La série de meurtres perpétrés ces temps-ci sur des fous errants, a fini par installer la terreur dans la capitale orientale. La psychose est d’autant réelle que les populations se terrent chez elles dès la tombée de la nuit et désertent les palaces, boîtes de nuit et autres lieux publics. Reportage.
Tambacounda. Lundi 10 mars 2014. 20h. La ville a cessé de respirer. Un calme intrigant règne au quartier Gourel Diadié. Dans cette ambiance funèbre, seuls les cris des insectes sont audibles. Les populations, qui se sont terrées chez elles, sont gagnées par la panique. Ici, la terreur a fini par gagner les cœurs. L’ombre (du ou) des serials killers, bourreaux des malades mentaux, plane partout dans cette nuit orientale caractérisée par une chaleur infernale. La vie dans ce patelin devient de plus en plus infernale.
Dès la tombée de la nuit, toutes les activités s’estompent. Que ce soit à Gourel Diadié, Médina Coura, Sara Guilél, Gounass ou encore Dépôt, le cœur de la ville. Depuis bientôt deux mois, fini les nuits blanches ou les virées nocturnes. Les boîtes de nuit fonctionnent au ralenti et peinent à trouver des clients. Au complexe Légal Pont, ce n’est plus le rush. Les clients viennent par compte-gouttes et les rares individus trouvés sur les lieux sont en majorité des touristes.
A cause du climat d’insécurité qui règne dans ce patelin, le tourisme en a pris un sacré coup. Les recettes pratiquement en baisse dans les hôtels, restaurants, bars et auberges. ‘’Nous restons toute la journée sans voir un seul touriste débarquer’’, soutient Khadija Kénémé, gérant d’un hôtel de la place.Dans cette ambiance, la méfiance est le sentiment le plus partagé. Les gens évitent souvent le sujet de crainte de provoquer sur eux la furie des tueurs de fous.
‘’Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est une situation complexe qui installe la psychose dans cette ville. Elle doit être prise à bras le corps par les forces de l’ordre pour empêcher que l’image de cette ville ne soit ternie davantage’’, lance sur un air méfiant François, un touriste français. Autre endroit même décor. Au complexe DIDEC situé en plein centre-ville au quartier Médina Coura, ce sont même les horaires qui ont été chamboulés.
Ici au lieu de 00h, les portes sont dorénavant fermées à 22h. ‘’A cause de la situation d’insécurité qui prévaut dans la ville, la direction a décidé de fermer les portes du complexe à partir de 22h. A cette heure, il n’y a personne, tout le monde est déjà rentré et le bar est fermé. Repassez demain’’, sert le préposé à la sécurité, camouflé dans un uniforme bleu, casquette à la tête. ‘’Vous savez, la ville n’est plus ce qu’elle était. Allez-vous coucher mes chers’’, conseille-t-il gentiment, tout en s’éloignant.
02h passées, les artères de la ville sont désertes. Aucune activité humaine n’anime les lieux. Boutiques, cantines, restaurants et autres lieux de détente ont baissé rideaux. Les noctambules contraints de se coucher tôt. Seuls quelques malades mentaux errants sont visibles, au niveau de l’ancien garage de Dakar. Ces fous, du jour au lendemain, sont devenus la proie d’individus malsaints qui, jusqu’ici, n’ont pas encore dit leurs derniers mots. Mais leur sécurité est désormais assuré par les forces de l’ordre qui font la ronde dans tous les quartiers de la ville jusqu’à l’aube.
La valse des rafles
Mardi 11 mars 2014. 7h. La sirène de la SODEFITEX retentit. Petit à petit, la vie reprend son court normal et les populations commencent à vaquer à leurs occupations au fur et à mesure que le temps passe. Au commissariat de la police centrale de Tamba, c’est le rush dès les premières lueurs du jour. Des parents qui n’ont pas vu leurs progénitures passer la nuit chez eux, sont venus s’enquérir de leurs situations. Pour beaucoup, ils ont été appréhendés pendant la nuit du lundi au mardi par les forces de l’ordre.
‘’C’est devant mon commerce qu’ils m’ont trouvé, m’ont sommé de fermer ma boutique avant de m’embarquer’’, rapporte le jeune Salif Sidibé à peine libéré. ‘’Moi j’étais au cyber et quand je suis sortie pour rentrer chez moi vers 22h, la voiture de la police s’est garée à mes pieds et aussitôt des éléments de la police m’ont embarquée’’, narre pour sa part, Fily Kouyaté, la vingtaine, teint clair, la mine défaite par une nuit passée derrière les verrous.
Très remontée contre les forces de l’ordre, elle ajoute : ‘’Ils (les policiers) n’arrêtent que des innocents et laissent errer ceux qui perpétuent ces séries de meurtres’’. ‘’C’est pour leur bien que nous effectuons ces rafles nocturnes. Nous voulons tout simplement les décourager à circuler pendant la nuit’’, rétorque un officier de police.
''Amener les populations à ne pas sortir la nuit''
Dans cette ville jadis calme et réputée paisible, les bourreaux des fous sont devenus les seuls maîtres des lieux et dictent leurs lois aux populations dont le sommeil est désormais hanté par l’assassinat en série de malades mentaux en un intervalle record. Déjà confrontés aux multiples problèmes liés à leur survie et qui ont pour noms paupérisation, pauvreté, malnutrition, ces populations sont obligées de vivre la terreur au quotidien même si les forces de l’ordre qui ont renforcé leur dispositif dans la capitale orientale, tentent tant bien que mal de juguler le fléau, en initiant des rondes dans tous les quartiers de la ville.
Ainsi, beaucoup d’interpellations se font pendant la nuit. ‘’On ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs, nous sommes obligés de faire ces rafles nocturnes pour amener les populations à ne pas sortir de chez elles pendant la nuit’’, déclare un limier qui préfère garder l’anonymat.
Ville quadrillée
En plus de ces rafles nocturnes, toutes les issues du centre-ville sont filtrées. A cet effet, tout véhicule, que ce soit particulier ou transport public, est fouillé à l’avance de même que tous les voyageurs. A l’entrée de la ville située sur la partie Est de la ville, vers la route qui mène à Kédougou, un important dispositif sécuritaire veille au grain.
Les moyens humains et matériels habituellement déployés sur les lieux sont renforcés pour filtrer davantage les entrées et sorties. Seulement, les citoyens lambda en font souvent les frais. ‘’C’est anormal de fouiller comme ça les gens comme si nous sommes des délinquants’’, récrimine Ousmane Ndiaye, un employé d’une société basée à Sabadolé qui est venu à Tamba pour des congés d’une semaine. ‘’Nous sommes obligés de n’aller à nos lieux de travail qu’à partir de 9h ou 10h, alors que nous avions l’habitude d’y aller un peu plus tôt.
Nous sommes également obligés de rentrer tôt de crainte d’être agressé ou tout simplement tué par ces tueurs en série qui errent toujours’’, soutient Ousseynou Mbengue, commerçant au marché central de Tambacounda. Selon ce dernier, ‘’même les rencontres religieuses nocturnes sont mises en stand-by, dans la mesure où plus personne ne daigne faire le déplacement’’.