Dans une réflexion scientifique collective de 231 pages intitulée: «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire: A qui profite le franc CFA?», parue aux éditions «La dispute» 2016, des économistes africains abordent la problématique de l’opportunité du maintien de la Communauté financière africaine (Cfa) comme suite inévitable de deux monnaies communes à plusieurs pays d'Afrique (Zone Uemoa et Cemac). Pour les auteurs, le franc Cfa est contre productif et ne saurait créer les conditions d’une prospérité économique dans les zones Uemoa et Cemac. Ils expliquent les fonctions économiques et politiques de la monnaie, l’histoire du franc CFA et ses mécanismes. Pour ces économistes africains, les pays de l’Uemoa et Cemac n’ont point d’avenir en restant arrimés au franc cfa. « Ce, en argumentant contre les tenants du statu quo, en ouvrant des alternatives crédibles à cette monnaie de domination» ».
Des économistes africains ont engagé la réflexion sur le Franc Cfa autour du sujet : «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire: A qui profite le franc CFA?». L’ouvrage de 231 pages est publié aux éditions «La dispute».
Ces économistes africains spécialistes des questions monétaires et de l’Afrique s’interrogent sur l’opportunité du maintien de la Communauté financière africaine (Cfa), comme suite inévitable de deux monnaies communes à plusieurs pays d'Afrique. Cette monnaie regroupant en partie la zone franc d'Afrique centrale (Cemac) et la zone franc d'Afrique de l'Ouest (Uemoa) depuis sa création le 26 décembre 1945, est aux antipodes de la philosophie du franc Cfa. Dans cet ouvrage collectif, portant l’empreinte de Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Ndongo Samba Sylla, Demba Moussa Dembélé…., il est fait la démonstration que les populations de la zone franc sont assujetties à une monnaie trop forte, et dépressive selon les convenances d’une double tutelle: française et européenne (franc arrimé à l’euro) et qui est totalement en déphasage des réalités locales.
Pour convaincre de la pertinence de cette recette, les auteurs ont passé en revue les fonctions économiques et politiques de la monnaie, l’histoire du franc CFA et de ces mécanismes. Les auteurs Ils ont fait la présentation du livre le 5 novembre dernier, à Dakar, dans le cadre des activités mensuelles des «samedis de l’Economie».
Franc CFA et Financement de l’émergence en zone franc
Ainsi, Kako Nubukpo, agrégé d’économie et ancien ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo, dont la réflexion a porté sur le franc CFA et le financement de l’émergence en zone franc, se veut pragmatique. De prime abord, il rappelle que le débat a été relancé en juillet 2015, suite au feuilleton relatif à l’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro, le fameux «Grexit». Ce débat s’inscrit, dit-il, dans le contexte de la réflexion sur le financement de l’émergence des économies africaines et de ses prés requis en matière de degré de liquidité des économies.
A ce titre, il survole toutes les théoriques empiriques du maintien ou du rejet du franc CFA (avantages et inconvénients) pour s’épancher sur l’opportunité économique dudit franc pour les concernés. Sur ce, dira-t-il «Quatre dimensions parmi d’autres permettent de cerner les contours du franc CFA, considéré comme outil de développement et d’émergence économique ou un franc comme instrument d’inertie des économies africaines dans la zone CFA.
Le premier élément, c’est la faiblesse des échanges intracommunautaires. Selon lui, «La part des échanges entre les économies de l’Union économique monétaire ouest africaine (Uemoa) est structurellement faible, comprise entre 10 et 15% d’une année à l’autre. Cette faiblesse du commerce intracommunautaire n’est qu’en apparence étonnante en ce sens que les économies de l’Uemoa ne représentent rien du tout dans le commerce international. Elles sont plus substituables que complémentaires les unes les autres. Pour s’en convaincre, dira-t-il, «Six des huit pays de l’Uemoa produisent du coton. Et c’est la fibre de coton issue de l’égrenage qui est exportée à 97% sans transformation. Ce déséquilibre commercial entraine une compétitivité-prix des économies de l’Uemoa en berne». Pour lui, «Les économies de l’Uemoa souffrent de compétitivité-prix à l’export. Du fait de l’arrimage du franc CFA à l’euro, monnaie forte s’il en est. Or, une monnaie forte agit comme une taxe sur les exportations et une subvention sur les importations, rendant ainsi difficile l’obtention de l’équilibre de la balance commerciale. Mieux, l’analyse de l’évolution du taux de change effectif réel (Tcer) permet d’appuyer le constat précédent. Des études empiriques ont mis en évidence une surévaluation du franc CFA de l’ordre 10%5)», a-t-il expliqué.
La conséquence, c’est le sous financement chronique des économies de la zone franc. Sur ce, il estime que les économies de cet espace monétaire se caractérisent par un rationnement du crédit, dont les causes renvoient autant à l’agenda caché des deux principales banques centrales de la zone (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest pour l’Uemoa et la Banque des Etats de l’Afrique centrale pour la Cemac). Premièrement, de ces deux entités bancaires, l’objectif reste le même, à savoir défendre le taux de change entre le franc et l’euro. Deuxièmement, la frilosité du système bancaire n’est que le corolaire du premier point développé. Et enfin, il relève l’absence d’objectif de croissance dans les missions de la Bceao. Avec comme objectif principal «une cible d’inflation de 2% dans l’Uemoa, la Bceao s’est arrimée à l’euro, une cible retenue par la Banque centrale européenne (Bce). Or, dans un régime de taux de change fixe avec une libre circulation des capitaux, il est impossible à la Bceao d’avoir une politique monétaire durablement différente de celle de la zone ancre (euro), conformément aux enseignements du «Triangle des incompatibilités de Mundell», souligne l’économiste togolais.
DE LA NECESSITE DE LA SOUVERAINETE MONETAIRE DANS LA ZONE FRANC
Demba Moussa Dembélé, économiste sénégalais et président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) faisant l’analyse scientifique de la problématique «De la nécessité de la souveraineté monétaire dans les pays africains de la zone franc», sans détour, prône la rupture. «Sans la rupture avec la tutelle, les pays africains continueront d’hypothéquer toute possibilité de développement et de progrès social», soutient-il. En clair, la souveraineté monétaire est une nécessité pour parachever leur développement politique et renforcer les bases d’une transformation structurelle de leurs économies. Pour lui, le pouvoir de battre monnaie est ainsi reconnu comme un attribut de la souveraineté d’un pays. Cela explique le fait que la création d’une monnaie nationale soit parmi les premiers actes d’affirmation de sa souveraineté par un pays qui conquiert sa liberté, soit pacifiquement, soit par la force. Ce qui fait naturellement de la monnaie un des symboles de souveraineté d’un pays, tout comme le drapeau ou l’hymne national.
Poursuivant sa réflexion, M. Dembélé estime que le franc CFA symbolise la domination. «Plus de cinquante ans après les indépendances formelles et à la lumière des contraintes imposées par les relations institutionnelles avec la France, le franc CFA est plutôt le symbole d’une tutelle sur les politiques économiques et de la perpétuation de leur domination», a-t-il soutenu.
Faisant le bilan du franc CFA dans cet espace monétaire, l’économiste dira: «L’expérience de plus d’un demi siècle a montré que les «atouts» qu’ils étaient censés représenter pour ces derniers étaient plutôt des mirages qui ont plombé les potentialités dont ils disposaient au début de leur indépendance.
Pour lui, ces atouts qui comprenaient entre autres, la «stabilité», illustrée par de faibles taux d’inflation et l’arrimage du franc CFA à une «monnaie forte»; l’absence de risque de change entre les pays africains et la France leur principal partenaire commercial et la «garantie» française ». A tous ces arguments dont la seule préoccupation demeure le maintien du franc CFA, le président de l’Arcade préconise le projet de monnaie unique de la Cedeao. A ce titre, il dira: «Pour ce qui concerne les pays d’Afrique de l’ouest, la voie est déjà toute tracée avec le projet de création de la monnaie unique de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), prévue en 2020. Ce, après plusieurs tergiversations et d’arguments spécieux inspirés par la théorie néoclassique sur les ‘’conditions optimales’’ ou les critères de convergence, les chefs d’Etats ont compris que cette question doit être tranchée sur le plan politique. Elle n’est pas et n’a jamais été une question ‘’technique’’, mais fondamentalement politique», a-t-il soutenu. L’adoption de la monnaie unique par les pays de la Cedeao représenterait un formidable bond en avant dans le processus d’intégration sous régionale. Et par ricochet, permettre aux pays membres d’atteindre, entre autres objectifs, l’élimination des coûts de transactions douanières, principales obstacles aux échanges intra-communautaires; l’élimination des dévaluations compétitives, destinées à gagner des parts de marchés au détriment des uns et autres; baisse des risques liés à la dette souveraine, du fait de l’existence d’un pool de réserves de change commun.
Emerger avec le franc CFA ou émerger du franc CFA?
Comme par enchantement, l’Afrique jusqu’en 2000 qui était considérée comme marginalisée par la mondialisation, se retrouve subitement sans qu’il ait changements substantiels des piliers économiques…à être considérée comme étant sur la voie de l’émergence. Paradoxal discours! Estime Ndongo Samba Sylla, économiste, chercheur à la Fondation Rosa Luxemburg qui a axé son analyse sur: «Emerger avec le franc CFA ou émerger du franc CFA?». Et M. Sylla de lever l’équivoque: «Le triomphe du discours sur l’émergence est symptomatique du triomphe du capitalisme.
Dans son usage courant, l’ ‘’émergence’’ est un concept récent d’origine financière. Et il est question de ‘’marchés émergents’’ qui semblent faire écho à l’ancienne notion des pays dits émergents qui ne se sont pas dotés de plan émergence mais plutôt de plan de développement. S’y ajoutent que les plans d’émergence actuels ne précisent pas de quoi les pays vont émerger exactement».
L’économiste d’estimer que «le franc CFA, est une monnaie pour le pire». Car, selon lui, les pays africains sont généralement dynamiques. Ils ont un potentiel de croissance économique important. La difficulté dans leur cas, n’a jamais été d’obtenir des taux de croissance élevés mais plutôt de les soutenir durablement, en face de leurs vulnérabilités économiques, politiques, et climatiques. Il soutient que cela explique la nature dialectique de la croissance économique en Afrique: les périodes d’expansions économiques sont annulées par les périodes de contraction économique et vice versa. Par conséquent « la croissance économique dans les pays de la zone franc s’inscrit dans ce schéma…»
Dans sa réflexion, l’économiste dira: «De manière générale, les pays de la zone franc ont rarement été capables d’obtenir, sur une décennie un taux de croissance moyen du Pib réel par tête supérieur ou égal à 1%. Mieux, il n’est pas aussi surprenant de constater que l’appartenance à la zone franc rime avec une croissance économique moyenne faible ». Ainsi, de 1960 à 2014, seuls quatre pays ont eu une croissance négative du Pib réel par tête: Comores (-0,4% entre 1970 et 2014), République centrafricaine, Niger et Sénégal. Six pays ont eu une croissance du Pib réel par tête positive mais inférieur à 1%: Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau (0,1% de la même période), Tchad et Togo. Quatre pays ont eu une croissance du Pib réel située entre 1% et 2%: Congo, Burkina Faso, Gabon et Mali (1,4% entre 1967 et 2014). Et enfin, la Guinée équatoriale (11,2% entre 1980 et 2014), seul pays avec une croissance de son Pib réel par tête supérieur à 2%. En définitive, seul la Guinée équatoriale est considéré ‘’success story’’ dans cet espace. Ndongo Samaba Sylla de conclure: «Si les pays africains veulent se tirer d’affaire et amorcer la voie de la démocratie et d’une transformation sociale en phase avec les aspirations populaires, ils doivent songer à se débarrasser du système franc CFA», a-t-il soutenu.
Institutions francs CFA: colonialités, incohérences, accumulations prédatrices
Martial Ze Belinga, économiste et sociologue camerounais, membre du comité rédactionnel de la revue Présence africaine intervenant sur la thématique: «Institutions francs CFA: colonialités, incohérences, accumulations prédatrices» convoquant l’histoire de cette monnaie, d’indiquer que «c’est au terme de luttes sociétales polymorphes que l’indésirable question monétaire reflue enfin dans les pays africains de la zone franc (Pazf) à la fin des années 2000. Comme si cette politique publique là, pourtant critiquable et amendable par nature, portait en elle l’onction de l’intouchabilité et le privilège de l’indiscutabilité politique», a-t-il relevé. D’emblée, selon lui, «l’intellection de la durabilité quasi cadavérique des dispositifs CFA se donne-t-elle volontiers comme l’écho rassurant d’une résonnance plus lointaine, plus sérieuse, européenne. Résonnance extérieure forcément plus proche aussi traditionnelle suzeraineté épistémique oblige, au risque d’une perspective Union européenne-centrique des francs CFA», a-t-il réprouvé. Et d’étayer: «A preuve, précoces furent les propositions africaines sur ce thème dès les années 1950-1960. Parmi d’autres, en 1964, Kwamé Nkrumah intellectuel panafricaniste et président du Ghana proposait une unification monétaire de l’Afrique quand Osendé Afana, «Kamerunais», leader politique et économiste, identifiait dans les zones coloniales franc et sterling un frein au développement, précédés tous les deux par le Guinéen Sékou Touré qui rejeta le franc CFA ». Toujours selon lui: «Pour autant, si l’enjeu d’une production endogène d’un imaginaire propositionnel africain devait s’imposer, il paraîtrait évident que l’expérience économique et monétaire. Des civilisations africaines, les savoirs locaux des peuples prendraient une valeur apodictique. S’inviteraient alors aux perspectives de pensées décentrements, provincialisation des géographies dominantes démarche décoloniale et insubordination épistémologique, pour reprendre les termes du sémioticien argentin Walter Mignolo», a-t-il expliqué.
Et de souligner : «l’histoire monétaire africaine est aussi une histoire laboratoire millénaire, depuis l’Egypte pharaonique au moins conceptrice dès le IIIe millénaire avant notre ère d’un système monétaire sophistiqué, avec monnaie de paiement, étalon, réserve de valeur, anticipant même par la vente à crédit l’invention plus tardive de la monnaie scripturale», rappelle-t-il. Pour cet économiste, «Les francs CFA sont exemplaires par leur anachronisme comme par leur faculté à conserver une colonialité économique aiguë dans un ensemble politique formellement indépendant.
Ils ne posent pas fondamentalement la question de l’identification des profiteurs structurels, question qui eût présumé que la puissance organisatrice des espaces CFA, la France aurait été incapable de faire pour elle-même le calcul de ses coûts et avantages à maintenir cet espace captif. Selon lui: «Le cône monétaire français en Afrique et son paradigme de prédation, à travers une série répétée d’interactions institutionnelles complémentaires, a expulsé un univers des possibles économiques et monétaires »