Quémander est l’activité principale de certaines personnes à Dakar. Ces gens pensent que la seule solution pour subvenir à leurs besoins et de vaincre leur faim est de tendre la main aux autres dans les rues. On les voit partout dans les quartiers de Dakar, comme à Baobab où des femmes, des hommes et des enfants se livrent à cette pratique.
A Baobab, au bord de la route, se trouvent des restaurants, des stations d’essence qui sont presque des lieux de refuge pour beaucoup de mendiants bien portants qui tendent la main pour manger ou avoir de l’argent. C’est devenu une habitude car c’est leur seul moyen pour survivre. Pour ces femmes trouvées sur place que nous préférons taire les noms, la mendicité n’est qu’un moyen pour faire vivre leur famille. C’est l’aveu que nous fait cette femme venue du Mali qui ne comprenant même pas le Wolof. Habillée de manière modeste et accompagnée de sa fille âgée de cinq ans, elle tend la main pour vivre. «Je mendie par faute de moyens. Je viens du Mali et je dois nourrir ma fille et retourner au pays avec de l’argent. Pour cela, je dois rester ici pendant un an. Et j’ai peur de rentrer au pays sans sous car ma famille va me regarder avec un autre œil», confie-t-elle.
«Je parviens à nourrir ma fille et manger avec ce que l’on me donne. Parfois, ce que je reçois ne règle que mes besoins du jour. Mais ce n’est pas le cas tous les jours», avoue-t-elle. Dans un endroit bien fréquenté par des femmes et leurs enfants, on en voit qui sont assis sous l’ombre d’un arbre en train de manger du pain pour le déjeuner. Ces femmes, dont la plupart ne comprend pas la langue Wolof, côtoient leurs semblables sénégalaises dont une sexagénaire se confie à nous. «On n’a pas d’argent pour subvenir à nos besoins, c’est pourquoi on est là. La plupart des femmes qui sont là sont des maliennes. Elles remuent ciel et terre pour se faire comprendre par les sénégalais parce qu’elles ne parlent pas le wolof», a-t-elle dit.
Cette femme vêtue d’un boubou d’une autre époque, une écharpe rouge à la tête avance pour se confier. «Parfois, on reçoit du sucre, de l’argent et de la nourriture, mais il arrive souvent qu’on retourne à la maison les mains vides. Nous quémandons contre notre gré. Nous ne l’avons pas souhaité, personne ne souhaite d’ailleurs se retrouver dans la rue pour mendier. Si vraiment notre situation s’améliorait, nous ne resterions plus dans les rues», a-t-elle martelé. Assane Cissé, jumelle d’une certaine Ousseynou, n’a pas dit le contraire. «Je n’ai pas le choix, je ne peux que mendier, j’ai sept enfants et mon mari est malade, alors qu’on est pauvre. Donc pour pouvoir s’en sortir, je viens demander de l’aide pour que recevoir un peu d’argent auprès des gens», confesse-t-elle. «Quelques fois je peux recevoir un don de 2000 FCFA pour nourrir ma famille, parfois je retourne sans rien apporter chez moi. Je n’aime pas mendier, si quelqu’un me proposait 50 000 FCFA chaque mois pour faire le ménage, je n’allais plus mendier de ma vie», affirme la sexagénaire.
MENDIER EN CACHETTE
Abandonnant leur quartier pour venir dans le centre-ville de Dakar, la plupart des mendiantes s’adonne à cette pratique en cachette. C’est le cas d’Assane Cissé. «Ma famille sait que je mendie car c’est pour eux que je le fais, mais mon entourage n’est pas au courant car s’ils le découvrent, ils ne vont plus me donner du respect. Non seulement ils ne vont pas me venir en aide mais ils vont savoir ce que je suis en train de vivre», s’indigne-t-elle. Cette femme de poursuivre : «j’habite à Pikine mais je préfère venir ici pour mendier pour le faire à l’insu de mes ennemis, ici pratiquement personne ne me connait». Pour la mendiante à l’écharpe rouge, «avec ce qui se passe dans les quartiers, personne ne va oser mendier au su de son entourage, sinon ils vont vous sous-estimer». Pour elle, «personne ne vous donnera plus de considération». Elle dit avoir quitté Keur Massar pour venir en ville tendre la main aux autres. La femme malienne affirme tout à fait le contraire. «Je n’ai pas besoin de me cacher pour mendier, je ne suis pas d’ici. Je vis dans mon coin sans me préoccuper de ce que font les autres. D’ailleurs, je n’ai pas de famille ici, je ne vis qu’avec ma fille de cinq ans», raconte-t-elle.
LE JUGEMENT DES AUTRES
Certaines personnes interrogées à Baobab estiment que mendier en étant bien portant n’est que de l’oisiveté. Elles reprochent à ceux et celles qui tendent la main dans la rue à ne pas vouloir fournir d’efforts. C’est l’avis d’Ibrahima Diop, un maçon trouvé dans un chantier à Baobab. «Quand on est bien portant, on doit pouvoir travailler car on peut pratiquer un métier mener une petite activité pour pouvoir subvenir à ses besoins. Je comprends qu’on peut parfois avoir de petits problèmes et demander du soutien aux gens. Mais il ne faut pas s’éterniser dans la mendicité», a-t-il déclaré. Pour Babacar Ndiaye, c’est tout à fait le contraire. «Si c’est un jeune qui est capable de travailler, il doit chercher un métier. Il est intolérable pour un jeune de quémander, mais si c’est une femme qui a des enfants et qui n’a plus la force de travailler, elle ne peut que mendier car c’est son sort. Elle est obligée», martèle-t-il. «L’Etat doit aider les pauvres, soit en ouvrant des boutiques pour eux afin qu’ils aient de quoi nourrir leur famille, ou faire une politique de lutte contre la pauvreté qui va amoindrir le taux de mendicité dans ce pays», renchérit-il. Quant à Abdou Pouye, il pense que les causes de la mendicité sont à chercher dans la pauvreté, le chômage ou l’endettement. «J’en vois qui font le malin. Ils viennent vous solliciter pour un problème précis et reviennent vous poser le même problème une heure plus tard dans d’autres circonstances sans vous reconnaitre. Ceux-là sont des truands, personnellement je ne les aide pas. C’est d’ailleurs à cause d’eux que les gens se méfient des mendiants», dénonce-t-il.