Le patronat de la presse tout comme les journalistes, bénéficiaires de l’aide à la presse, sont dans le flou. Depuis l’annonce du ministre de la Communication de suspendre la subvention, les explications tant du côté de l’Etat que du patronat, vont dans tous les sens au point de maintenir la presse dans un tourbillon, compliqué par les conflits d’intérêt.
Tout est parti de la déclaration du ministre de la Communication de désormais suspendre l’aide à la presse pour les organes qui ne remplissent pas les critères d’octroi de la subvention, destinée aux médias. «Aucun organe de presse public ou privé ne remplit les critères fixés par la loi pour bénéficier de l’aide à la presse», a soutenu le ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye, lors du vote à l’unanimité de son budget. Et de poursuivre : «L’aide à la presse ne sera attribuée qu’aux organes qui ont respecté la loi.» Le ministre dit suivre les instructions de la Cour des comptes. «Quand la Cour des comptes donne des instructions en disant que l’aide à la presse n’est pas conforme à la réglementation, moi, j’applique ces instructions. Civilement, pénalement, pécuniairement, je suis responsable. Je n’accepterai pas de suivre la volonté des uns pour me faire sanctionner par la Cour des comptes. Je vais appliquer systématiquement la recommandation de la Cour des comptes quitte à ne pas donner l’aide. On ne peut octroyer l’aide en enfreignant la réglementation financière de ce pays», a-t-il expliqué.
Mais pourquoi avoir attendu si longtemps pour poser les conditions ? Aurait-il tenté de suivre les pas de ses prédécesseurs jusqu’au moment où la Cour des comptes l’interpelle ? En tout cas, dans un entretien publié par le site actu.sen, l’ancien ministre en charge de la Communication, Abdoul Aziz Sow, admet que, depuis la promulgation de la loi n° 96-04 du 22 février 1996, aucune des décisions d’octroi de la subvention à la presse n’a contenu les informations telles que prescrites par la loi. Mbagnick Ndiaye n’a vraisemblablement fait que suivre jusqu’ici la démarche de ses prédécesseurs.
Les reporters comme les patrons de presse et le Synpics n’ont pas tardé à réagir à cette sortie du ministre de la Communication. «Ce n’est pas une bonne décision, souligne une consœur de Zig Fm/ Sen Tv. Il fallait d’abord essayer de voir quels sont ces organes qui ne répondent pas aux critères et ensuite discuter avec eux pour savoir sur quel pied danser par la suite. Ce n’est vraiment pas une bonne décision dans la mesure où dans ce pays, rien ne va plus. Quand il se permet de suspendre l’aide à la presse dont certains ont besoin pour la bonne marche de leur organe, ce sera terrible». Pour un confrère du Quotidien, Mbagnick Ndiaye «cherche juste l’effet d’annonce. S’il voulait réellement lutter contre l’opacité de l’utilisation des fonds, il allait en premier lieu publier l’aide. En 2015, l’aide n’a pas été rendue publique. En deuxième lieu, on sait tous comment l’utilisation de l’aide à la presse se passe. On n’a pas besoin d’entrer dans les détails. S’il veut réellement lutter contre l’opacité, il connaît les voies et moyens plutôt que de chercher à se faire un nom ou une entrée politique».
La réaction du patronat ne s’est pas attendre. Dans un communiqué, le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) accuse le ministre de banditisme fiscal, de tenir des affirmations «mensongère» et de violer la loi. Pour les patrons de presse, «Mbagnick Ndiaye avait doublement violé la loi en ne respectant ni les critères d’attribution, ni l’obligation de publication de l’arrêté de répartition de l’aide à la presse…» A les en croire, «le ministère n’a aucune donnée factuelle sur les acteurs du secteur des médias et leur apport dans le développement économique et social. Le ministère de la Culture et de la Communication connaît-il le chiffre d’affaires des entreprises de presse, le nombre d’emplois du secteur, les mutations socio-économiques… Pour Mbagnick Ndiaye, seul compte le critère politique, d’où les dérives entre autres sur l’aide à la presse ou la Maison de la presse»
Si certains s’expriment publiquement sur la gestion du ministre, d’autres se sont confiés dans l’anonymat. Une source proche du ministère révèle que «l’aide à la presse est une vraie mafia. L’Etat a intérêt à la distribuer parce qu’il trouve son compte dans la distribution de l’aide. La répartition se fait de manière nébuleuse. Personne ne connaît la clé de répartition, ni sur quelle base un organe gagne plus que l’autre. L’arrêté ministériel qui fixe la répartition n’est jamais publié depuis que le ministre est là. A se demander si c’est de manière officieuse qu’elle se fait. Si le ministre a sa radio, il y a des agents du ministère qui créent leur presse pour bénéficier de l’aide. Ce qui est un conflit d’intérêt extrêmement grave. C’est du détournement d’objectif. L’aide à la presse est utilisée pour financer les activités du ministère, c’est le cas du séminaire sur le code de la presse… Ce sont eux qui détournent l’argent de l’aide à la presse. Il ne faut pas qu’ils fassent porter le chapeau aux journalistes».
Si la décision du ministre a créé un clash avec des patrons, des journalistes approuvent la décision du ministre. Ils rappellent, «quand les conditions ne sont pas réunies, tout décaissement d’un centime est synonyme de détournement de deniers publics».
UN FONDS A LA PLACE D’UNE AIDE
Ces formules de financement de la presse à explorer
Pour écarter la polémique, Mamoudou Ibra Kane, du Groupe futurs média, propose la mise en place d’un fonds en lieu et place de l’aide à la presse. A l’en croire, cette aide à la presse ne fait pas vivre la presse : «Il faut qu’on évite de faire croire à une opinion non avertie que c’est grâce à l’aide à la presse que nous avons des journaux, radios, télévisions ou sites d’informations. Si cela ne dépendait que de l’aide à la presse, ces organes ne vivraient pas, à fortiori survivre. Je suis pour qu’on supprime l’aide à la presse. Qu’on aille vers la mise en place d’un fonds, prévu dans le code de la presse, qui sera alimenté à hauteur de plusieurs milliards à partir d’un fonds d’aide ou de financement de la presse alimenté par les fréquences analogiques qui seront réaffectées aux opérateurs de télécommunication».
Toujours selon Mamoudou Ibra Kane, il y a des formules de financement de la presse à explorer plutôt que de toujours se focaliser sur l’aide à la presse. «L’aide à la presse au Sénégal, c’est 700 millions de francs Cfa, rappelle-t-il. Elle se chiffre en milliards dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun. L’Etat doit être inventif, chercher d’autres sources de financement. C’est cela qui permettra d’avoir une presse de qualité». C’est parce qu’on encourage la médiocrité dans le mode de financement de la presse, il y a des organes qui n’existent que pour l’aide à la presse.
BON A SAVOIR
Critères d’éligibilité à l’aide à la presse
Le Secrétaire d’Etat à la Communication, Yakham Mbaye, a rappelé récemment les critères de l’aide à la presse. Pour la presse écrite, il s’agit de tirer 2 000 exemplaires par jour, d’employer 5 professionnels, de consacrer 75 % du journal à l’information, d’obtenir un 1/3 des ressources de la vente ou de la publicité et enfin d’être à jour par rapport à l’administration fiscale et à l’Ipres.
Dans son communiqué, le journaliste, Bachir Fofana revient en détail sur les pièces à fournir, à savoir :
1 – Une copie de la déclaration de parution.
2 – Un numéro d’identification ISSN.
3 – 5 contrats de travail des personnes employées
4 – Etre en règle avec le fisc
5 – Un reçu de l’imprimerie sur tirage au moins de 2 000 exemplaires.
6 – Un certificat de ressources dont la provenance vient des abonnements, des souscriptions, de la vente de ses publications
7 – Une photocopie des statuts de la société
8 – Une photocopie de la carte nationale d’identité du déclarant responsable
9 – Des exemplaires du bilan financier de l’année
10 – Un dossier de la ligne éditoriale dont les 75 % sont consacrés à l’information politique, culturelle, sociale ou sportive.