mobile.
Quand on parle d’internet, il y a souvent un problème de sécurité des données et du respect de la vie privée, qui se pose. Est-ce que vous prenez en compte tous ces éléments dans le cadre de votre mission ?
On va les prendre en compte. Mais, il faut que les citoyens sénégalais se rendent compte que leur meilleur ennemi, ce sont eux-mêmes. Lorsqu’on voit des jeunes filles et des jeunes garçons étaler sur les réseaux sociaux leur vie personnelle, ce sont eux qui les premiers, violent leur droit à l’intimité. Je crois qu’il y a un grand effort à faire y compris un effort pédagogique sur la sensibilisation du public relatif au caractère précieux, fragile des données qui leur sont personnelles. Il faut savoir qu’il y a sur internet un droit, qui s’appelle le droit à l’oubli qui est très difficile à mettre en œuvre. Nous essayerons dans nos travaux de le mettre en œuvre dans les textes. La plupart des géants de l’internet n’étant pas situés au Sénégal encore moins dans le continent africain, et donc la première précaution à prendre, c’est faire en sorte que celui qui cherche sur internet soit protégé lui-même.
Vous avez dit aussi que vous n’allez pas faire des textes qui seront rangés dans les tiroirs.…
Notre ambition, c’est d’aboutir à des textes qui soient compris par tout le monde. Et pour se faire, il va falloir y intégrer tous les acteurs (les représentants du ministère, les parlementaires, les opérateurs, les fournisseurs d’accès, les internautes…), parce que ce sont eux, les sujets et les objets des textes de loi.