Si la Cour pénale internationale (CPI) était une personne, on aurait dit qu’elle a eu une adolescence difficile. Car, du haut de ses 14 années d’existence, la juridiction internationale fait face à de nombreux soubresauts. Une fois de plus, elle est menacée par une vague de démissions de certains pays africains qui jugent l’institution discriminatoire ou plutôt veulent se soustraire à la justice pénale internationale, mais sans succès.
Au moment de sa création, le 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale (CPI) avait suscité un grand engouement chez beaucoup de pays africains. Ces derniers y ont massivement adhéré en participant activement à la conférence diplomatique tenue en Italie la même année. Et après son entrée en vigueur le 1er juillet 2002, plusieurs pays africains ont ratifié le Statut de Rome. Aujourd’hui, 34 pays africains sur 54 sont des Etats parties de la CPI chargée de juger les individus, y compris des chefs d’Etat ayant commis un génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Mais depuis plusieurs années, la CPI ne cesse d’être critiquée. Ses pourfendeurs considèrent qu’elle est plutôt une Cour ‘’pénale africaine’’, du fait que les personnes poursuivies jusque-là sont en majorité des Africains. Si au début, il s’agissait de simples critiques, une propagande ‘’Anti CPI’’ s’est développée depuis 2005, lorsque le Conseil de sécurité a saisi la CPI au sujet du Darfour.
La propagande s’est amplifiée en 2009-2010, avec l’émission des mandats d’arrêt contre le Président El Béchir. Jusque-là, les contestataires s’étaient limités à dénoncer une certaine discrimination, mais depuis 2011, l’idée d’une démission collective est brandie. C’est l’Afrique de l’Est, particulièrement le Kenya, qui mène la rébellion. Comme l’a si bien rappelé Jean-Baptiste Jeangène Vilmer à travers un dossier. Ce pays, ‘’grâce à un intense lobbying exercé sur les États de l’UA, en premier lieu ses voisins, a permis de focaliser l’hostilité africaine à l’égard de la Cour et de rassembler une contestation inquiétante’’. Dans ce sens, le Parlement kenyan a commencé par demander au gouvernement de se retirer du Statut de Rome. A l’échelle continentale, Nairobi, par l’intermédiaire de l’UA, a menacé d’un retrait massif de nombreux pays africains. La tentative a échoué, mais les velléités de retrait sont restées. La preuve, tout récemment, le Burundi puis l’Afrique du Sud et depuis avant-hier la Gambie ont annoncé leur décision de quitter la CPI.
Yoro Dia : ‘’Jacob Zuma est une catastrophe’’
‘’Une simple volonté de se couvrir du manteau de l’impunité’’, réagissent le journaliste spécialisé des questions internationales, Yoro Dia, et l’avocat sénégalais Me Ciré Clédor Ly, membre du comité provisoire de défense pour la CPI. ‘’ Le Burundais Pierre Nkurunziza, qui est en train de massacrer son peuple pour rester au pouvoir, sait ce qui l’attend, tout comme le Président gambien Yaya Jammeh. Lui, c’est un plaisantin ; il veut juste faire le buzz mais au fond, il sait que tôt ou tard, il va se retrouver devant la CPI. Pour l’Afrique du Sud, Jacob Zuma est une catastrophe, car il n’est pas à la hauteur de l’héritage de Mandela’’, fait remarquer le journaliste. Qui poursuit : ‘’On a l’impression que ce qui se passe en Afrique ne se passe nulle part ailleurs. Je suis de ceux qui pensent que la CPI est un mal nécessaire car il n’est pas normal que pour des élections qui se passent en Côte d’Ivoire, il y ait 3 000 morts. Au Kenya, il y a eu 5 000 morts’’. A son avis, étant donné que les Africains n’ont pas de système judiciaire qui fonctionne normalement, il faut que les crimes soient jugés.
Ce jugement est inéluctable, d’après Me Ciré Clédor Ly, qui renseigne qu’une démission n’absout pas les individus auteurs de crimes internationaux. ‘’Les gens veulent revenir à l’impunité, mais ils n’échappent pas à la CPI. Ce qu’ils gagnent, c’est de ne pas se livrer eux-mêmes. D’ailleurs, ils ont été toujours réticents à le faire. Mais s’ils sortent de leurs Etats et rentrent dans un Etat partie, celui-ci va exécuter l’obligation de livraison’’, explique-t-il. Toutefois, l’avocat partage les récriminations portées contre la juridiction internationale. ‘’Comme tout Africain, je m’offusque du fait que les plus grands criminels contre l’humanité, les plus grands génocidaires, ce sont les Européens. Mais, ils ne sont pas poursuivis. Or, il le faut nécessairement’’, peste Me Ly.
Par contre, Yoro Dia pense que c’est faire preuve de mauvaise foi que de dire que les Européens ne sont pas poursuivis. Il cite le cas de l’ancien Président Nicolas Sarkozy, souvent convoqué par la justice française, et Israël dont l’ancien Président et Premier ministre sont envoyés en prison. ‘’Dans quel pays africain avez-vous vu un ancien Président poursuivi ?’’ s’interroge le journaliste qui fait remarquer qu’au Sénégal, ‘’on ne parle pas de la CPI, car le pays s’est donné les moyens d’avoir un instrument juridique’’. D’autre part, notre interlocuteur rappelle que tous les dirigeants africains traduits devant la Cour l’ont été sur saisine de leurs pairs et non de la France ou d’un autre pays européen. A ce propos, il cite le cas de Laurent Gbagbo traduit sur une plainte de la Côte d’Ivoire.
Toujours est-il que face à cette crise que traverse la CPI, le journaliste estime que le Sénégal a une carte à jouer en faisant entendre sa voix pour dire que l’Afrique n’est pas contre la juridiction internationale. Au-delà du Sénégal, il considère que ‘’les Africains devraient commencer par balayer devant leur propre porte, en se disant que ce qui se passe sur le continent n’est pas normal’’. Et pour éviter les récriminations, Me Ciré Clédor Ly pense que ‘’l’Afrique devrait être forte, capable d’imposer aux Nations unies le déclenchement de poursuites contre les criminels européens’’. L’Afrique doit aussi, à son avis, être capable de livrer ces derniers lorsqu’ils foulent le sol africain, pour qu’il y ait une égalité dans les poursuites.