Le ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, a fait face à la presse hier, pour se pencher sur la décision prise par l’Afrique du Sud et le Burundi de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI). Préoccupé par ces retraits, Me Sidiki Kaba, également président de l’Assemblée des Etats parties au statut de Rome, exhorte les pays africains et la Communauté internationale à prendre des initiatives fortes comme le renforcement des systèmes judiciaires nationaux afin d’éviter le recours à la CPI.
Au moment de sa création, le 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale (CPI) a suscité un grand engouement chez beaucoup de pays africains. Ces derniers y ont massivement adhéré en participant activement à la conférence diplomatique tenue en Italie en 1998. La preuve, à ce jour, 34 Etats sur 54 ont ratifié le Statut de Rome entré en vigueur en juillet 2002, dans l’espoir de ne plus voir l’impunité régner en maître sur le continent noir. Mais aujourd’hui, l’heure semble être au regret chez de nombreux pays africains. Ils menacent de quitter la juridiction internationale que d’aucuns accusent de discrimination, puisqu’elle ne traduit que les dirigeants africains. Les dernières menaces ont été proférées par l’Afrique du Sud et le Burundi qui ont annoncé leur retrait récemment.
Me Sidiki Kaba, qui faisait face à la presse hier, annonce que ces retraits ne devront être effectifs que dans un an, après le dépôt des instruments nécessaires. En attendant, le ministre sénégalais de la Justice reste optimiste quant au maintien de ces pays, car il espère que ce délai sera mis à profit pour trouver une solution à cette crise. ‘’Le retrait, c’est un acte de souveraineté, mais il faut saisir cette opportunité pour engager un dialogue, écouter leurs récriminations. D’autant que ces deux pays ont un rôle important dans la création de la CPI’’, soutient Me Sidiki Kaba. Au-delà de ces deux pays, le président de l’Assemblée des Etats parties au statut de Rome estime ‘’qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main les appréhensions, critiques voire récriminations des pays africains’’.
C’est la raison pour laquelle, face à la vague de récriminations et de menaces de retrait, il suggère que ‘’des initiatives fortes soient engagées par les Etats africains aussi bien que par la Communauté internationale’’. D’ici là, il préconise un certain nombre de solutions dont l’instauration ‘’d’un dialogue constructif’’ au sein de l’Assemblée des Etats parties. Me Kaba invite également les Etats membres de l’Assemblée ‘’à rester des Etats parties engagés dans la promotion et la défense des valeurs de justice et de paix qui ont présidé à la création de la CPI’’. Mais la solution phare est l’instauration, par chaque pays, d’un système judiciaire national, car ceci permettrait de ne pas recourir à la CPI. Selon le Garde des Sceaux, ‘’la CPI n’est qu’une juridiction d’ultime recours’’. ‘’Elle est subsidiaire. Si chaque Etat jugeait les crimes énoncés, la CPI serait moins sollicitée et aurait moins de travail. Ainsi, l’Afrique jugerait les Africains sur le continent noir’’, ajoute-t-il avec insistance, tout en soulignant que ‘’juger les Africains dans le continent permettra de préserver la souveraineté et la stabilité des pays africains’’.
‘’Réformer et refonder le Conseil de sécurité et le droit de veto’’
Me Kaba de citer le cas de l’ex-Président tchadien qui a été jugé au Sénégal par l’Union africaine, même si par ailleurs il estime que l’idéal aurait été qu’il le soit au Tchad. Outre le renforcement des systèmes judiciaires nationaux, il propose également ‘’l’exigence d’une justice universelle répondant aux critères d’indépendance, d’impartialité et d’équité’’. Pour y arriver, le ministre de la Justice juge nécessaire de ‘’réformer et refonder le Conseil de sécurité et le droit de veto, vecteur d’impunité, d’une justice mondiale sélective et à deux vitesses’’.
Selon les arguments de Me Kaba, ‘’le veto ne doit pas être un privilège, mais une responsabilité et il ne devrait pas être possible, en cas de crimes les plus graves’’. Toujours dans le souci d’éviter un départ des pays africains, le Garde des Sceaux sénégalais souhaite une ratification universelle du Statut de Rome et une intégration universelle de ces normes dans le droit interne des Etats parties pour donner ‘’une égale et équitable chance de justice à toutes les victimes du monde où qu’elles résident’’. Pour finir, le président de la CPI invite les autres Etats à suivre les pas de la Palestine et El Salvador qui ont récemment adhéré. Car, ‘’aujourd’hui, plus que jamais, il y a un gigantesque besoin de justice universelle à un moment où nous assistons à une prospérité du mal et à une décroissance du bien’’.
La CPI en Chiffres
Crée le 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale a 14 ans aujourd’hui. Actuellement, 124 Etats sont membres. Il s’agit de 34 d’Afrique, 19 d’Asie et du Pacifique, 18 d’Europe orientale, 28 d’Amérique Latine et des Caraïbes et 25 d’Europe occidentale. Selon toujours un document de référence, le bureau du Procureur de la CPI mène en ce moment 10 enquêtes en Afrique et en Georgie. A cela, s’ajoutent les examens préliminaires en cours en Afghanistan, Colombie, Guinée, Irak, Nigeria, Palestine et Ukraine. Selon la même source, 29 mandats d’arrêt concernant des Africains ont été délivrés, 14 ont été exécutés et 3 retirés pour cause de décès.
Les autres sont considérés comme étant en fuite. Toujours par rapport aux chiffres, 9 citations à comparaître ont été émises. Les concernées se sont présentées volontairement devant la Cour sans avoir jamais été détenues. Cependant, il y a actuellement 6 personnes détenues. Il s’agit de Bosco Ntaganda de la RDC, Jean Pierre Bemba de la RCA, l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo et son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, l’Ougandais Dominic Ongwen et le terroriste malien Ahmad Al Fagi Al Mahdi. Côté jugement, 23 affaires ont été ouvertes dont 6 actuellement en phase de procès et 3 en phase de réparation. La CPI a eu également à prononcer un acquittement et a eu à recevoir près de 13 000 victimes. 180 000 autres ont pu bénéficier de programmes d’assistance.