Au compteur des derniers cas d’assassinats crapuleux en date au Sénégal, 13 vies ôtées avec acte ostensible de violence préméditée en l’espace de moins de deux mois seulement. Face aux officiers enquêteurs, puis aux procureurs de la République, les mobiles invoqués par les auteurs sont loin de convaincre les plus perplexes. Les circonstances du meurtre, samedi dernier 19 novembre, de Mme Fatoumata Makhtar Ndiaye, l’une des vice-présidentes du Conseil économique, social et environnemental (Cese) atteste de la légèreté des raisons avancées. Une simple tentative de vol mijotée par un chauffeur peut-elle conduire à donner la mort à sa patronne en l’égorgeant ? Même sort réservé au gardien de pharmacie à Ndioum (département de Podor). La coupe est pleine. Le doute s’impose à tous, pour dissiper le flou macabre qui pourrait, si l’on n’y prend garde, ramener le Sénégal, pays de la Téranga, à «l’Etat de nature» où chacun fait la guerre à chacun.
La violence civile a atteint son paroxysme au Sénégal. Ce constat, pour le moins inquiétant, est établi par chacun des citoyens de ce petit pays de l’Afrique, situé sur la façade ouest et s’ouvrant sur les côtes atlantiques. Il est réputé pour son hospitalité légendaire, d’où son appellation de pays de la «Téranga». Au jour d’aujourd’hui et en l’espace de moins de deux mois seulement, l’on dénombre officiellement 13 cas d’assassinats perpétrés avec préméditation, c’est-à-dire avec l’intention de donner la mort à autrui. Le dernier cas en date remonte à la nuit du lundi 21 au mardi 22 novembre à Grand Yoff, avec le jeune Benoît âgé de moins de vingt ans qui a planté un couteau dans le ventre de son ami Alfred Antoine Yassin dit «Le Roi» suite à de banales altercations.
L’avant-veille, c’est la conseillère Mme Fatoumata Makhtar Ndiaye qui a été égorgée par son chauffeur à son domicile, après échec d’une tentative de vol de la mallette contenant de l’argent. Son fils venant au secours blessé est encore admis aux urgences à l’hôpital. Dans la nuit du 6 novembre Moustapha Faye, un pharmacien et Ibrahima Diallo, le gardien ont été froidement poignardés à Ndioum. Dix jours auparavant (27 octobre) et suite à une dispute près d’une station d’essence à Yoff (Dakar), Ousseynou Diop a ouvert le feu sur le taximan Ibrahima Samb et l’a abattu à bout portant. La liste macabre des tueries est longue et présente les mêmes typologies de barbarie inouïe, aux allures de règlement de compte.
VERSION DU PROCUREUR SUR LE MEURTRE DE LA CONSEILLERE. LE DOUTE PERSISTE !
Selon plusieurs versions concordantes, la conseillère Fatoumata Makhtar Ndiaye aurait pris son chauffeur, Samba Sow, la main dans le sac, en train de soutirer l’argent qui y était dissimulé. Ne voulant pas rester avec ce déshoneur, le jeune engage la méthode barbare ayant conduit à lui soustraire la vie et blesser son fils. Cependant, cette thèse ne semble point convaincre les plus indécis qui trouvent cette version assez parcellaire et superficielle. Ne doit-elle pas inaugurer l’exploration d’autres pistes pour qu’éclate enfin la vérité ?
LE DOUTE, POSTURE DE TRAVAIL MAIS PAS POUR DESESPERER DE LA VERITE
Dans les méditations métaphysiques développées par le philosophe René Descartes, «la mise en doute de toutes connaissances vise à s’assurer de la solidité de ces connaissances. Il nous faut trouver une bonne fois pour toutes un fondement inébranlable à partir duquel nous pourrions déduire tout le reste».
A y voir de plus près, l’urgence du doute s’impose à tous comme un impératif catégorique afin de refuser de verser dans la naïveté d’un discours puéril, mais de prôner une analyse critique des faits et gestes des auteurs d’assassinats odieux. Samba Sow, jusqu’alors «correct» avec sa patronne, la posture de jeune garçon avisé et digne de confiance, peut-il se lever un beau jour, s’armer de couteau, intenter un vol portant sur des «millions de francs» et ôser affonter cette patronne, l’égorger comme une bête ? Pourquoi Samba Sow n’a pas fuit, puis présenter ses excuses, se confesser plutôt que de recourir à ce cette mesure extrême que le plus des ingrats, ne donnerait à son fidèle compagnon ? Nous doutons des mobiles invoqués. Oui, et à juste raison. Peut-être qu’autrement, ce serait la bataille de chacun contre chacun, un camp contre un autre au cas où se serait une commanditation forte. Qui sait ?
L’emprise de la drogue constitue, par ailleurs, un intrant fort dans l’accomplissement des barbaries de ce genre. Ousseynou Diop était-il lucide ce 27 octobre 2006 quand il ouvrait le feu sur le pauvre conducteur de taxis, sans arme ? Combien de banales disputes ont conduit à des meurtres odieux pour seulement une insignifiante pièce de monnaie de 25 francs, ou encore de 100 francs comme ce qui avait opposé les deux jeunes garçons de Grand Yoff avant-hier ?
LE STRESS CONSECUTIF AU CHOMAGE DES JEUNES EN CAUSE
Combien sont-ils, les jeunes diplômés dans le marché de l’emploi ? Combien en ont perdu et vivent difficilement leur nouveau statut ? Combien sont sans qualification professionnelle, mais font face à l’impératif de la survie au quotidien et tout cela à côté de gens bombant le torse dans l’opulence ?
Autant croire, sans nihilisme, que les disparités sociales et économiques nourrissent assurément les racines d’une criminalité arbitraire qui échappe à l’œil du naïf. Le baromètre qui sert à mesurer cette fièvre sociale entachante est sans doute le forte propension des jeunes à affronter les eaux les plus «personivores» que de restes impuissants à côtés de parents sans revenus. Le jeune chauffeur Samba Sow qui aurait senti l’odeur de l’argent de sa patronne avec des vélléïtés de s’en emparer pour célébrer son mariage n’aurait peut-être pas juste un besoin de combler un vide, un manque de billets de banque pour paraître digne devant ses pairs ? Qui disait que l’argent fait le roi ?
LA CIRCULATION ILLICITE DES ARMES A FEU
La tentation, c’est la propension pour un individu à agir sur ce qui lui est à portée de main. Le tueur d’Ibrahima Samb, dans une station d’essence à Yoff, aurait-il pu ôter la vie au taximan s’il n’avait pas une arme à portée de main ? Même s’il avait une autorisation de port d’arme en bonne et due forme. Mais, s’il faut s’en servir à chaque fois qu’on n’est pas d’accord avec l’autre, ce serait l’ère d’une barbarie à replonger l’humanité dans «l’Etat de nature» (absence de règles mais des droits naturels).
Qu’ en est-il de l’homme arrêté dans le département de Sédhiou, transportant deux armes, des fusils automatiques, au motif qu’il s’en est procuré pour surveiller son troupeau, sujet à des vols massifs aux allures de razzias. Antérieurement, à Sédhiou, des éleveurs avaient organisé un sit-in à la place de l’Indépendance (de Sédhiou) pour dénoncer des cas «manifestes» d’impunité en faveur des voleurs de bétail et avaient menacé de se faire justice eux-mêmes. Dans le Balantacounda, le Diassing, et en zones frontalières, les propriétaires de bêtes ont fini de se convaincre que la solution est d’opposer sa vie à la volonté des voleurs de les dépouiller. Et pourquoi alors cette prétention des citoyens à vouloir assurer leur propre sécurité ?
L’ETAT, GARANT DE LA SECURITE PUBLIQUE TOUJOURS ET PARTOUT
Au regard de ce qui précéde, l’avalanche des meurtres inquiète au plus haut niveau, disons-le. Du jamais connu au Sénégal. Cela est assurément perceptible au regard de ceux qui prônent le retour de la peine de mort en lieu et place de la prison à perpétuité prononcée par le procureur de la République, Sérigne Bassirou Guèye. La sécurité des citoyens incombe à l’Etat partout et toujours comme l’ont martelé l’ordre des pharmaciens du Sénégal, les bergers du Fouta, du Diassing et du Balantacounda, le cercle des taximen en grève, les magistrats eux-mêmes. Et qui d’autres ?