L’entourage de Jammeh(essentiellement les militaires) qui était réticent au départ de Barro pour le Mali par «crainte de le voir affuter ses alliances et ses soutiens à l’étranger», a réussi à braquer le président sortant. Ce dernier intime l’ordre au chef d’Etat démocratiquement élu de ne plus poser les pieds en Gambie. Jammeh agite même la menace de poursuivre Barro pour «haute trahison» au cas où il se mettrait à dénigrer la Gambie à l’étranger.
En plus, la médiation de vendredi dernier a été une des plus houleuses, puisqu’après avoir vexé Buhari dont le pays a offert à Jammeh l’asile, le numéro un gambien s’est même permis d’informer la délégation de médiation de son intention de confier le pouvoir, au soir du 19 janvier, à une transition conduite par sa Vice-Présidente, Aïssatou Ndiaye Seydi
On en sait un peu plus sur l’audience de la « dernière chance » de vendredi dernier, à Banjul, entre le médiateur Mohamed Buhari du Nigéria et sa délégation de la CEDEAO d’une part et d’autre part Yaya Jammeh que les premiers nommés ont tenté de raisonner pour rendre le pouvoir à Adama Barro, dans une ultime tentative.
Derrière les apparences de discussions cordiales, l’audience a été des plus heurtées entre le président Gambien et ses hôtes de la sous région.
Des sources qui retracent les minutes des audiences renseignent que le président Gambien n’a même pas attendu le propos liminaire du médiateur, qu’il leur a dit : «si c’est pour me faire votre offre d’asile au Nigéria, je n’en veux pas. Et je le dis devant témoins, je n’en suis pas demandeur».
Dans une tentative de reprendre la parole, la présidente en exercice de la CEDEAO Sir Ellen Johnson Sirleaf vient à la rescousse du Président Buhari pour proposer à Jammeh de lui faire l’historique de cette proposition pour mieux la comprendre. Niet de Jammeh, affirme notre source qui indique que «le président Gambien a tout bonnement refusé de discuter de cette offre d’asile au Nigéria ». Notre source précise que «cette attitude de Jammeh a beaucoup agacé Mohamed Buhari qui l’a interprété comme un manque de courtoisie de son homologue Gambien à son égard».
Buhari n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer son mécontentement au président Gambien en pleine audience, mais «à aucun moment, Jammeh ne s’est démonté».
Selon toujours notre source, cet incident conduira la présidente en exercice de la CEDEAO à demander une suspension de séance pour calmer les ardeurs et reprendre les discussions dans la sérénité
Buhari reste, mais d’humeur boudeuse…
La reprise des discussions n’a guère permis d’aller plus loin puisque selon toujours notre source, «le président du Nigéria a remballé sa proposition. Dès lors, il fallait finir cette réunion sans donner l’air de se quitter sur un constat d’échec ».
Jammeh veut une transition confiée à sa vice-présidente
C’est à cet instant précis que Yaya Jammeh indique à ses hôtes son intention de confier le pouvoir à un Exécutif de transition au terme juridique de son mandat. Notre source indique que «l’assistance est restée bouche bée à cette information de Jammeh. Mais la suite va vite doucher les espoirs quand l’homme fort de Banjul a ajouté que son choix s’était porté sur sa vice-présidente, Aïssatou Ndiaye Seydi pour conduire la transition».
« Sans se démonter », précise notre source, «Ellen Johnson Sirleaf tente la parade et indique à Jammeh que c’est une proposition que sa délégation enregistre. Et dans la foulée, la présidente du Libéria demande à Jammeh de souscrire à l’idée de les laisser repartir avec Barro pour discuter de cette proposition avec l’ensemble des chefs d’Etat réunis à Bamako »
Jammeh se braque : Si vous l’amenez, gardez-le, mais je ne le laisserais pas rentrer à Banjul !
Sur le coup, notre source analyse que Jammeh a paru désemparé par la «zen-attitude» de la présidente Ellen Johnson Sirleaf pour «encaisser» la proposition de transition, «proposition somme oute surréaliste», mais ne s’oppose pas au départ de Barro.
Comme à son habitude, c’est sur ces entrefaites que la séance fut levée, Jammeh formule des prières, Coran à la main avant de raccompagner ses invités en «ayant conscience d’avoir encore gagné du temps».
Les militaires ne voulaient pas laisser Barro quitter la Gambie…
Notre source indique que c’est suite à un briefing avec son cabinet de la State House que Jammeh change d’attitude et se braque. Le président Gambien a d’ailleurs cherché à joindre désespérément la présidente du Libéria, certainement en audience de compte-rendu avec Adama Barro à cet instant. Notre source pense que l’entourage proche de Yaya Jammeh (essentiellement les militaires) était réticent à un départ de Barro par «crainte de le voir affuter ses alliances et ses soutiens à l’étranger». Son entourage ayant réussi à le convaincre «de ne pas laisser filer Barro», Jammeh joint le président Buhari à travers son ministre des affaires étrangères pour lui délivrer un message clair : «si vous l’emmenez avec vous, gardez-le, mais il ne rentrera pas à Banjul».
Notre source précise que Jammeh était très énervé et a failli provoquer l’incident diplomatique «pour faire intercepter sur la route de l’aéroport la délégation des présidents Africains qui «exfiltraient» Barro pour Bamako. Il s’est ravisé pour ne pas se mettre à dos définitivement la communauté de la CEDEAO».
Jammeh menace d’arrêter Barro pour «haute trahison»
Notre source indique que le président Gambien a même rappelé le chef de la diplomatie Nigériane (alors que le président Buhari lui, était déjà parti de Banjul) pour lui demander de«bien transmettre à Barro qu’il risque d’être poursuivi pour haute trahison s’il lui arrivait de dénigrer la Gambie depuis l’étranger ».
Notre source est formelle, «la CEDEAO a pris très au sérieux les menaces de Jammeh et, elle sait qu’elle venait de lui offrir le prétexte tout trouvé d’arrêter Barro au cas où il retournait à Banjul».
Voilà pourquoi, avec tact le président Ellen Johnson Sirleaf qui est le principal artisan du départ de Barro a voulu éviter un «camouflet avec l’arrestation probable du président élu et l’a confié au Sénégal».
Le Sénégal était-il au courant des détails de cette intrigue, rien n’est moins sûr puisque diplomatiquement le Sénégal s’est réjoui d’accueillir l’hôte et voisin Gambien sur «demande du président en exercice de la CEDEAO».
Voilà donc, comment le Sénégal qui a jusqu’ici manipulé cette affaire avec tact, se retrouve dans le viseur de Yaya Jammeh comme étant «l’ami de mon ennemi, et donc mon ennemi».
Correspondance particulière Paris par Abdoulaye Cissé