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El Hadj Barry Kamara, professeur de droit à l’Ucad: "La loi sur le gaspillage ne saurait tomber en désuétude"
Publié le lundi 28 novembre 2016  |  Sud Quotidien




La loi sur le gaspillage n’est pas désuète. Mieux, une loi ne saurait tomber en désuétude. Elle peut ne pas connaître, à un certain moment, une série d’application, mais, en tout état de cause, elle peut toujours être réactivée. Donc, la réactivation de ce texte pourrait contribuer à contrer la pression de la société sur les jeunes, obligés de «réussir» par tous les moyens, quitte à commettre l’irréparable.

Au Sénégal on aime toujours évoquer la dureté de la vie. Pourtant au regard de ce qui se passe lors de cérémonies, l’on n'a pas l'impression de vivre dans un pays pauvre. La folie dépensière dans les mariages, baptêmes, anniversaires, et même funérailles, entre autres, est très flagrante. Cette forme de «bamboula» n’est pas sans conséquence dans les communautés en ce sens qu’elle se transforme en pression sur ses membres, notamment sur les jeunes. Ces derniers sont obligés de «réussir» par tous les moyens, quitte à commettre l’irréparable, à voler, braver les océans ou… tuer.

Suffisant pour que le Président Sall, qui présentait ses condoléances à la famille de la vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental, assassinée à Pikine, en appelle à une introspection. «La société doit diminuer la pression qu’elle exerce sur ses membres». Selon lui, «on dit à nos enfants ‘’Danga Wara tekki’’ coûte que coûte». C’est à cause de ces pressions que nombre de jeunes bravent «les eaux méditerranéennes au péril de leur vie, voulant coûte que coûte réussir», a dénoncé Macky Sall.

COMME LA CREI, REACTIVER LA LOI 67-04 DU 24 FEVRIER 1967 CONTRE LES GASPILLAGES

Pourtant, le Sénégal s’est doté d’une loi contre le gaspillage dans les cérémonies. La loi 67-04 du 24 février 1967 contre les gaspillages dans les cérémonies familiales et religieuses dispose que «Toute personne est libre de célébrer par des cérémonies, conformément aux rites de son culte ou de sa coutume, les événements familiaux du baptême, de la circoncision, de la communion solennelle, des fiançailles, du mariage, du retour de pèlerinage aux Lieux Saints, des décès et inhumation. Toutefois, ceux qui procèdent ou participent à ces cérémonies doivent se conformer strictement aux prescriptions de la présente loi 67-04 du 24 février 1967».

Mieux, la même loi a prévu des sanctions. «Lorsqu’il résulte de l’ampleur des réjouissances, de la rumeur publique ou de tous autres indices, des présomptions que des infractions à la présente loi ont été commises, les chefs de village et les délégués de quartier sont tenus d’en informer l’officier ou l’agent de police judiciaire compétent le plus proche». Mais cette loi n’est toujours pas appliquée dans le pays, elle semble tomber en désuétude pour certains.

Selon El Hadj Iba Barry Kamara, professeur de droit à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, le caractère désuète de cette loi n'a rien de surprenant. «On n’a jamais cessé justement de convoquer cette loi. Cette loi a été prévue pour effectivement rationnaliser les dépenses lors des cérémonies familiales. Vous me parlez tout à l'heure de la désuétude de la loi, pour moi, une loi ne saurait tomber en désuétude. En fait, une loi peut ne pas connaître, à un certain moment, une série d’application. Mais, en tout état de cause, elle peut toujours être réactivée. Nous avons déjà discuté de la loi sur la Crei (Cour de répression de l’enrichissement illicite, ndlr), depuis 1981 cette loi n'a jamais été utilisée. Il a fallu l'avènement de ce nouveau régime pour que l'on remette au goût du jour une telle loi. C'est vous dire que du point de vue juridique, véritablement une loi ne saurait perdre sa valeur que lorsqu'elle est effectivement abrogée. Et, l'abrogation ne peut intervenir que de manière passive ou de façon expresse. Et je ne pense pas que ça soit le cas pour cette loi de 1967».

«IL Y A UNE CARENCE DE LA PART DES AUTORITES…, CE QUI N'EST PAS NORMAL»

Pr El Hadj Iba Barry Kamara précise que «lorsque les autorités, c'est à dire l'organe créateur de la loi, se contentent de créer la loi, il appartient à d'autres organes de veiller à son application, à son effectivité. Ce n'est pas le cas pour cette loi. Donc, il y a une carence de la part des autorités administratives, policières et des juges, ce qui n'est pas normal». Et le Pr Kamara de rappeler que, par rapport à la dot pour le mariage, «la loi a fixé un certain montant, mais l'on voit que ce montant fixé par le législateur est aujourd'hui multiplié par cent. Ce qui est une irrégularité même si, dans la pratique, lorsque qu'il faudrait y mettre fin, en cas de divorce, lorsqu'il frauderait restituer les prestations, la femme ne doit restituer que le montant que la loi a effectivement prévu. Ça, c'est une réalité au Sénégal. La loi a toujours un caractère général, impersonnel, mais surtout obligatoire. Ce qui fait qu'une loi soit effective, c'est son caractère obligatoire, en fait, l'aspect «sanction» même de cette loi. Lorsqu'il y a une loi qui a été prévue, ceux qui contreviennent à cette loi doivent être sanctionnés», martèle El Hadji Iba Barry Kamara, enseignant à la Faculté de Droit de l’Ucad.

OUSTAZ ALIOUNE MBAYE, PRECHEUR A SUD FM SEN RADIO : «Il faudrait que les gouvernants servent d’exemples dans leurs comportements et leurs manières de gérer les fonds publics»

«On est dans une société où on met en avant le matérialisme parce qu’on ne suit plus les lois et les chartes recommandées par la religion, musulmane ou catholique, car toutes les deux ont des règles à respecter. On ne se base plus sur la religion, on met en avant le luxe. On trompe notre conscience souvent en disant qu’on est musulman alors qu’on ne respecte pas les préceptes de l’Islam. Pour preuve, quand la religion recommande une chose, on regarde ce qui nous arrange et on le fait. De nos jours, on vit au dépend de la laïcité et de la démocratie. Dans les cérémonies, c’est juste au début qu’on applique l’Islam. Tout ce qui vient après est satanique: la belle vie par exemple, la dot incommensurable, les réceptions, les robes de mariés, les accolades en public. C’est ce qui justifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontées aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, il est difficile maintenant d’avoir un mari ou une femme. Si on se basait sur les préceptes de la religion, tout serait facile. Le problème résulte des agissements des hommes sur terre. Si on ne fait pas attention, ce sera encore pire…

LA RESPONSABILITE DES HOMMES POLITIQUES

…Egalement, les autorités, surtout les politiciens, ne jouent pas le jeu. Dans cette situation, ils ont une véritable part de responsabilité car ils ne remettent pas en cause la pauvreté. Si tu ne fais pas la politique, personne ne te choisit comme marraine, parrain, on ne te considère pas. Ce sont eux qui distribuent de l’argent à outrance dans les baptêmes, les cérémonies religieuses, les mariages, les funérailles. Et les gens aussi les imitent. Dans leurs services, on leur donne du crédit, de l’essence, une belle maison et ils les utilisent comme ils veulent. Aujourd’hui, seuls les politiciens ont beaucoup d’argent, c’est pour cela qu’ils sont plus privilégiés dans toutes les activités.

Maintenant, chacun veut faire ou vivre comme eux alors que la plupart n’a pas les moyens. C’est justement cela le hic car ils poussent les gens à s’endetter, à voler, à commettre des crimes, etc. juste pour se faire remarquer. Alors que quelques mois après, c’est la galère. Il faudrait donc que les gouvernants donnent de bons exemples dans leurs comportements et dans leurs manières de gérer les fonds publics. Il faut changer les modes de vie. L’argent qu’on distribue dans les mariages, les cérémonies religieuses, la dot, cela ne fait que détruire la société car ce n’est pas de la religion. Pour lutter contre ce phénomène, il faut donc rééduquer les gens, retourner aux valeurs morales et musulmanes, ne pas mentir, ne pas tromper sa femme et regarder Dieu à travers tout ce qu’on fait.»

DJIBY DIAKHATE, SOCIOLOGUE : «Nos sociétés ont connu des métamorphoses qui ont installé le triomphe de l’esprit individualiste, matérialiste»

«Ce qu’il faut voir, c’est que dans nos sociétés traditionnelles, les cérémonies faisaient l’objet d’une prise en charge communautaire. Donc, ce n’était pas l’affaire d’un individu, mais c’était l’affaire d’un clan, d’un groupe. Maintenant, nos sociétés ont connu des métamorphoses qui ont installé le triomphe de l’esprit individualiste, matérialiste. Cela veut dire que les cérémonies familiales sont de plus en plus, pour certains, comme des moyens d’accès à des ressources en exerçant une pression sur les organisateurs. Et, cette pression passe, le plus souvent, par essayer de prendre le public comme témoin. C’est quand un griot ou un membre de la famille demande l’argent. Comme si, quelque part, on voulait exposer la personne concernée à une pression forte de la communauté en sorte qu’elle ne fasse autre chose qu’accéder à la demande des gens. Maintenant, cette demande prend des formes diverses. Par exemple, dans le mariage, on pourra demander un sac de riz pour l’oncle, les autres membres de la famille. Bref, on a trouvé de nouveaux postes qu’on ne connaissait pas naguère, mais qui constituent des leviers sur lesquels les gens agissent pour soutirer de l’argent aux principaux concernés. C’est aussi les mêmes situations dans les baptêmes, de sorte que finalement organiser une cérémonie familiale, de plus en plus chez-nous, c’est non seulement prendre en charge les dépenses incompréhensibles, c’est-à-dire qu’il faut payer pour manger ou pour boire…

LA SOCIETE DEPOUILLE SES MEMBRES EN PERMANENCE

… Mais c’est aussi intégrer des demandes qui s’expliquent de tous les côtés et qui ont essentiellement pour objectif de soutirer de l’argent à l’organisateur sans pour autant se soucier des lendemains de la personne concernée. Après, voilà quelqu’un qui, non seulement n’a pas été assisté, n’a pas été appuyé, mais a été dépouillé. Au niveau de nos dispositions législatives, il existe une organisation ou un encadrement des cérémonies familiales. La loi dit non aux dépenses onéreuses et aux gaspillages dans les cérémonies familiales, mais on se rend compte que dans la pratique, il y a une très grande distance, y compris de la part de ceux-là mêmes qui sont chargés de faire respecter la loi.

En réalité, le gaspillage est devenu une réalité plus ou moins massive chez-nous, il est banalisé, légitimé, les dépenses onéreuses et donc une cérémonie familiale notamment pour certains ménages, c’est l’occasion de montrer qu’on n’est pas le dernier d’une classe et qu’on a la possibilité de satisfaire les attentes de toute la communauté. Donc là, l’autorité devrait normalement faire respecter la loi de façon stricte, mais on se rend compte qu’à ce niveau-là, la loi existe, mais tout le problème réside dans la réalisation ou le fait de faire respecter la loi par les gens qui organisent des cérémonies…

IL FAUT SENSIBILISER

… En guise de solution à ce fléau, il faut travailler à sensibiliser davantage les gens pour leur faire comprendre qu’une cérémonie est importante car c’est des moments de rencontre, de communion, de fêter avec toute la famille, mais il faut rationaliser les dépenses. Une dépense rationnelle est une dépense qui ne crée pas de problèmes le lendemain. Amener les gens à se rendre compte qu’il faut fêter, mais de manière raisonnable, sans pour autant dépasser ses possibilités et sans pour autant verser dans l’endettement qui nous anéantit après ou même dans le détournement.
On a vu récemment quelqu’un qui a tué parce que simplement il voulait se marier. Je crois qu’il faut que les gens soient un peu plus raisonnables et qu’ils se rendent compte qu’il faut fêter sans sortir des limites raisonnables. Je crois aussi que les imams, à ce niveau, ont un rôle à jouer dans leurs prêches, de même que les prêtres et les médias. L’école aussi doit jouer son rôle et ceux-là qui sont dans le théâtre, car ils devraient amener les gens à changer de comportements. Mais, des fois, dans certaines pièces de théâtre, on a l’impression qu’on nous fait rêver.»

PERE PAUL MARIE MANDIKA, MISSIONNAIRE DES OBLATS DE MARIE IMMACULEE (OMI) : «Nos familles font beaucoup de chantage aux jeunes par rapport à la dot»

«Je pense que nous ne devons pas nous jeter la responsabilité car la question de la dot concerne avant tout les familles et aucun homme religieux, politique ou coutumier ne pourra donner des solutions applicables pour tous, qui ne soient, en elles-mêmes, des propositions. Pensez-vous que le président de la République peut donner des injonctions à une famille concernant son mode de vie interne ou sa façon de se gérer ? Je ne pense pas. Pensez-vous que Monseigneur Benjamin ou le Grand Serigne de Dakar... peuvent dicter à une famille la façon de donner leur fille en Mariage ? Je pense que non.
Par contre, ce qu'ils peuvent faire, c'est exhorter les gens à moins de dépenses pour faciliter aux jeunes de prendre femme sans trop de soucis financiers. Notre religion et toutes les religions d'ailleurs sont contre le gaspillage. Et les guides religieux de toutes les confessions religieuses ont toujours attiré l'attention des fidèles sur certaines pratiques telles que celle qui concerne la dot.

En ce qui concerne la dot dans ma religion, je n'ai vu nulle part (sous réserve de me tromper), dans la Bible où Jésus a parlé de dot, ni Saint-Paul, qui d'ailleurs a beaucoup parlé du mariage, se prononcer sur la question de la dot. Ce sont des pratiques strictement liées à nos cultures, et qui ne sont pas mauvaises en tant que telles, mais là où se pose le problème, c'est comment d'une culture à une autre cette pratique est-elle vécue?

Du point de vue personnel, je trouve que nos familles africaines, et sénégalaises en particulier, font beaucoup de chantage aux jeunes garçons comme filles par rapport à la dot, ce qui n'est pas normal, ni acceptable en ces temps qui courent. Il y a, paraît-il, des ethnies qui ont réglé cette question, mais je pense que ce sont des résolutions prises quand il s'agit d'un jeune qui ne travaille pas. Car, dans ces même ethnies, lorsque c'est un jeune qui travaille qui vient demander la main de la fille, la dot est fixée par rapport à son niveau de vie. Et, pire encore, quand c'est un jeune qui vient d'une autre ethnie que celle de la fille. Ce problème constitue une épine dorsale qu'il va falloir enlever avec beaucoup de délicatesse, pour ne pas créer des malaises d'une part ou d'une autre.

Ce problème de dot n'est qu'une goutte dans l'eau de mer. Car, même si ce n'est pas la dot demandée, c'est les grandes festivités en pompe que l'on organise pour gaspiller les biens, surtout l'argent qui aurait servi à résoudre d'autres types de problèmes connexes au mariage. Je pense qu'il est temps que l'on fasse, chacun au niveau personnel, familial, communautaire, une certaine introspection sur notre mode de vie et sur notre façon de concevoir les liens du mariage».
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