La vente illicite de médicaments ne cesse de progresser à Touba, depuis 1965. La police et la gendarmerie se montrent impuissantes face à cette réalité économique source de tous les dangers pour des populations analphabètes et pauvres. Les propriétaires de dépôts peuvent compter sur leurs marabouts et la complicité des pharmaciens, selon plusieurs témoignages.
Reportage dans la ville sainte.
La vente illégale de médicaments à Touba a de beaux jours devant elle. D’ailleurs, l’ironie veut qu’un dépôt de pharmacie (boutique de vente illégale des médicaments) soit installé en face de la brigade spéciale de gendarmerie de Touba. Ces deux structures sont séparées par l’autoroute menant à la grande mosquée. Ce dépôt n’est pas le seul établi sur cet axe. D’autres jalonnent l’autoroute (Touba-Mbacké). C’est le cas du dépôt-pharmacie Borom Bakhdad, situé à quelques mètres de la brigade spéciale de la gendarmerie et peint aux couleurs habituelles des pharmacies (vert et blanc). Une enseigne surplombant la porte d’entrée, renseignant sur le nom, l’adresse et les coordonnées du propriétaire, fait croire aux passagers que c’est une officine. Mais une fois à l’intérieur, le visiteur découvre la face hideuse de cette boutique qui s’active dans la vente illégale de produits pharmaceutiques. En réalité, ce dépôt évolue dans une parfaite clandestinité (exposition des médicaments à l’aire libre, non-respect des règles de conservation, vente sans ordonnance prescrite par un médecin).
Malgré ces différents facteurs, les habitants fréquentent ces dépôts irrégulièrement installés dans la ville de Touba. Notamment, Mamadou Samb, un habitué de la boutique Borom Bakhdad. Le marchand ambulant, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir, sort du dépôt après un long marchandage infructueux avec la vendeuse sur le prix d’un sirop. Mais il reste confiant quant à l’obtention de ce médicament. « Je peux acheter le sirop dans un autre dépôt-pharmacie, car dans ces lieux, les prix ne sont pas standardisés. On peut toujours les négocier », renseigne-t-il. Le témoignage de ce quadragénaire est conforté, quelques minutes plus tard, par celui d’un autre client, Malick Diop. Ce jeune garçon a pu bénéficier d’une réduction de 300 F pour acquérir un collyre à 1 500 F.
Il ressort des témoignages que ces habitants de Touba achètent leurs médicaments dans les dépôts, pour plusieurs raisons. Le premier facteur, selon une vendeuse trouvée dans ses locaux installés à l’ancienne gare routière, c’est la pauvreté. « La population de la ville est composée majoritairement de personnes qui ont des revenus modestes. C’est pourquoi elles ont recours aux médicaments vendus dans nos boutiques. Et nous sommes obligés de les aider, en faisant des réductions », a-t-il souligné, sous le regard intrigué d’un client pressé de recevoir son médicament. Le manque d’instruction pousse aussi certaines personnes à fréquenter ces pseudo-pharmacies. Le taux d’analphabétisme est très élevé à Touba, car la ville ne dispose pas d’écoles françaises. Les personnes non instruites ne peuvent donc pas distinguer la bonne graine de l’ivraie. Elles ne sont pas non plus conscientes des dangers qu’elles encourent, en utilisant ces médicaments.
Plus de 300 dépôts de vente illicite
Les pharmacies clandestines sont plus présentes au marché Ocass et devant l’hôpital Matlaboul Fawzayni. Au marché Ocass, elles sont éparpillées dans tous les coins. On les confond avec les cantines, boutiques et ateliers de couture ou salons de coiffure, car elles se tiennent côte à côte. Du coup, leurs propriétaires foulent au pied les textes régissant l’installation des pharmacies qui, d’après Modou Mamoune Fall, vendeur à la pharmacie Khadim Rassoul de Diourbel, exigent une séparation de 300 mètres entre deux officines à Dakar et 500 mètres dans les autres régions.
Ces mêmes dispositions réservent aussi, selon lui, aux docteurs de pharmacie et aux personnes ayant reçu une formation sanitaire le droit d’ouvrir une officine et de vendre des médicaments. C’est pourquoi on retrouve à Touba des dépôts de pharmacie légaux. Ces derniers sont ouverts sur autorisation du ministère de la Santé et de l’Action sociale. Ils reçoivent d’ailleurs des contrôles inopinés du service départemental d’hygiène de Mbacké. Cette structure veille sur la conservation et la date de péremption des produits vendus.
La vente illicite des médicaments a entraîné la baisse du chiffre d’affaires des pharmaciens. Ces derniers, dépités par les meurtres perpétrés sur deux employés (un vendeur et un gardien) de la pharmacie Yélitaaré de Ndioum, exigent la fermeture de ces dépôts. Mais la réalisation de leur vœu ne sera pas aisée. Car la ville de Touba et ces boutiques sont liées par une vieille histoire. La vente illicite de médicaments a commencé en 1965. Depuis cette date, l’activité se développe d’année en année. Aujourd’hui, elle a pris des proportions inquiétantes, avec plus de 300 dépôts.
Il existe également des marchands ambulants installés dans la nouvelle gare routière, au marché Ocass. Le développement de cette activité est principalement dû, selon Dame Ndiaye, représentant des usagers de l’hôpital Matlaboul Fawzeyni, par le soutien des marabouts. « La police et la gendarmerie ont tenté, a plusieurs reprises, de procéder à la fermeture de certains dépôts mais elles ne sont pas parvenues à le faire, car il y a toujours l’opposition des marabouts. Ils interviennent souvent pour demander une faveur, car ils ont des fidèles parmi les propriétaires de ces pharmacies illégalement installées dans la ville », dit-il.
Complicité des pharmaciens
L’autre fait marquant est, selon certains acteurs, la complicité des pharmaciens de cette vente illicite. Des propriétaires de dépôts déclarent avoir le même fournisseur que les pharmaciens. « Nous avons les mêmes produits qui viennent de la Pharmacie nationale d’approvisionnement », renseigne El Hadji Niang, vendeur au marché Ocass. « Le marché parallèle a gagné depuis longtemps la confiance des habitants de Touba. Face à cette rude concurrence, certains pharmaciens donnent leurs médicaments aux détenteurs de dépôts et grossistes qui les revendent aux marchands ambulants », ajoute-t-il.
Avec cette complicité des pharmaciens et le soutien des marabouts, ces vendeurs du marché parallèle continuent d’exercer leurs activités en toute quiétude.