Sa proximité avec la Gambie place la Casamance sur une corde raide. A quelques jours de la date fatidique du transfert du pouvoir dans ce pays frontalier, la région sud retient son souffle, perturbée qu’elle est par une probable intervention militaire pourtant évitable de l’autre côté de la frontière.
Yaya Jammeh évitera-t-il le chaos à son pays ? Seul l’homme fort de Kanilaï peut apporter une réponse exacte à cette question qui s’invite quotidiennement dans les débats. Au fur et à mesure que l’on s’approche de la date fatidique du 19 janvier 2017, prévue pour le transfert du pouvoir entre «Babili Mansa» et son bourreau, Adama Barrow, l’incertitude gagne les esprits des deux côtés de la frontière gambienne. En Casamance, c’est dans la crainte d’une intervention militaire en Gambie que les populations vivent chaque jour désormais. Une inquiétude fondée sur un certain nombre de facteurs qui lient ces deux entités géographiques. Surtout que depuis une vingtaine d’années, le président Yaya Jammeh ne cesse d’apporter son soutien à la rébellion casamançaise. Les relations douteuses entre le futur ex président et le chef de la branche armée du mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), Salif Sadio avaient fini de renforcer la conviction de l’opinion, des observateurs en particulier sur le soutien dont bénéficiait la rébellion de l’autre côté de la frontière. L’illustration la plus parfaite de cette bienveillance gambienne envers le maquis est l’hospitalité accordée au chef de guerre en Gambie. Malgré les moyens déployés par l’armée Sénégalaise et le professionnalisme des services de renseignements, le chef d’état-major général du maquis du Mfdc a toujours réussi à se faufiler entre les mailles du filet. Couvé, protégé, béni et même armé par le régime gambien, Salif Sadio se la coule douce le long de la frontière entre les deux pays avec comme zone de repli, le territoire gambien où il reçoit une certaine hospitalité. Par cette action, «Babili Mansa» maintient une certaine pression sur son voisin Sénégalais. Il devient dès lors indispensable dans le processus de paix en Casamance.
Avec son possible départ du pouvoir, Cheikh professeur, El Hadj docteur Yaya Abdou Aziz James Junkun Babili Mansa Jammeh se retrouve désormais dans la même situation que son protégé, Salif Sadio. Aujourd’hui, les deux hommes ont le même combat : conserver leur pouvoir. En perdant le soutien de son protecteur de président, le chef du maquis se retrouvera entre le marteau des nouvelles autorités de la Gambie et l’enclume de l’armée Sénégalaise, très présente dans la zone. Pendant ce temps, «Babili Mansa» devra lutter pour échapper à la justice de son pays, mais pas que. Les deux «frères Siamois» se retrouvent dès lors dans une situation inconfortable, traqués par leurs ennemis, abandonnés par des proches et surveillés par la communauté internationale. Ce destin commun, selon certains observateurs, peut pousser Yaya et Salif à développer un instinct de survie qui peut déboucher sur un chaos.
Cette éventualité fragilise le sommeil des populations du sud, partagées entre l’espoir d’une issue politique à la crise gambienne et l’option militaire qui ressuscite de mauvais souvenirs. «Yaya Jammeh peut armer Salif Sadio et provoquer un nouvel embrasement en Casamance». Cette réflexion a d’ailleurs fini de s’imposer dans les débats dans la capitale du sud.
Et pourtant, ce scénario peut ne pas tenter les combattants du Mfdc. Certes, les hommes de Salif Sadio peuvent avoir le sentiment d’avoir une dette envers l’homme fort de Kanilaï, mais, risquer leur vie en défendant un président qui appartient désormais au passé peut sembler suicidaire pour eux. «On voit mal Salif Sadio s’engager dans une nouvelle aventure en sachant que sous peu, il perdra son protecteur», argumente un observateur de la crise casamançaise.
Pour le moment en tout cas, personne ne peut prédire l‘avenir. L’heure est aux spéculations avec cependant l’espoir que Yaya Jammeh entendra raison en se débarrassant de son penchant guerrier qui risque de le perdre.