Si le Cnra devait évaluer les télévisions en matière de régularité et de visibilité de leur programme, elles auraient toutes une note faible. Heures de démarrage inconnues, retard sur le début et la fin des émissions, improvisations… rien ne se fait dans une rigueur horaire. Ce qui n’est pas une exception au Sénégal.
Les télévisions sénégalaises souffrent d’une indiscipline en matière de ponctualité et de visibilité dans la diffusion de leur programme. C’est l’un des aspects qui ressort du rapport 2015 du Conseil national de régulation audiovisuel présenté avant-hier au chef de l’Etat. Dans la semaine du lundi 29/09/2014 au dimanche 05/10/2014, l’équipe dirigée par Babacar Touré a fait du monitoring sur les 5 chaînes supposées être les plus suivies au Sénégal à savoir Walf Tv, 2Stv, RTS 1, Sen Tv et Tfm. L’objectif était de relever les écarts entre les horaires de diffusion annoncés et ceux qui sont effectifs pour mieux évaluer leurs conséquences sur l’économie des médias.
Le travail ainsi fait a permis de découvrir ‘’le flou des heures de démarrage comme de la fin des programmes de la journée, les défaillances de la signalétique, l'anarchie des annonces publicitaires, l'improvisation de la programmation’’. Cette absence de maîtrise du timing fait que les écarts de programme cumulés peuvent aller de 1 heure 36 minutes 33 secondes à 4 heures 12 minutes 13 secondes. Pour ne pas laisser du blanc, les télés ont l’habitude de meubler les retards par des prolongations du générique, de la réclame ou de l’autopromotion par bandes annonces d'émissions.
Pourtant ces dysfonctionnements apparemment anodins sont lourds de conséquences puisque, selon le Cnra, il induit ‘’de l'énergie gaspillée, des heures de travail supplémentaires improductives, des déficits de crédibilité vis-à-vis des annonceurs et du public forcément déboussolé, donc des pertes d'audiences et de recettes’’. Parlant justement de rentrée financière, le gendarme de l’audiovisuel a essayé d’évaluer le manque à gagner découlant du non-respect des heures. Partant du principe selon lequel une minute de production-diffusion en télévision coûte environ 300 000 F, la structure a chiffré le préjudice. Rien que durant la semaine d’évaluation, les 5 chaînes ont subi une perte cumulée de 219 160 000 francs Cfa, occasionnée par les seuls dysfonctionnements de programmation. Cette perte est répartie comme suit : la RTS subit un trou de 75 600 000 F Cfa suivie de Walf Tv avec 45 415 000 F. Vient ensuite Sen Tv avec 40 230 000 F. La 2Stv et la Tfm presque ex-aequo ferment la marche avec respectivement 28 965 000 F et 28 885 000 F.
Pour ce qui est du démarrage, le rapport note que les fortunes sont diverses. Si certaines télés essaient d’ouvrir avec des émissions religieuses, d’autres par contre sont dans l’informel absolu. Ce qui fait qu’il est impossible pour le téléspectateur de savoir quand est-ce que le programme va réellement démarrer. Mais le mal ne s’arrête pas au petit matin, il continue durant toute la journée. Car, si l’on en croit le Cnra, l’absence de visibilité se prolonge. Tout est fait par pilotage à vue. ‘’Il est donc impossible, pour certaines chaînes, d'établir une grille de programmes si l'on se réfère à la diffusion effective des émissions’’, regrette-t-on.
Chaîne, annonceurs et téléspectateurs, tous des victimes
De ce fait, de la chaîne elle-même aux téléspectateurs en passant par les annonceurs, tout le monde en est victime. S’agissant de la première, elle perd en ‘’consommation d'énergie et mobilisation improductive du personnel’’. Or, rien ne garantit que les professionnels des médias qui en subissent les conséquences en heures supplémentaires soient rémunérés en conséquence. ‘’Quant à l'annonceur auquel il est vendu, une tranche horaire censée concentrer le plus grand nombre de téléspectateurs, il peut être saisi d'un doute ou se sentir floué, si l'heure à laquelle sa réclame devait passer n'est pas respectée’’, ajoute le document. Et si jamais il a un emploi du temps qui ne lui permet pas de suivre les horaires aléatoires des médias, il ne pourra guère vérifier. Le tort est donc manifeste. Pour ce qui est du public, il ne peut suivre ses émissions préférées que par le ‘’matraquage sauvage de contenus’’. Le risque ici est de soumettre les mineurs à des contenus qui ne leur sont pas destinés et qu’ils ne doivent pas suivre.
Et même si une émission est diffusée à une heure plus ou moins précise, le téléspectateur n’est pas sûr du démarrage effectif à temps. En effet, beaucoup de journaux télévisés ou autres émissions accusent généralement un retard. Et le constat fait par le Cnra est que les présentateurs n’éprouvent même pas le besoin de présenter des excuses ; sauf si le retard est important. ‘’Ce qui dénote une accoutumance au retard d'une ou deux minutes et qui ne semble pas émouvoir grand monde’’. Le même problème est relevé pour la durée, puisqu’il est difficile, voire impossible de dire avec exactitude l’heure de la fin, du fait de débordements incessants. ‘’Un modus vivendi permettrait aux différents protagonistes de mieux cerner le rapport à la télévision, sachant que les tranches horaires de diffusion devraient se soucier des mœurs sociales’’, suggère le Cnra qui propose aussi l’intégration de la rediffusion pour mieux prendre en compte la diaspora et éviter le ‘’remplissage improvisé’’.
Toutes ces failles ont conduit Babacar Touré et Cie à se poser des questions sur l’organigramme et la qualité de la ressource humaine. Pour eux, il y a nécessité à faire attention sur des postes stratégiques qui demandent des compétences spécifiques. ‘’Si certains postes demeurent vacants ou que leurs titulaires n'ont ni la formation ni les compétences qui auraient dû les y préparer, les répercussions sur le rendement ne peuvent que s'en faire ressentir’’.