Au crépuscule de cette année 2016 fortement marquée sur le plan politique (référendum, création du Hcct, renonciation à la promesse de réduction du mandat présidentiel), quelle lecture peut-on faire de l’évolution d’un champ politique qui avance lentement mais sûrement vers des échéances législatives jugées déterminantes ? Dans cette analyse, le journaliste formateur et analyste politique Momar Seyni Ndiaye s’emploie à la tâche en mettant en filigrane les remous notés aussi bien au niveau des partis de la majorité que ceux de l’opposition avant de dégager des perspectives politiques pour cette année 2017. Une année assurément marquée par des joutes électorales devant à la fois consacrer l’avènement de la 13ème législature, structurer une recomposition du champ politique déjà amorcée depuis 2014-2015, et dont l’enjeu principal, pour le chef de l’État, reste de conforter sa majorité lors de cette consultation populaire du 02 juillet prochain. Un tournant.
«La recomposition politique s’est traduite au niveau de l’opposition par la perte du terrain de certaines formations et l’arrivée de nouvelles têtes de figures…»
À mon avis, la recomposition du champ politique est déjà opérée parce que nous avons maintenant des idées assez claires des différentes forces politiques qui sont en compétition ici, au Sénégal, en dépit de son étendue (environ 267 partis politiques). Je rappelle qu’en 1981, il n’était que dix-sept partis à l’élection présidentielle. Cela veut dire que, depuis lors, 250 nouveaux partis se sont ajoutés au paysage politique. Et évidemment, cela change complètement les donnes et ouvre des perspectives plus ou moins intéressantes parce que l’éclatement ne favorise pas la constitution de partis forts. En plus, cet éclatement va probablement nous conduire à des jeux d’alliance avec tout ce que cela comporte à la fois d’inconvénients mais aussi d’avantages.
Entre 2015 et 2016, le Parti démocratique sénégalais (Pds) a perdu son poids politique. Il n’est plus le parti dominant de l’opposition dans le camp duquel de nouvelles têtes de figures sont apparues pour incarner une nouvelle forme d’opposition beaucoup plus professionnelle et beaucoup plus centrée sur l’analyse économique, les problématiques socio-économiques. Ces figures sont représentées par l’ancien Premier, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko et Mamadou Lamine Diallo. Ce dernier n’est certes pas un nouveau dans le paysage politique mais, depuis qu’il est dans l’opposition, il a donné à cette opposition un certain poids. Il y a incontestablement aussi Khalifa Sall qu’on ne peut ni taxer d’opposant ni de majoritaire parce qu’étant dans une situation paradoxale où il a un discours et des pratiques d’opposition alors que son parti est dans la majorité. Il y a également d’autres personnalités comme Moussa Touré qui est dans l’opposition et qui représente quelque chose en termes de force de proposition et de poids électoral.
«Au niveau de plusieurs partis dont l’Apr, le Ps et l’Afp, la recomposition s’est traduite par des problèmes et des turbulences durant les années 2015-2016 »
Au niveau de la majorité, les choses sont restées en l’état malgré les problèmes et les turbulences qui l’ont traversée, durant les années 2015-2016. Le Parti socialiste, installé dans l’instabilité, doit aujourd’hui composer avec le départ possible de Khalifa Sall après celui de Aïssata Tall Sall qui ne font plus partie pratiquement du jeu politique du Parti socialiste dans la mesure où ils ont pris leur distance. S’agissant de l’Alliance des forces de progrès (Afp), ce parti est considérablement affaibli. Le parti de Moustapha Niasse est réduit à sa plus simple expression. Le Grand parti de Malick Gakou, il faut bien le dire, donne en tout cas le sentiment d’être plus représentatif au regard de ses énormes capacités de mobilisation. Maintenant, il faudra attendre les élections pour voir qui de l’Afp originelle de Moustapha Niasse et du Grand parti de Malick Gakou a la plus grande représentativité dans la famille progressiste.
Pour sa part, l’Alliance pour la République (Apr) est plus que jamais divisée. Le parti au pouvoir est traversé par des compétitions internes, des conflits de personnes et d’égaux qui font qu’il reste aujourd’hui, une formation extrêmement fragilisée et menacée de fragmentation à tout moment. Il y a beaucoup de mécontentements, de ressentis et de frustrations qui font que ce parti n’arrive pas à se stabiliser, à se structurer. On a presque l’impression que le président Sall qui est le président de ce parti se contente de cette situation plus ou moins paradoxale qui fait que son parti qui dirige la majorité gouvernementale a du mal à s’organiser et à orienter de manière essentielle et principale la politique gouvernementale.
Voilà un peu la recomposition politique à laquelle s’ajoutent d’autres groupes satellites comme celui des «Non alignés» et la frange venant de sortir du Front pour la défense du Sénégal/ Mankoo wattu Senegaal, des groupes qui veulent se reconstituer en tant qu’entité politique. Mais il faut dire que ces regroupements de partis sont pour l’instant totalement embryonnaires et ne sont pas encore suffisamment représentatifs. Nous avons donc en gros deux grandes forces : d’une part, la majorité autour de Bennoo Bokk Yaakar et d’autre part, l’opposition autour de Mankoo Wattu Senegaal et quelques formations satellites qui, aujourd’hui, n’ont pas encore une forte représentativité. La vérité, c’est qu’il faudra vraiment attendre les élections législatives pour savoir qui représente quoi.
«L’enjeu majeur en 2017 pour le président de la République sera de voir comment les Sénégalais…»
L’enjeu a été marqué par le renoncement de Macky Sall à la réduction de la durée de son mandat. Cette décision a été le fait marquant parce que le président avait promis de réduire son mandat en le faisant passer de sept à cinq ans mais il ne l’a pas fait. Et il n’y a pas eu de dommage politique pour lui non plus. Cela est, quand même, extraordinaire parce que ce manquement pouvait coûter très cher à son image du président. Mais, on a comme l’impression que les Sénégalais se disaient que le président avait la possibilité de réduire son mandat, il ne l’a pas fait, nous verrons ce que cela va donner en 2017. Donc, pour le président de la République, l’enjeu majeur sera de voir comment les Sénégalais lui rendront grâce ou lui en voudront de n’avoir pas respecté son engagement. Les législatives sont un excellent test, il faut dire que le référendum du 20 mars dernier n’a pas permis d’avoir une lecture plus exhaustive de ce que pourrait être l’image du président dans la mesure où il a gagné ce référendum en valeur absolue mais en valeur relative, on peut dire que cette consultation n’a pas été un grand succès dans la mesure où le taux d’abstention est extrêmement élevé. Mais i y a aussi le fait que des villes comme Dakar, Thiès et Ziguinchor résistent toujours à la poussée de la majorité en dépit des moyens extraordinaires que cette même majorité a déployés pour y avoir un succès éclatant. Je pense que si le président avait eu 75% à 80% de OUI, cela serait un bon signe pour son projet de second mandat. Pour conclure, l’enjeu de l’année 2017, notamment les élections législatives, pour le chef de l’État, est de conforter sa majorité. Et si Bennoo Bokk Yaakaar reste solide et remporte ces élections législatives, cela confirmera davantage sa légitimité et Macky Sall pourra se dire que les Sénégalais lui ont pardonné ce qui a été considéré comme une sorte de reniement.