Ses œuvres vont le rendre immortel. On se souviendra toujours d’Ousmane Sow, rappelé à Dieu ce 1er décembre à l’âge de 81 ans, en voyant ses créations.
Il ne passait jamais inaperçu. Pas uniquement du fait de sa barbichette blanche, mais surtout grâce à sa taille imposante. Du haut de son mètre 93, il dominait bien des têtes dans la foule qui l’entourait lors de manifestations auxquelles il prenait part. Ses sculptures sont tout aussi géantes. Elles lui ont valu sa renommée. Mais l’artiste sénégalais Ousmane Sow n’est plus de ce monde, depuis hier. L’annonce a été faite par sa famille. ‘’Il emporte avec lui rêves et projets que son organisme trop fatigué n’a pas voulu suivre’’, a déclaré celle-ci, selon des propos rapportés par le site Le Monde. On apprend qu’Ousmane Sow a passé plusieurs séjours, en 2016, dans des hôpitaux de Dakar et de Paris.
A 81 ans, il est décédé après une vie assez remplie et ‘’accomplie’’. Premier artiste noir à avoir intégré l’académie des Beaux-arts de Paris, Sow était d’une habileté qui ne souffrait d’aucune contestation. Très jeune, il a commencé à dessiner sur des blocs de calcaire au bord de plages dakaroises. Mais, ce n’est que bien plus tard qu’il versera dans l’art. En effet, en 1956, après le décès de son père Moctar Sow, il part pour Paris afin d’y suivre des études. Dans l’hexagone, ‘’il y accomplit des études d’infirmier, puis une formation de kinésithérapeute, tout en vivant de petits métiers et en fréquentant des élèves de l’Ecole des Beaux-arts’’, indique-t-on sur internet. Un métier de kinésithérapeute qu’il exercera en banlieue parisienne et à Dakar, jusqu’à ses 50 ans.
C’est à cet âge qu’il a décidé de se consacrer à l’art. Il allie massage et sculpture dans son cabinet qui lui sert aussi d’atelier. Il y fabrique ses premières marionnettes. ‘’A son retour au Sénégal, en 1978, il se consacre à son art. Ayant mis au point une technique sur laquelle il est demeuré très avare de précisions techniques, il construit et modèle ses premières grandes figures, la série Nouba, du nom du peuple qui vit au Soudan. Il n’est pas le premier à s’intéresser à eux et à leurs luttes rituelles : le photographe britannique George Rodger, puis la cinéaste allemande Leni Riefenstahl – surtout connue comme propagandiste du régime nazi – leur ont consacré des reportages devenus célèbres. Leurs images contribuent à la préparation des groupes de lutteurs et de jeunes femmes que Sow crée au début des années 1980 et qui lui valent une reconnaissance rapide et internationale. Montrés à Dakar et à Paris, à Genève et à New-York, ils poursuivent leur carrière à la Documenta de Kassel en 1992 et à la Biennale de Venise en 1995’’, informe Le Monde. Ainsi, de ses petites tailles, il passe à des monuments. Des sculptures qui lui ressemblent beaucoup.
Né le 10 octobre 1935 à Dakar, Ousmane Sow, sixième enfant de ses parents, était de sang royal. De par sa mère Nafi Ndiaye, membre d’une grande famille saint-louisienne, l’artiste a pour grand oncle Lat-Dior Ngoné Latir Diop. Un siècle plus tard, Ousmane Sow fait des guerriers africains l’un de ses principaux motifs, l’histoire de sa famille et celle du Sénégal n’y sont donc pas pour rien, d’après certains critiques. Mais ce n’est pas seulement cela qui transparaît dans ses œuvres ou qui fait parler sa muse. ‘’D’un réalisme appuyé, d’une échelle souvent supérieure à la taille humaine, ces nus suggèrent le mouvement avec une justesse où se ressent la science anatomique de l’artiste’’. Ses études en infirmerie lui ont permis d’avoir une certaine connaissance de cela.
‘’Pour autant, il ne craint pas d’aller vers un héroïsme épique, modelant torses, avant-bras et cuisses d’athlètes d’une puissance telle qu’ils semblent rivaliser avec les Titans que le maniérisme italien aimait à imaginer à la suite de Michel-Ange. Après les Noubas, il s’attache aux Masaï, éleveurs et guerriers d’Afrique de l’Est et aux Zoulous, qui réussirent à tenir tête et même à vaincre parfois les colons boers et britanniques dans ce qui est aujourd’hui l’Afrique du Sud. Viennent ensuite, dans les années 1990, les Peuls, qui forment une partie de la population du Sénégal. Sow en donne à voir des scènes d’une vie quotidienne d’autrefois dont il ne reste plus que souvenirs et photographies. Les signes du monde moderne sont en effet absents de ses œuvres’’, fait remarquer Le Monde.
Même s’il vit entre le Sénégal et la France, depuis 1956, c’est seulement en 1999 que le grand public du pays de Marianne le découvre. ‘’En 1999, il se saisit d’un sujet à la fois lointain et proche : la bataille de Little Bighorn, au cours de laquelle, en juin 1876, Sioux et Cheyennes anéantissent le 7e régiment de cavalerie du lieutenant-colonel Custer. De cet épisode symbolique de l’invasion des territoires indiens, Sow fait une scène tumultueuse, chevaux, combattants des deux camps, cadavres et prières. Elle est présentée durant l’été 1999 sur la Passerelle du Pont des Arts à Paris, en compagnie de pièces des séries antérieures. Cette manifestation, qui est réputée avoir été vue par 3 millions de personnes, fait de l’artiste une figure indubitablement populaire et il l’est resté depuis lors’’. Puisqu’il a pu être intégré, bien des années après, à l’académie française des Beaux-arts au fauteuil du peintre américain Andrew Wyeth.
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KALIDOU KASSE (artiste plasticien) : ‘’Un grand baobab est tombé’’
‘’Un grand baobab est tombé. Son travail va rester dans la mémoire collective. Ousmane Sow est quelqu’un qui a su marquer son temps et son époque. Il a sa mission bien remplie. Ce que nous devons faire, c’est nous incliner devant sa mémoire et prier pour le repos de son âme et dire qu’il a relevé le défi en intégrant l’art africain dans l’espace contemporain pour redonner toutes ses lettres de noblesse à cet art-là que Senghor avait tant défendu. Avec son entrée a l’académie française des Beaux-arts, il a su que l’art africain a de la valeur a travers le monde. Aujourd’hui, les plus grandes ventes aux enchères dans le monde proposent les œuvres d’Ousmane Sow. Ce qui fait la fierté du Sénégal. On sait aussi que dans différents coins de la planète, les œuvres d’Ousmane Sow y sont présentes. Ses œuvres ont représenté le Sénégal partout. Sa discrétion m’a beaucoup marqué, sa rigueur dans le travail. Il n’aimait jamais se mettre devant. Chaque fois qu’on le voyait, il était très discret. La dernière fois que je me rappelle l’avoir vu, c’est quand on s’est rencontré au Grand-théâtre, lors de l’exposition hommage à Isseu Ndiaye le grand peintre. Il était venu pour témoigner sur l’œuvre d’Isseu Ndiaye, car ils étaient amis et étaient de la même génération.’’
Babacar Mbaye Diop (critique d’art) :
‘’Ousmane Sow est un artiste contemporain au vrai sens du terme’’
‘’Le décès d'Ousmane Sow est une grande perte pour le Sénégal et pour l'Afrique. Je dirais même pour le monde entier. Car le géant, comme on l'appelait souvent, était connu partout dans le monde. Dans le rapport de Jean-Philippe Aka de 2014 sur le marché de l’art africain contemporain et celui de 2015, il figure parmi le Top 100 des artistes africains les plus côtés. En 2009, son "Couple de lutteurs aux bâtons" est acquise chez Christie’s pour 73 000 €, et ‘’Guerrier debout’’, œuvre créée en 1989 faisant partie de la série des Masaï, emportée pour 121 000 €. L’ensemble de ses sept sculptures monumentales intitulé Zoulous est adjugé à 528 695 € à François Pinault. Ousmane Sow est un artiste contemporain au vrai sens du terme. Il s’inscrit dans des recherches contemporaines au niveau mondial, mais utilise très souvent des matériaux naturels de son Sénégal natal. Dans la série sur "Little Big Horn", il utilise la technique du "brûlé". Il brûle, crée des figures et modèle des formes définitives.
Il se détourne des canons académiques. Pour lui, l’émotion est ‘’le commencement de l’art’’ : ‘’il manquerait quelque chose à un art qui ne pourrait pas procurer d'émotion’’. Cette émotion est d’abord ‘’causée par la création, puis par l'œuvre accomplie’’. Il n’y a pas de logique dans sa démarche créative. Seule sa sensibilité le guide. Les "Noubas", les "Masaï", les "Peuls", les "Zoulous" ne représentent pas toute l'Afrique, mais lui-même ne peut expliquer pourquoi les "Zoulous" et non les Wolofs. Il essaie de rester fidèle à l'histoire de chaque peuple. L’art est pour lui un mode d'expression. Quand on parle, c'est pour être compris. De même, il pense que s’il fait de l’art, c’est pour que les gens le comprennent ; sinon ils ne peuvent pas s'y intéresser. Ousmane Sow est un artiste engagé. Il raconte l'injustice, l’histoire, la souffrance, la guerre. Son art est contemporain, mais ne peut donc se définir sans référence au passé et à la tradition des peuples qu’il sculpte. Pour créer ses œuvres, il utilise de l’argile mais aussi des produits industriels locaux ou importés. Ce qui relève d’une certaine forme d’art traditionnel peut bien être contemporain.’’
Viyé Diba (artiste plasticien)
‘’Son sens de l’humain m’a beaucoup marqué’’
‘’Ousmane est un grand artiste. Il fut grand pour plusieurs raisons. D’abord pour son rapport avec le corps. Son travail vient de son expérience de kinésithérapeute qui lui a permis de passer le corps, de toucher et de communiquer avec le corps et cela a un rapport avec son travail artistique. C’est quelqu’un qui maîtrise parfaitement l’anatomie du corps humain et le plus important dans sa vie, c’est qu’il a inventé une matière à lui. Une matière composée d’un mélange magique dont lui seul possède le secret. Je crois que c’est d’abord important le fait qu’il ait inventé une matière à lui, mais aussi, le sujet qui traite en général des questions qui sont profondément humains. C’est quelqu’un qui a un rapport très solide avec l’art et la question de la dignité humaine. Quelque chose de très important dans son travail. Il a toujours été conscient des questions sociétales et il a toujours défendu la dignité de l’homme. C’est une grande tristesse. Je profite de l’occasion pour présenter mes condoléances à tous les artistes et à ses parents.’’
Dr Massamba Guèye (écrivain) : ‘’Un monument s’est effondré’’
‘’Elégie pour Ousmane Sow
Un monument s'est effondré
Ousmane Sow n'est plus !
Grand tu fus, que dis-je tu es
Cher Ousmane silencieux en dehors de ton talent
Tu as rendu à l'Afrique, sa gloire dans un monde qui l'ignore
La taille des sculptures qui dessinent les ruptures de l'air
Force le regard à se poser sur les formes
De tes indescriptibles belles créatures reflétant le monde.
Ousmane Sow poulo, te voila 81 ans après
Le premier cri, rendu au Ciel que tes héros toisent.
Tu voici devenu esprit, manne et père invisible
Te voici Sow poulo sur la crête des ancêtres,
Te voici, Ousmane, cher Ousmane,
Vêtu de la parure noire des nobles immaculés
Te voici, Ousmane, nous laissant ton héritage
Que nous essayerons de mériter tant il lia le monde au monde
Un géant s'est effondré, le baobab Ousmane s'est enraciné.
Ton petit frère et admirateur’’
HABIBATOU WAGNE – BIGUE BOB