Un vent de panique a soufflé sur l’île de Saint-Louis avec les mises en garde de l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco), menaçant de retirer un acquis qui fait la fierté de la Ville depuis le début de ce millénaire : patrimoine mondial de l’humanité.
En descendant du mythique pont Faidherbe de Saint-Louis, image d’Epinal de la vieille ville, le néophyte est frappé par l’urbanisme particulier, le tracé rectiligne des rues, de l’île Sud à la Rue Me Babacar Sèye par exemple. Les portes-fenêtres aux balcons, les ogives en marbre qui les surmontent, les toits en tuile rouge dénotent d’un style de construction à l’ancienne. Fondée au 17e siècle, elle fut la capitale du Sénégal (1872-1957), puis de l’Afrique Occidentale française (AOF) entre 1895 et 1902. Mais les marques de cette ancienneté ont tendance à disparaître.
‘‘La situation de la ville sur une embouchure du fleuve Sénégal, son plan urbain régulier, son système de quais et ses nombreux bâtiments d’époque confèrent à la ville un cachet tel que l’Unesco en a fait un patrimoine en 2000’’, vante l’épitaphe sur la stèle construite sur la rocade juste après le pont Faidherbe. A côté, un tableau qui loue également la réhabilitation d’un bâtiment-phare, la Gouvernance de Saint-Louis, implanté de façon bancale. Une des rares concessions des autorités à la décrépitude patrimoniale que la ville subit de plein fouet.
La Gouvernance qui sert en même temps de préfecture et l’église des sœurs de Cluny tiennent tant bien que mal, malgré le poids des âges. Mais, à la Rue Blaise Diagne angle Aynina Fall, c’est un autre décor. Des débris de briques rouges jonchent une ancienne maison à l’angle, éventrée sur le côté par une grosse masse. Une reconstruction de fond en comble dans cette zone où la rénovation de ces demeures est en principe sujette à des règles précises. Sur la Rue Abdoulaye Seck Marie Parsine également, un tas de gravats est amassé en bas d’une vieille maison qui menaçait ruines. Saint-Louis souffre d’une incurie en politique culturelle que les différents gouvernements, conseils municipaux et résidents insouciants de cette richesse lui imposent sans discontinuer, depuis 17 ans. ‘‘Il faut savoir que c’est le Sénégal qui est ainsi fait. Nos compatriotes ne savent pas respecter les consignes. Ils démolissent à tout va, alors que dans la ville, même si une maison est en péril, on ne peut pas la démolir n’importe comment. On ne doit même pas toucher à une seule fenêtre sans autorisation. Il y a bien des dispositions contraignantes, mais les populations ont tendance à passer outre’’, se défend la première adjointe au maire de la ville, Aïda Mbaye Dieng.
En proie à une destruction des bâtiments du style colonial qui ont fait sa réputation, le patrimoine culturel de la région Nord est menacé de déclassement. Les récentes mises en garde de l’Unesco ne sont pourtant pas chose nouvelle. ‘‘Depuis 2004, les menaces étaient beaucoup plus graves, car il y avait des constructions qui n’ont pas respecté les normes. En général, ce sont les personnalités de l’Etat qui s’y adonnaient, des ministres de la République, des directeurs de sociétés. L’Unesco avait menacé fermement de déclasser Saint- Louis, mais nous nous en sommes sortis. Si nous réagissons fortement avec des actes, l’Unesco va revoir sa position’’, déclare-t-elle, déplorant les pouvoirs limités de la mairie qui se cantonne à des sommations en cas d’anomalie.
Entre retouches et ruines
La ville plus que tricentenaire a accueilli la première liaison aéronautique Toulouse–Saint-Louis–Natal (Brésil), de l’aviateur Jean Mermoz en 1930, et a en même gardé l’appellation d’Hydrobase pour l’une de ses localités. L’île de Saint-Louis est l’un des six sites sénégalais figurant dans le patrimoine mondial de l’Unesco avec l’île de Gorée, le parc national du Niokolo-Koba, le parc national des oiseaux du Djoudj, les cercles mégalithiques de Sénégambie, le Delta du Saloum et le pays Bassari. Mais elle souffre d’une dépréciation de la valeur architecturale de ses bâtiments. Sur l’ensemble unique de dix critères de l’Unesco pour figurer dans sa liste de patrimoine culturel, le second point est de ‘‘témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages’’. Dans la région Nord, ce témoignage des différentes influences coloniales, britanniques et françaises principalement, est en train d’être démoli.
Dans la librairie ‘‘l’Agneau carnivore’’ qui est plus un croisement entre mini-bibliothèque, photothèque et musée, les clichés jaunis sur Saint- Louis du début du 20e siècle procurent au visiteur une nostalgie devant la cathédrale Notre-Dame de Lourdes à Sor en 1908, une scène de vaccination contre la peste bovine en 1918, le maître griot Bambaye Diouf en 1922 , l’émissaire maure Trarza Ahmed Saloum Ould Brahim Saloum en 1909, ou encore le jeune gouverneur Louis Faidherbe posant devant une baïonnette... ‘’Il y a des bâtiments d’époque qui sont rasés et on n’a rien refait. Quand je dis patrimoine, c’est purement architectural’’. Feuilletant un livre où les escaliers en colimaçon de la Maison des sœurs de Cluny, un bâtiment témoigne de la décrépitude des lieux dans une indignation contrôlée de la dame.
‘‘Ce sont des bâtiments comme ça que les gens viennent voir ; certainement pas entendre les exactions commises par les colons. Ils viennent pour voir du bâtiment, de l’architecture. Ce n’est pas comme aller à Gorée par devoir de mémoire. C’est complètement différent’’, s’offusque-t-elle, pronostiquant même que l’éventualité du déclassement pourrait vite se matérialiser, si la tendance n’est pas renversée. Louis Camara, écrivain, qui a traversé les différentes phases de cette dépréciation patrimoniale, n’en mène pas large. ‘‘Il n’y a pas d’implication des autorités. On dirait que la culture est une espèce d’appendice inutile, alors qu’elle est au cœur du développement de la ville. Il y a la pêche, l’agriculture dans la Vallée, mais ne pas comprendre que la culture y est le moteur, c’est ne rien comprendre’’, s’indigne-t-il.
Les contentieux autour des partages d’héritage sont l’autre cause, en dehors des démolitions des bâtiments, selon un guide touristique qui officie à titre privé. Des mésententes qui ont beaucoup contribué au délabrement de certaines maisons d’architecture coloniale. Les héritiers issus de famille polygame, explique-t-il, préfèrent laisser ‘‘la maison tomber en ruines plutôt que de la voir profiter à l’autre partie de la fratrie. C’est dommage mais c’est comme ça malheureusement’’. Ses doigts perdus dans des dreadlocks bien bouclés, il explique que beaucoup de bâtiments de la vieille époque sont soit tombées en ruines, soit cédées à des tiers dont le désir légitime de propriété est plus fort que le respect du patrimoine. Pour toutes ces remarques, l’équipe municipale dégage toute responsabilité. ‘‘Ce n’est pas à nous d’assurer la sauvegarde. Il y a un gestionnaire du site, qui est le représentant du ministre de la Culture’’.
Programme touristique de 17 milliards
La culture trouve l’un de ses derniers bastions à Saint-Louis où on note un certain bouillonnement des arts vivants, le théâtre, le Festival de Jazz, la fête du livre, les galeries, les expositions. La situation est-elle rédhibitoire ? Les déclarations de l’adjointe au maire ne sont pas des plus rassurantes. ‘‘Il faut qu’on fasse les réhabilitations en respectant le patrimoine. Ce qui est extrêmement coûteux. Nous avons eu pas mal de partenariats et jumelages avec des villes patrimoines et d’autres villes simples, sans compter les touristes ? Si nous sommes déclassés, on risque de tout perdre.
Nous ne souhaitons pas que Saint- Louis soit déclassée sous notre magistère’’, déclare-t-elle. Toutefois, un grand projet de programmes de développement touristique à hauteur de 17 milliards, incluant le volet patrimoine, est la seule panacée promise par la mairie de la Ville pour endiguer le phénomène. ‘’Nous avons le ministre de la Culture qui doit venir à Saint-Louis pour voir les recommandations issues du Conseil interministériel sur la sauvegarde du patrimoine. Les services de l’Etat sont depuis quelques jours en session de travail pour cette visite’’.
Il y a dix ans, en juin 2007, un autre site sénégalais, le parc national du Niokolo-Koba, était inscrit sur la liste des patrimoines de l’Unesco en péril également. Une indication sur l'état de friche dans lequel se trouve le répertoire patrimonial national.