Une occasion saisie pour tendre le micro à Sidy Lamine NIASS qui revient sur le parcours du groupe Walf. Le Président-directeur général du Groupe Wal Fadjri revient sur le chemin parsemé d’obstacles auquel il a toujours résisté. Et promet une longue vie à Walf Quotidien.
Wal Fadjri : Comment appréciez-vous le long parcours du groupe Wal Fadjri ?
Sidy Lamine NIASS : Beaucoup d’étapes ont jalonné le parcours du groupe Wal Fadjri, avec des défis à relever à chaque étape. Il fallait, dès le premier numéro, relever le défi de la constance dans la production, avec un journal qui porte un nom tiré d’une sourate. En ce moment, la renaissance islamique battait son plein et il y avait une confusion entre ce qu’on faisait et l’intégrisme. Mais il fallait travailler avec des journalistes et des intellectuels pour mettre le professionnalisme en avant. Et il aura fallu plusieurs années pour que ce professionnalisme soit reconnu à travers de nombreuses distinctions. Etape après étape, Wal Fadjri est passé de bimensuel à bihebdomadaire, pour arriver à un quotidien. Il fallait aussi, à l’époque, s’imposer sur le plan international pour que les Chancelleries puissent se baser sur ces informations pour ensuite donner des rapports fiables. L’autre défi qu’il fallait relever, c’est de ne pas jouer le jeu du dominant sur le dominé, mais plutôt de donner la parole aux sans-voix. Il fallait également faire preuve d’objectivité. Malgré tous les obstacles ayant jalonné le long parcours ayant conduit à la situation d’aujourd’hui, le combat a toujours été gagné. Et il en sera ainsi pour toujours. Cela veut dire que ce journal Walf Quotidien peur être centenaire, puisque le plus dur a été traversé pour un journal qui fait dans l’information générale. Ce n’est pas un journal destiné à l’élite ou à une catégorie bien déterminée de la société, tout le monde y trouve son compte.
Ce n’était pas évident puisqu’il n’y avait pas encore l’explosion médiatique…
(Il coupe) Au début, quand on venait dans le champ médiatique, les hebdomadaires n’existaient pas. Et les journaux se battaient pour être de périodicité mensuelle. Léopold Sédar Senghor, en tant que président de la République et homme de lettres, a échoué dans le domaine de l’information, avec son journal l’Ethiopien et celui de son parti, l’Unité africaine. La même chose est aussi valable pour tous les partis qui ont essayé d’avoir un journal. Abdoulaye Wade a essayé avec le journal Le Démocrate puis Takussan, en travaillant avec des professionnels, mais il a fini par fermer boutique. Dans le domaine de l’économie, on a vu des firmes qui ont essayé avec la presse, mais elles ne sont pas allées si loin que cela. Aujourd’hui, avec 33 ans, on peut bel et bien nourrir l’espoir que ce journal (Walf Quotidien) sera centenaire.
Côté perspectives, à quoi les lecteurs de Walf Quotidien peuvent-ils s’attendre?
Chaque moment a son défi. Notre perspective d’avenir, c’est l’excellence, l’objectivité. C’est autour de ces idéaux que Wal Fadjri s’est bâti et ces principes seront notre bréviaire et rien ne nous en détournera. Nous n’essaierons jamais de descendre au bas de l’échelle pour devenir un journal de caniveau. Nous avons su résister sur le marché en maintenant le prix à 200 Frs, au moment où la plupart des journaux de la place se sont alignés. Mais il y a aussi un défi permanent que nous allons continuer à relever, c’est celui de la qualité et des principes sur lesquels nous ne transigeons pas.
En 33 ans d’existence, Walf a traversé beaucoup d’évènements. Quel est celui qui vous a le plus marqué ?
(Sourire) C’est d’abord l’alternance. Avec la contribution de la presse, le pays s’est transformé. Cela pour dire que cela va prendre le temps qu’il faut, mais la révolution est possible. On ne l’imaginait pas du temps de Jean Collin. L’explosion médiatique qui existe à nos jours m’a beaucoup marqué, car cela était inimaginable à l’époque post indépendance. Cela est le résultat d’un combat permanent qui n’arrête pas. L’indépendance est un titre qui ne répond pas à la réalité, mais l’essentiel est qu’il y a eu deux alternances et qu’il fallait y assister pour y croire, avec tout le débat instauré au grand jour par les radios et les télés et cela était loin de l’imagination. Mais il fallait y croire car la croyance n’est pas quelque chose de vide, c’est une réalité.
On a assisté à la tentative d’endoctrinement des foules avec l’affaire Cheikhou Chérifou. Pourquoi Walf s’était illustré dans cette position ?
Tout cela est à inscrire sur le compte de l’objectivité et nous n’étions pas les seuls à poser le problème, même si nous étions les acteurs les plus visibles. Tous les intellectuels savent qu’un enfant ne peut pas être une solution. Tout le monde savait également que derrière tout cela, il y avait un marché. Avoir le courage et la croyance que c’est possible de dire non, c’était cela le plus difficile. Des intellectuels comme Abdoulaye Ndiaga Sylla ne considéraient pas l’évènement comme certains en ont voulu donner l’orientation, car il émettait des réserves dans ses publications. C’est l’audace qui nous a amenés à dire non quand il le fallait. Cette constance fait partie de notre réalisme car pour être intellectuel, il ne suffit pas seulement de savoir lire, manier une langue. Mais, il faut aussi savoir prendre ses responsabilités. C’est cela qui prévaut à Walf où les gens prennent leurs responsabilités en disant ce qu’ils pensent et en donnant la parole aux uns et aux autres, sans pour autant empêcher à l’autre de s’exprimer, pour une raison ou pour une autre. C’est une option avec son prix à payer.
Comment se porte l’environnement de la presse sénégalaise ?
Nous sommes dans un pays où les défis à relever sont nombreux. L’environnement de la presse est difficile sur le plan économique. Maintenant, il faut se battre comme par le passé et rien ne sera plus difficile que le passé, aussi bien sur le plan économique que juridique. Les défis sont nombreux, mais avec la résistance, on pourra s’en sortir.
Un mot sur le Code de la presse…
(Hésitation) Je n’y ai pas cru depuis le début, pour une seule raison : le fait de vouloir considérer le journaliste comme un citoyen à part, avec la dépénalisation des délits de presse qui suppose que le journaliste ne sera plus condamné lorsqu’il est déclaré coupable de délit de presse. Les amendes pécuniaires vont remplacer les peines d’emprisonnement. Mais il faut constater qu’aujourd’hui, le débat a évolué car l’aspect dépénalisation, qui constituait jusque-là le facteur de blocage, est extirpé du Code de la presse. La concentration de la publicité entre la presse privée au motif que la presse d’Etat sera prise en compte par l’Etat est aussi un autre aspect du code qui fonde notre réticence. Nous considérons que les médias doivent être traités de manière égale, puisque tout le monde fait du service public, à côté des populations.
L’Etat devait prendre en charge le côté public, soit directement ou indirectement, comme cela se fait ailleurs, car le secteur des médias joue un rôle d’utilité publique. Il faut repenser le Code de la presse, en raison du fait que la presse est un service public que l’on a mis entre les mains d’un privé. Si le président de la République se permet d’aller en France pour aider des sociétés françaises en difficultés pour qu’elles ne tombent pas en faillite et même prendre des photos avec ses travailleurs arborant leurs casques, pourquoi ne pas faire autant pour la presse sénégalaise ? Au même moment, beaucoup d’entreprises sénégalaises croulent sous le poids de la dette. Cela est dangereux et ne contribue pas à faire développer ce pays. Cela remet en cause l’indépendance de notre pays, le Sénégal vendu à la France.
En 33 ans, beaucoup de générations de journalistes sont passées ici, poussant certains à considérer que Walf est une école. Pourquoi n’avoir pas songé à la création d’une école de journalisme?
J’ai pensé à beaucoup de secteurs dans la presse, mais il n’est pas facile de tout faire. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas les ressources humaines indispensables pour le faire. Mais il fallait d’abord faire des étapes avec la presse écrite, la radio, la télévision et l’internet. Nous avons essayé avec une imprimerie et avec des radios thématiques comme Walf 2 et Walf 3 et aussi avec des journaux thématiques. Le domaine est vaste, même si l’on n’est pas arrivé à la création d’une école de journalisme. D’autres l’ont fait, et cela est salutaire. Nous avons misé sur d’autres champs, comme la télévision, l’édition, la production, entre autres. Devant nous, tout est possible et la création d’une école de journalisme n’est pas à exclure, car il est encore dans l’ordre du possible.
Comment voyez-vous la menace du digital sur les tabloïds ?
La technologie est toujours là pour menacer le luxe, mais l’un n’enlève pas l’autre. On a vu dans des pays très développés que malgré tout, le tabloïd est resté. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe et ailleurs, il y a toujours le tabloïd à côté du digital. Cette cohabitation existera toujours. C’est comme ceux qui parlent de la menace que constitue la presse en ligne sur la presse dite traditionnelle, notamment le journal. L’évolution n’exclut pas le passé, c’est un enrichissement plutôt et il faut savoir faire face au mariage entre la tradition et la modernité.