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Entretien avec Christophe Bigot : Un ambassadeur sans langue de bois
Publié le jeudi 3 novembre 2016  |  Le Quotidien
Conseil
© aDakar.com par DF
Conseil des ministres délocalisé: Journée d`inaugurations et poses de première pierre pour le chef de l`État
Dakar, le 21 Juillet 2016 - Le président de la République Macky Sall continue sa série d`inaugurations et de poses de première pierre dans la banlieue de Dakar. Depuis le début de cette semaine, le président de la République et son gouvernement sont dans les différents départements de la capitale pour les besoins d`un conseil des ministres délocalisé de Dakar. Photo: Christophe Bigot, ambassadeur de la France au Sénégal




Mohamed GUEYE et Babacar Guèye DIOP Edition Abonnés 02 November 2016
Pour son premier entretien dans un journal sénégalais, l’ambassadeur Christophe Bigot a voulu bien peser ses mots, et cela a fait traîner la publication de cette interview qui a été réalisée il y a plus de deux semaines. Mais le temps a donné plus de valeur aux propos du diplomate qui n’a pas usé de langue de bois pour donner la position de son pays sur les relations bilatérales, le débat économique en cours, ou sur les questions des visas entre les deux pays. Entre autres…

Quel est l’état de la coopération entre le Sénégal et la France ?
Je trouve que la coopération entre nos deux Etats est excellente. Tous les ambassadeurs vous disent sûrement la même chose. Mais très franchement, depuis mon arrivée il y a 4 mois, j’ai déjà accueilli le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve et le Premier ministre, Manuel Valls. Je recevrai le mois prochain le ministre des Affaires étrangères et en décembre, le ministre de la Défense. Cette série de rencontres entre autorités françaises et sénégalaises constitue un symbole très fort avant la visite d’Etat du Président Macky Sall à Paris prévue pour la fin de l’année. Comme vous le savez, la dernière visite d’Etat d’un Président sénégalais en France remonte à l’année 1985. C’était sous Abdou Diouf. Cette visite d’Etat est une forme d’apothéose pour ceux qui regardent les relations entre la France et le Sénégal.
Ce qui me frappe dans les relations bilatérales entre nos deux pays, c’est cette passion qu’ont les Français pour le Sénégal et vice-versa. Dans les temps difficiles comme dans les moments d’euphorie, en période d’hivernage comme en période de soudure ou pendant la saison sèche, la France est aux côtés du Sénégal. Par exemple, ceux qui ont vécu la crise de l’eau, à Dakar en 2013, se sont aperçus que la France, dès qu’elle a été sollicitée, est intervenue pour apporter son soutien. Et je pourrais donner beaucoup d’autres exemples.
Sur le plan sécuritaire, il y a une relation étroite entre nos forces de défense et de sécurité et la gendarmerie et la police sénégalaises. Il y a nécessité pour nos deux pays de travailler ensemble sur beaucoup de sujets, comme nous le faisons par exemple au Mali où 4 000 soldats français sont actuellement présents aux côtés de 1 600 soldats sénégalais. J’ai la chance d’arriver et de prolonger une relation qui est déjà très forte.

La France a retiré une bonne partie de ses soldats du Sénégal. De ce point de vue, est-ce qu’elle peut toujours intervenir en Afrique de l’Ouest dans un conflit du même acabit que celui connu au Mali ?
Nous sommes intervenus au Mali et en Centrafrique. Dans les deux cas, j’estime que cela a été un succès même si tous les problèmes ne sont pas réglés aujourd’hui. Lorsque les autorités maliennes ont souhaité l’intervention de la France, nous avons été au rendez-vous. Nous en avons payé le prix : de nombreux soldats français sont morts au Mali au service de la lutte contre le terrorisme. Et pourtant, je pense que si nous n’avions pas pris cette décision, la situation sous-régionale serait complètement différente. Vous imaginez ce qui serait arrivé, avec les répercussions sur tous les pays de la région, sur le Sénégal, si connecté avec le Mali ?
Pour ce qui est de la présence des forces militaires françaises au Sénégal, elle est certes moins grande qu’à l’époque où elles s’appelaient les Eléments français du Cap-Vert. Les menaces ont évolué. Les outils militaires aussi. Il fallait faire évoluer notre dispositif. Si l’on prend la base de Ouakam et les autres implantations, à peu près un millier de Français, avec des soldats et leur famille, y travaillent. Cette présence repose sur un accord conclu entre la France et le Sénégal. Nous avons simplement adapté notre dispositif pour le rendre plus performant comme nous l’avons fait à Djibouti, à Libreville et durant nos interventions au Mali et en Centrafrique.
Il est important également de rappeler que les éléments français au Sénégal forment 2 500 à 3 000 Sénégalais chaque année. Ils forment aussi des militaires de 15 pays de la région. Au Sénégal, il y a cette tradition militaire de hub régional sur le plan de la sécurité que notre force française appuie. La manifestation la plus éclatante de ce rôle régional, c’est le forum Paix et sécurité de Dakar qui se tiendra les 5 et 6 décembre prochains, sous l’autorité du Président Macky Sall, avec d’autres chefs d’Etat et la participation du ministre français de la Défense.
Lors de votre nomination comme ambassadeur de la France au Sénégal, certains vous ont qualifié d’«es­pi­on», faisant allusion à votre passé de directeur de la stratégie à la Direction gé­nérale de la sécurité extérieure (Dgse)…
En France, il y a une direction de la stratégie à la Dgse qui, depuis qu’elle a été créée en 1990, a toujours été occupée par un diplomate. Je n’ai pas dérogé à la règle. L’actuel directeur Afrique au Quai d’Orsay est mon prédécesseur. Mon successeur est le directeur de Cabinet adjoint de Laurent Fabius. C’est une lignée de diplomates qui travaillent à faire en sorte que la Dgse s’intègre dans le paysage institutionnel français. Cette direction prend en compte les vues du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense, du ministère des Finances et assure la relation institutionnelle avec les services de renseignement à l’étranger. Il y a beaucoup de fantasmes qui sont nourris par la littérature et les films sur les services de renseignement. Je suis un pur diplomate. J’ai commencé ma carrière au Quai d’Orsay en 1992. Cela fait près de 25 ans que je travaille aux services de la diplomatie française. Mon passage à la Dgse m’a permis de comprendre au plus près les enjeux de sécurité. Une expérience très précieuse dans le monde d’aujourd’hui.

A l’époque où il était ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius avait théorisé la notion de diplomatie économique. Dans ce cadre, Total serait-il intéressé par le pétrole sénégalais qui fait aujourd’hui l’objet d’une polémique depuis quelque temps ?
D’un côté, on reproche aux entreprises françaises d’être trop présentes au Sénégal et de l’autre côté, on leur demande de venir s’implanter. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas de situation acquise ou de chasse gardée. Le Sénégal est dans la mondialisation. Je suis très heureux que beaucoup de pays se soient rendu compte que le Sénégal est un pays stable, sûr, qui a une influence régionale et qui possède d’excellentes ressources humaines. Ces pays ont souhaité investir au Sénégal. C’est tant mieux et il s’agit là d’un signe de réussite pour votre pays.
Sur le secteur pétrolier, il est juste de constater que les entreprises Cairn et Kosmos ne sont pas françaises. Les sociétés qui s’activent dans ce secteur ont fait des découvertes impressionnantes qui vont révolutionner l’économie du Sénégal. Il y a là la promesse de changements considérables dans le cadre de grands investissements. Pour ce qui est de Total qui fait partie des 5 plus grands groupes pétroliers et gaziers mondiaux, il est évident qu’il s’intéresse à ce qui se passe au Sénégal. Cette entreprise a un encadrement de grande qualité, dont une grande partie est sénégalaise. Elle est déjà active sur le secteur raffinage et distribution. Pour l’exploitation et la production, Total examine, j’en suis convaincu, toutes les opportunités.

Le gouvernement français est-il prêt à pousser Total dans le pétrole sénégalais ?
Les choses ne se passent pas comme cela. Total se déterminera selon ses propres intérêts. Il appartiendra aussi à Cairn et Kosmos de définir quels sont les opérateurs avec qui elles souhaitent partager le fruit de leur exploration pour passer à la production. Les opérateurs doivent apporter les solutions les plus compétitives et prendre en compte les vues de l’Etat sénégalais sur ces investissements considérables.

On entend des noms de Timis corporation, Petro-Tim ou Kosmos energy, dans l’exploration du pétrole sénégalais et non Total. Pourquoi ?
Les sociétés qui sont actuellement présentes ont misé sur le Sénégal et ont eu raison. J’espère que d’autres suivront. Des groupes pétroliers et gaziers viendront, sans doute, faire des investissements qui sont considérables pour forer des puits, avoir de nouveaux permis, de nouveaux blocs, construire les installations de production, de liquéfaction, assurer le transport. D’autres entreprises du secteur doivent former des techniciens, construire des plateformes… C’est toute une économie qu’il faut développer. Au Sénégal, il faut former des techniciens. Si ce n’est pas le cas, les sociétés pétrolières et gazières seront obligées d’en importer. Il est important de réfléchir sur les installations en mer comme à terre, mais aussi sur la forme de fiscalité, l’affectation de ces ressources supplémentaires pour la consommation ou l’investissement dans l’immédiat ou à long terme. Ce sont des questions importantes pour l’avenir du Sénégal. C’est pourquoi le président de la République sénégalaise a décidé de nommer un comité d’orientation stratégique et de s’entourer d’experts.

Aujourd’hui, il y a toute une polémique sur la gestion de ce pétrole. A votre avis, comment faire pour que le Sénégal ne vive pas la malédiction du pétrole que certains pays ont connue ?
Je crois que le Sénégal est mieux préparé que d’autres pour faire face à ce risque. D’abord, parce que le risque a été identifié. Une économie de rente peut produire des effets pervers. Il faut donc prendre des mesures en amont et réfléchir à l’usage qui sera fait de ce pétrole. Il faut s’entourer de toutes les conditions pour que la plus grande transparence, en termes de comptabilité publique et de finances publiques, soit assurée et faire en sorte que la part sénégalaise soit la plus importante possible. Il est également important de former le personnel employé.
Le Sénégal va bientôt signer les Accords de partenariat économique malgré les critiques d’une bonne frange de la Société civile et de l’opposition qui font le rapprochement avec le Ttpi que l’Union européenne doit signer avec les Etats-Unis avec son lot de difficultés. Quel est votre avis dans ce débat ?
Le rapprochement entre ces Ape et ce qui se fait entre l’Ue et les Etats-Unis me paraît artificiel. L’Europe et les Etats-Unis ont des économies de type Ocde. Les Ape sont, au contraire du Ttpi, asymétriques, c’est-à-dire que d’un côté, les produits africains vont entrer en Europe sans droits de douane et qu’à l’inverse, certains produits européens qui seront importés subiront toujours des droits de douane. Il y a d’un côté une asymétrie avec droit zéro et pas de restrictions pour les pays africains. Pour certains produits dits sensibles, l’accord ne s’appliquera pas. Il y a donc une asymétrie assez forte. Enfin, ces accords s’accompagnent d’une aide publique au développement considérable de 6 ou 7 milliards d’euros. Pour les Sénégalais, leurs produits entrent en Europe sans droits de douane. L’accord précédant était temporaire. L’objectif est de créer un dispositif permanent. Lorsque vous êtes un entrepreneur, vous vous projetez sur 10 ou 15 ans, si vous voulez faire des affaires et réussir. Je constate que sur les pays concernés par cet accord, seuls trois n’ont pas voulu signer. Le Nigeria, qui fait partie de ce lot, a une économie différente des autres pays africains. On parle de la plus grande économie en Afrique devant l’Afrique du Sud. Ce pays a donc une situation spécifique. J’ai bon espoir que les discussions permettront la signature de tous.

Pour revenir à une situation moins économique. Dernièrement, des juridictions françaises ont rejeté une décision des juridictions sénégalaises condamnant un citoyen Sénégalais, sous le motif que c’était un citoyen français et que les décisions sénégalaises ne s’appliquaient pas en France. On parle de Karim Wade dont le gouvernement sénégalais s’est vu débouté de la saisine de certaines propriétés. Vous qui disiez que les choses semblent trop bien se porter entre les deux pays, est-ce le cas dans la coopération judiciaire ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la manière dont vous présentez les choses.

C’est comme cela que les Sénégalais le voient...
La France est l’un des rares pays à avoir donné suite à cette demande d’entraide pénale internationale qui a été acceptée par le Parquet national financier français. Ce Parquet français a saisi le juge, le Tribunal de grande instance de Paris en l’occurrence. Ce dernier a examiné les demandes, la défense comme le Parquet national financier ont présenté leurs arguments. Très récemment, ces juges ont dit que le délit qui était reproché à Karim Wade n’existait pas dans le droit français, différent du droit sénégalais. Voilà ce que les juges ont dit. Ils n’ont pas dit qu’ils contestaient la décision prise par la justice sénégalaise. Les juges en France comme au Sénégal sont parfaitement indépendants. C’est l’avantage des démocraties. L’exécutif n’a aucune capacité d’une manière ou d’une autre à infléchir leur position. Le Parquet national financier français a décidé de faire appel de la décision des juges. Nous sommes maintenant dans cette phase d’appel. La justice suit son cours en France, et l’Etat Français, via le Parquet national financier, a décidé de faire appel de cette décision.

Vous dites que le droit sénégalais est un peu différent de celui de la France, mais la France a aussi ratifié des conventions judiciaires. Est-ce que dans cette affaire la France ne cherche pas à protéger un citoyen plutôt que… ?
(Il coupe) Pas du tout. Comme je vous l’ai dit, les juges sont totalement indépendants et ne se basent pas sur ce type de considérations. Les juges en France comme au Sénégal appliquent leur droit respectif. Evidemment, les conventions internationales sont un élément du droit. Si vous regardez ce jugement qui a été rendu public, tout est fondé sur une analyse juridique du droit français. Il n’est pas fondé sur des faits ni sur la décision de la justice sénégalaise. Les juges ont regardé si le délit, l’incrimination, existe dans le droit français. Leur lecture du droit, c’est que ce délit n’existe pas. Imaginez que l’on soit dans une situation où un ressortissant sénégalais est incriminé en France. Si le crime ou délit dont on l’accuse n’existait pas en droit sénégalais, la justice sénégalaise serait fondée à refuser d’appliquer la décision de la justice française. L’état de droit, c’est le règne de la loi et il faut qu’elle s’applique. Je tiens enfin à rappeler à vos lecteurs qu’il y a eu une procédure d’appel. Le Parquet national financier français a fait appel de cette décision. Je n’ai pas vu cette information circuler beaucoup dans les médias, et je rappelle donc que l’action judiciaire n’est pas close.

Allons vers une région différente, mais que vous connaissez bien : le Moyen Orient. Nous avons vu les positions assez fermes du gouvernement français sur le dossier syrien, notamment par rapport à ce qui se passe à Alep. C’est frappant en parallèle d’entendre le gros silence français sur ce qui se passe au Yémen, où il y a des massacres quasiment similaires et qui sont opérés par des alliés du gouvernement français… Les morts d’Alep sont-ils plus importants que ceux du Yémen ?
Les échos médiatiques sont différents, pas les positions. Pour ce qui est de la Syrie, je tiens à saluer au passage la position du Sénégal qui, lors des débats qui ont eu lieu à New York avec toutes les grandes démocraties de la planète, a pris la même position sur les textes présentés sur Alep. Les autorités sénégalaises ont appelé à un arrêt immédiat et inconditionnel des bombardements sur Alep, comme les Français et les Espagnols y ont invité les membres du Conseil de sécurité. Pour ce qui est du Yémen, la situation y est grave. Il faut tout faire afin de trouver une solution.

La France passe beaucoup plus de temps sur la Syrie que sur le Yémen…
On nous entend plus sur la Syrie que le Yémen parce qu’il se trouve que les opinions et les médias en Europe, c’est vrai, s’intéressent beaucoup plus à la situation en Syrie qu’au Yémen. La France a des liens historiques et géographiques étroits avec la Syrie, où elle était la puissance mandataire entre les deux guerres mondiales. Il y a dans les opinions publiques et dans les médias, oui c’est vrai, des intérêts, des sensibilités, des histoires, des proximités géographiques, des affects qui sont différents suivant les conflits. Mais l’idée que la France se fait de la politique étrangère est qu’elle se doit d’être universelle et avoir les mêmes principes quelle que soit la situation.

Il y a aussi plus de Syriens qui tentent d’aller en Europe que des Yéménites…
Le conflit en Syrie est effectivement à l’origine d’un flux très important de réfugiés vers l’Europe depuis deux ans. Notre action en Syrie est plus large, plus ancienne. Elle n’a pas commencé en 2014. Ce conflit demande à être réglé pour mettre fin au drame, aux massacres que subissent dans leur chair les Syriens. Toute la région, la Turquie, le Liban, la Jordanie est déstabilisée par cette situation. Des centaines de milliers de personnes ont été tuées. L’humanité, aujourd’hui, ne peut rester insensible face à une telle barbarie. Le conflit syrien nourrit enfin le terrorisme international, en particulier Daech et Al Qaïda.

Sur la Syrie, la France est-elle ferme sur le fait que Bachar Al Assad ne doit pas faire partie de la solution ?
C’est notre sentiment depuis le début. Comment pouvez- vous imaginer que les victimes acceptent que la solution qui soit trouvée conduise à ce que le bourreau reste en place ? Ce ne serait pas une solution. Il ne peut y avoir d’impunité. Bachar doit partir.

Cette position vous met en confrontation avec les Russes qui deviennent de plus en plus présents sur le théâtre des opérations…
La diplomatie consiste à travailler avec les uns et les autres. Il ne faut pas ignorer une partie au conflit. Il faut être ferme sur les principes, dire ce que nous pensons, montrer que nous avons un très large soutien, mais engager aussi les discussions avec tous.

Après avoir vu l’intervention inachevée des Anglais et des Français en Libye et ce que cela a donné, on se dit que les gens voudraient répéter la même chose pour laisser le même chaos. C’est vrai que la situation actuelle n’est pas loin du chaos, mais n’empêche que Assad parti, ça serait peut-être comme après Kadhafi. Les Anglais et les Français ont tourné le dos à la Libye…
Les situations sont très différentes. Il est facile aujourd’hui de critiquer l’intervention franco-britannique, mais je vous rappelle qu’elle avait le soutien du Conseil de sécurité et de beaucoup de pays de la région. La Communauté internationale a proposé d’accompagner les Libyens pour construire un Etat. Mais ils ne le souhaitaient pas, préférant régler leurs problèmes entre eux. Aujourd’hui, il y a un processus de réconciliation en cours, un gouvernement d’union nationale a été mis en place et a pu s’installer à Tripoli. Nous l’appuyions. L’Etat islamique a vu ses forces réduites.
La chute du régime de Kadhafi a été très largement saluée partout dans le monde. Que la situation d’aujourd’hui soit très complexe et suscite beaucoup de difficultés, c’est une évidence, mais un Etat se construit sur la durée. Il lui faut rassembler les tribus, les factions et établir des institutions. Les terroristes ont profité de l’absence d’Etat pour s’introduire dans le pays et en faire une base de projection régionale. C’est une question très grave avec des conséquences très sérieuses sur les voisins de la Libye : la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, le Tchad, le Niger et le Mali. Dire donc que la situation de la Lybie est fruit de l’intervention franco-britannique me semble être un raccourci un peu saisissant. La situation actuelle est plutôt le fruit d’actions menées par les terroristes et de la lutte entre des factions qui n’ont pas réussi à s’entendre sur la manière dont elles souhaitaient ensemble diriger la Lybie.

Si c’était à refaire, le referiez-vous ?
Rappelez-vous le Printemps arabe, le réveil démocratique en Tunisie, en Libye, en Egypte, en Syrie. Des démocraties comme le Sénégal ou la France ne peuvent pas rester insensibles quand des citoyens réclament leur liberté, nous ne pouvons pas leur dire de patienter et de subir.

Pour en revenir au Sénégal, la Casamance vient de sortir de la «liste rouge» du Quai d’Orsay…
Le ministère des Affaires étrangères français a décidé de faire évoluer ce que l’on appelle la rubrique «Conseils aux voyageurs». Jusqu’à présent, la France décourageait plutôt la venue des touristes français dans une grande partie de la Casamance. Nous avons recueilli l’analyse des autorités sénégalaises. Je suis moi-même allé en Casamance dix jours après mon arrivée. J’ai également interrogé les Nations unies sur leur vision de la situation sécuritaire. Sur la base de tous ces éléments, le ministère des Affaires étrangères français a décidé de faire évoluer cette rubrique. Nous ne décourageons plus les touristes français à se rendre dans cette partie du Sénégal. C’est la reconnaissance que la situation en Casamance s’est stabilisée, que la violence a été circonscrite et que l’Etat sénégalais a renforcé son contrôle du territoire. C’est également un message, au-delà des touristes français, à tout le secteur touristique sénégalais de Casamance, pour renouer avec la tradition en Casamance d’accueil des touristes européens ou autres. Il reste bien sûr des problèmes, des zones minées, des zones déconseillées, mais ce n’est plus un obstacle au développement du tourisme. Mais je dirais que les zones touristiques ne posent plus de problème.

L’opinion nationale estime que beaucoup de demandes de visa sont toujours rejetées. Quelles en sont les causes ?
Selon les statistiques, deux demandes de visa sur trois reçoivent un accord favorable de la part du Consulat général. Pourquoi faut-il un visa ? Pour s’assurer que les Sénégalais qui viennent en France vivent une expérience qui soit pour eux satisfaisante, qu’ils y soient accueillis et y vivent dans de bonnes conditions. Peut-on légitimement délivrer un visa à quelqu’un qui ne peut pas payer son billet d’avion ? Comment fera-t-il pour vivre ?

Souvent aussi, on a le sentiment que les services consulaires prennent trop de temps avant de répondre à une demande…
Concernant le délai, les démarches prennent en moyenne 48 heures. L’été, les délais sont plus longs parce qu’il y a plus de demandes l’été que l’hiver et le personnel qui s’en occupe l’hiver est le même que celui qui s’en occupe l’été. Il faut donc s’y prendre avec un peu d’avance. Nous allons, avec le Consul général, travailler pour réduire encore ces délais.
Aujourd’hui, nous délivrons également des visas dits de circulation. C’est-à-dire, vous êtes un professionnel, un commerçant, un médecin, avocat, un homme politique, vous avez, pour des raisons X ou Y, une nécessité de vous rendre en France de manière régulière, nous pouvons aujourd’hui vous délivrer un visa qui sera valable pendant 5 ans et qui vous permettra de séjourner 3 mois en France, tous les 6 mois. Nous délivrons de plus en plus ce type de visa dit de circulation, et nous allons essayer de le faire de plus en plus pour la durée maximale autorisée, soit 5 ans. Les instructions des autorités françaises sont claires : nous devons tout faire pour faciliter les déplacements légaux. Nous souhaitons avoir des Sénégalais qui viennent en France, échangent entre nos deux pays. Ce sont les acteurs de notre relation.
Concernant les visas étudiant, il y a actuellement environ 10 mille étudiants sénégalais en France. Cette année, près de 2 500 étudiants ont été autorisés à se rendre en France. Je souhaite qu’on puisse aller encore plus loin. Nous sommes en train de regarder de manière très pratique avec Campus France, le Consulat, les universités, comment faciliter leur venue. Il faut que les universités françaises les acceptent, il faut donc que les étudiants ne demandent pas à s’inscrire dans une autre filière que celle qu’ils suivaient au Sénégal. Il faut une logique universitaire et pédagogique. Ces étudiants doivent être en mesure de vivre décemment, d’avoir un minimum de revenus. Ils ont d’ailleurs le droit de travailler à temps partiel en France pour s’assurer un complément de revenus qui leur permettra de vivre dans de meilleures conditions.
L’externalisation de la constitution des dossiers de visa a enfin permis de traiter dans des conditions plus dignes, plus efficaces et plus rapides les demandes de visa sans avoir de longues files d’attente.
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