Voilà des Etats qui n’ont peut-être pas «compris» grand-chose à la façon dont fonctionne la Cour pénale internationale (Cpi) et qui ont tout simplement décidé de se retirer, pour exprimer leur désaccord sinon leur méfiance vis-à-vis d’une juridiction soupçonnée de ne poursuivre que des chefs d’Etat africains. Le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, qui en parle quasiment comme d’un malentendu, dit pourtant que ce n’est parce qu’un Etat se retire de la Cpi qu’il n’a plus de comptes à rendre….Sans oublier selon lui que ce n’est pas la bonne formule que de se retirer de la Cpi, et que les Etats-parties devraient justement avoir le courage d’en «débattre» ou d’introduire des amendements, parce que la Cpi n’est pas une «institution parfaite». Adama Dieng recevait la presse, hier, mardi 15 novembre, dans ses bureaux.
C’est simple. Pour le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide, Adama Dieng, les Etats africains qui ont décidé de se retirer de la Cour Pénale internationale (Cpi), que ce soit le Burundi, l’Afrique du Sud ou la Gambie, n’ont tout simplement «rien compris». Le juriste, qui recevait la presse hier, mardi 15 novembre dans ses bureaux, dit d’ailleurs qu’il a lui-même bien du mal à comprendre, et que c’est un «scandale» selon lui, que l’on puisse suggérer aujourd’hui qu’un chef d’Etat en exercice, «soupçonné d’avoir commis des crimes de génocide ou des crimes contre l’humanité», ne devrait pas avoir à «déférer devant une juridiction pénale»... Un peu comme si la «vie de populations civiles innocentes» ne comptait pas vraiment, ou alors comme si l’honneur d’un chef d’Etat valait bien davantage finalement que le «sort de plusieurs milliers de victimes».
Parmi les arguments de ces Etats-là qui ont pris la décision de quitter la Cpi, Adama Dieng cite celui de la Gambie, qui a laissé entendre, «par la voix de son ministre de l’Information», que cette juridiction ne serait pas autre chose qu’une «Cour caucasienne» tout juste bonne à «humilier les Noirs». Pour le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide, c’est de «la mauvaise foi», ne serait-ce que parce que Banjul a l’air d’oublier que la Procureure générale elle-même, Fatou Bensouda, est gambienne.
Une cour «politisée» ?
Et s’il y a encore une chose que ces Etats ignoreraient, selon lui, c’est que ce n’est pas parce que vous vous retirez de la Cpi, (dans le cas de la Gambie par exemple «ce retrait ne sera effectif que dans un an»), que vous n’avez plus de comptes à rendre à qui que ce soit. La «compétence universelle», par exemple, signifierait que l’auteur d’un crime de torture pourrait tout à fait être «poursuivi devant les juridictions sénégalaises» s’il se retrouvait à Dakar. Si Hissène Habré, l’ancien président du Tchad, a pu être jugé à Dakar, par les Chambres africaines extraordinaires (Cae), c’est justement parce que «le Sénégal a incorporé, dans sa législation», cette «compétence universelle».
L’autre aspect de la question, c’est que le Statut de Rome «met l’accent sur la complémentarité», ce qui veut dire, explications du juriste, que la Cour pénale internationale ne se saisit d’un dossier que lorsqu’un Etat n’en a pas la «volonté», ou lorsqu’il est dans l’ «incapacité» de poursuivre quelqu’un pour quelque crime commis… Adama Dieng rappelle à ce sujet que lors des «tragiques événements» du 28 septembre 2009 au stade de Conakry, qui ont fait plusieurs dizaines de victimes, le Procureur a constaté que l’Etat guinéen avait effectivement la «volonté d’enquêter sur le dossier», même s’il avait tout de même fait comprendre à l’époque que si la Guinée n’y arrivait pas, il reprendrait tout simplement le dossier.
A l’attention de ces Etats qui quitteraient la Cpi parce qu’ils ne s’y retrouveraient pas, ou parce qu’ils auraient quelque compte à régler avec la juridiction, Adama Dieng dit qu’ils ont peut-être d’autres moyens d’exprimer leur désaccord ; en ayant notamment «le courage de débattre» de certains sujets «dans le cadre de l’Assemblée des Etats-parties», que dirigerait «avec brio» le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, et qui serait surtout, dixit Adama Dieng, le «cadre approprié». A côté, il y a toujours la possibilité d’introduire quelques «amendements», quand on sait que «la Cour pénale internationale n’est pas une institution parfaite», que «c’est un processus qui évolue», et qu’il revient justement aux Etats-parties d’en «corriger les faiblesses», mais «dans le respect de la primauté du droit».
Quant à ceux qui reprocheraient à la Cpi d’être une «Cour politisée», ils auraient tout «faux». Le Conseiller spécial de l’Onu pour la prévention du génocide rappelle à ce sujet que «les négociateurs de ce traité» ont bien voulu donner à la Cour et à son Procureur un «statut indépendant».
Théodora SY SAMBOU
(Envoyée spéciale Washington)