L’examen du projet de loi portant Code électoral a été marqué hier par des débats houleux sur le mode de scrutin des élections législatives, le bulletin unique et les candidatures indépendantes. Mais le point qui a soulevé le plus de polémiques, c’est l’attribution de quinze députés à la diaspora sénégalaise que l’opposition fustige dès lors qu’elle n’a pas fait l’objet de consensus avec le pouvoir.
L’Assemblée nationale a procédé hier à l’examen de la loi portant modification du Code électoral. Le vote intervient quelques semaines seulement après les travaux de la revue du Code électoral à l’issue desquels pouvoir et opposition n’ont pu accorder leurs violons sur des questions telles que le bulletin unique, le mode de scrutin à un tour des élections législatives, l’organisation des élections par une personnalité neutre autre que le ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo et aussi l’augmentation du nombre de députés.
Malgré tous ces points d’achoppement, le projet de loi a été voté hier presque à l’unanimité. Mais les débats ont été très houleux. Dès l’ouverture de la discussion générale, les députés de l’opposition ont ouvert les hostilités. ‘’Nous ne sommes pas d’accord sur l’augmentation du nombre de députés de 150 à 165. Le Sénégal fait face à de nombreuses difficultés et les priorités sont ailleurs’’, déclare d’emblée Mamadou Faye. Le député de Rewmi qui s’est dit d’accord sur le principe déplore la démarche ‘’unilatérale’’ du gouvernement. Il récuse ainsi le nombre de députés attribués à la diaspora sénégalaise et sa répartition. ‘’Mais pourquoi 15 députés pour les Sénégalais de l’extérieur ?’’ s’étonne Aïssata Tall Sall, membre du Parti socialiste (PS). Au même moment, Me El Hadj Diouf persifle que l’appellation ‘’députés de la diaspora’’ fait désordre. Pour sa part, le coordonnateur du Front pour la défense du Sénégal/Manko wattu Senegaal estime que ‘’l’Assemblée nationale est l’annexe du palais présidentiel et ce n’est donc pas la peine d’augmenter le nombre de députés’’.
Macky Sall surprend l’opposition
Lors des dernières négociations entre le président de la République et le Front Manko Wattu Senegaal qui regroupe la plupart des partis d’opposition, les deux parties n’étaient pas tombées d’accord sur le principe d’augmenter le nombre de députés. Encore qu’à cette époque, le pouvoir proposait 10 députés supplémentaires. D’où la surprise hier des parlementaires de l’opposition. ‘’Nous n’avons jamais eu un accord sur le principe, encore moins sur le nombre de 15 députés’’, s’est offusqué le chargé de la communication de Rewmi, Thierno Bocoum.
Mais selon Oumar Sarr N°1, cette position des députés de l’opposition et de certains de la mouvance présidentielle relève de la pure ‘’démagogie’’. L’ex-député de Rewmi qui a été exclu du parti d’Idrissa Seck croit savoir que la diaspora mérite plus de 15 députés. A l’en croire, les Sénégalais ont besoin d’être représentés dans toute leur diversité au sein de l’Assemblée nationale. ‘Tout ce que ces collègues disent n’est que pure démagogie, il ne faut pas les écouter. La diaspora mérite 15 députés. Qu’on ne s’émeuve pas du nombre. Il faut que les Sénégalais soient représentés dans leurs diversités dans cet hémicycle’’, déclare-t-il. Son collègue Pape Birame Touré de renchérir : ’’Il n’y a aucun problème à ce qu’on attribue 15 députés à la diaspora qui apporte 900 milliards de F CFA à l’économie du Sénégal.’’
De son côté, Abdou Mbow lui, pense que l’opposition est contre les Sénégalais de l’extérieur. ‘’Vous êtes contre la diaspora, il faut l’assumer’’, a-t-il lancé, pointant du doigt Oumar Sarr du Pds et ses camarades. Faisant dans la provocation, il compte parmi les Sénégalais de la diaspora Idrissa Seck qui, selon lui, est plus présent à l’étranger qu’au Sénégal.
Il faut souligner que le gouvernement, pour matérialiser l’attribution de 15 députés à la diaspora sénégalaise, a érigé celle-ci en une 15ème région subdivisée en 8 départements que sont l’Afrique du Nord, de l’Ouest, du Centre et l’Afrique Australe, l’Europe de l’Ouest, du centre et du Nord, Europe du Sud, Amériques-Océanie et Asie-Moyen orient.
Craintes sur l’autorisation des candidatures indépendantes
En dehors de l’augmentation du nombre des députés, l’autorisation faite aux candidatures indépendantes de participer à toutes les élections a cristallisé les débats. Pour beaucoup de parlementaires, cette disposition, si elle n’est pas encadrée, risque de créer un désordre dans le champ politique sénégalais. Le député Ibrahima Sané de l’Alliance des forces du progrès (AFP) de Moustapha Niasse craint même une floraison de candidatures indépendantes, s’il n’y a pas des mesures d’accompagnement du gouvernement. ‘’Si on n’encadre pas cette disposition, nous allons nous retrouver dans une anarchie totale parce que tout le monde voudra désormais être député’’, avertit le député Cheikh Tidiane Ndiaye. Mais sur ce plan, le ministre de l’Intérieur a rassuré que des dispositions ont été déjà prises pour encadrer ces candidatures indépendantes.
Les débats à l’hémicycle ont été aussi marqués par les échanges sur les inscriptions sur les listes électorales et les enrôlements dans les commissions administratives pour l’obtention de la carte nationale d’identité biométrique à puce CEDEAO. Les députés, presque à l’unanimité, ont déploré l’insuffisance du dispositif déployé par le ministère de l’Intérieur pour permettre aux Sénégalais de s’inscrire massivement. Pour le député Mamadou Faye de Rewmi, au rythme où vont les inscriptions, il y a peu de chance que le gouvernement atteigne son objectif d’avoir 4 millions d’inscrits au moins avant les prochaines élections. A l’en croire, les Sénégalais risquent de se décourager et de ne pas s’inscrire du fait des longues files d’attente dans les commissions administratives et de la lenteur du déroulement des opérations d’enrôlement.
Le mode de scrutin en question
Outre ce grief, les députés ont également récusé le mode de scrutin que le gouvernement a décidé de maintenir dans le code électoral. Selon certains parlementaires, ce mode de scrutin relève d’une injustice dès lors qu’il permet à celui qui a le plus de voix de rafler tous les sièges mis en jeu dans une quelconque localité. ‘’Le mode de scrutin des élections législatives doit être revu. Cela ne participe à renforcer la démocratie sénégalaise’’, estime Mamadou Faye. Pour sa part, Mamadou Diop Decroix lui, refuse de comprendre une seule fois que le président de la République veuille maintenir dans le nouveau code électoral cette disposition qu’il a lui-même toujours combattue dans l’opposition.
‘’Macky Sall ne peut être contre le ‘’raw gaddu’’ quand il était dans l’opposition et militer pour son maintien aujourd’hui qu’il est au pouvoir’’, rouspète le coordonnateur du Front patriotique pour la défense de la République. Mais selon le député de l’Alliance pour la République, Abdoulaye Ndiaye, le débat est ailleurs que sur le mode de scrutin. ‘’Le véritable débat de la classe politique, c’est le taux d’abstention élevé noté pendant les dernières élections. Le président de la République a proposé aux Sénégalais un code qui prend en charge les préoccupations de l’ensemble des acteurs mais il ne peut pas satisfaire tout le monde’’, soutient-il.
L’opposition a par ailleurs profité de cette plénière pour exiger que l’organisation des élections soit retirée au ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo qui, selon elle, est partisan. Elle continue de réclamer une personnalité neutre à même d’organiser des élections de manière équitable. Mais pour le député El Hadj Diouf, ‘’le Sénégal a atteint l’âge de la maturité démocratique où les élections ne peuvent plus être truquées’’.