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Souleymane Ndiaye (chef de la division bâtiment, génie civil à l’Asn): ‘’C’est dangereux de construire avec le sable de mer…’’
Publié le vendredi 21 octobre 2016  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DF
Les chantiers commencent à sortir de terre, à Diamniadio




Le Sénégal a mis en place une nouvelle réglementation pour avoir une meilleure traçabilité et qualité sur le fer à béton. La mesure est entrée en vigueur depuis le 29 août dernier. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le Chef de la division bâtiment, génie civil et électrotechnique à l’Association sénégalaise de normalisation, revient sur les contours de ce règlement qui, selon lui, peut constituer un début de solution aux nombreux effondrements de bâtiments. Souleymane Ndiaye déplore en même temps le fait que beaucoup de Sénégalais ne fassent pas recours à un architecte quand ils construisent.

Le Sénégal dispose d’une nouvelle réglementation sur le fer à béton. Qu’en est-il exactement ?

La mesure existait depuis 1994. Maintenant, l’Etat du Sénégal a pris une réglementation depuis le 29 février 2016. C’est un arrêté interministériel qui réglemente la commercialisation, la production locale et l’importation du fer à béton. L’Etat avait donné une période de grâce de 6 mois pour permettre aux acteurs de pouvoir écouler les produits qui n’étaient pas conformes aux exigences de l’arrêté. Ces 6 mois sont arrivés à terme depuis le 29 août passé. D’ailleurs, le 1er septembre 2016, le ministère du Commerce, en collaboration avec tous les acteurs du domaine, ont tenu le Conseil national de la consommation pour expliquer à la population pourquoi l’Etat a décidé de réglementer ce secteur.

Il y avait beaucoup d’effondrements de bâtiments qui sont dus, pour la plupart, à la mauvaise qualité des matériaux de construction. Quand un bâtiment s’effondre, pour la plupart, les gens disent qu’ils n’ont pas respecté les normes alors qu’une norme est, par essence, d’application volontaire. C’est le pouvoir public qui va prendre les normes d’ordre sécuritaire et les rendre d’application obligatoire. Nous félicitons le gouvernement d’avoir pris cette réglementation. En tant qu’acteur du domaine, quand il y a effondrement de bâtiment et qu’une personne est morte, notre conscience est vraiment touchée.

Donc sur le fer à béton, il ne s’agit plus d’une norme à appliquer volontairement mais plutôt d’une exigence qu’il faut forcément respecter ?

L’Etat n’a pas pris la norme et l’a rendue d’application obligatoire. C’est lourd. On a pris les exigences techniques de la norme notamment en ce qui concerne la caractéristique mécanique, technologique et géométrique. Vous n’allez jamais voir un ingénieur dimensionner avec une résistance à la traction inférieure à 400 MPA (méga pascals) parce que le rôle du fer dans le bâtiment est de résister à la traction. Il y a ce qu’on appelle le principe du béton armé. Le béton a une forte résistance à la compression mais n’a pas de résistance à la traction. Pour pallier ce défaut de la résistance du béton à la traction, on y associe des armatures. Mais si ces armatures n’ont pas les caractéristiques requises, c’est-à-dire que la nuance de l’acier n’est pas respectée, si les verrous ne sont pas respectés, si les écartements entre les verrous définis par la norme ne sont pas respectés, cette armature ne pourra pas jouer son rôle.

Pensez-vous que cette réglementation sur le fer à béton peut constituer une solution aux nombreux effondrements de bâtiments ?

Oui ! Je crois bien que cette réglementation sera le début de la solution parce que le fer joue un rôle important dans le bâtiment mais il y a d’autres matériaux de construction que nous devons vraiment réglementer également.

Quels sont ces matériaux ?

Dans la construction, il y a beaucoup de matériaux. Il y a le sable, le ciment, les graviers, la peinture, les carreaux. Mais il y a des matériaux moins importants concernant la sécurité. Le ciment et le sable sont importants. Beaucoup de gens construisent avec le sable de mer mais c’est dangereux parce que ce sable contient du sel. Ce sel peut attaquer le fer, corroder le fer et dans ce cas, le fer ne pourra plus jouer ce rôle de résistance à la traction et forcément il y aura effondrement. C’est dangereux de construire avec le sable de mer sauf si on le traite. Il faut enlever le sel et il y a des manières pour le faire.

Maintenant quel type de fer est autorisé dans la construction ?

Le problème, c’étaient tous les fers mais surtout celui produit localement. Le fer produit localement n’avait aucune exigence normative. Les diamètres nominaux des fers à béton n’étaient pas respectés. Quand on vous vendait des fers de diamètre 12 mm, le commerçant vous livrait des fers de diamètre 10 mm. La longueur de la barre qui devrait être de 12 m, on vous donnait une longueur de barre de 8 m. C’est le client qui perdait doublement ou triplement. Pour les fers importés aussi, dans la nouvelle réglementation, on a imposé à tous les acteurs du domaine de marquer leur fer. Il y a donc ce qu’on appelle le marquage. Ce marquage permet de faire la traçabilité. Quand on va prendre du fer chez quelqu’un, on saura qu’il provient de tel industriel. Actuellement, que ce soit le fer produit localement ou celui importé, ils seront obligés de respecter les exigences de l’arrêté. Les nuances seront le Fe 400 et le Fe 500. Les écartements entre les verrous sont définis dans l’arrêté. Tout y est défini.

Est-ce qu’il y a un dispositif établi pour veiller au respect de la nouvelle réglementation ?

Oui, il y a un dispositif. Les services du commerce existent partout à travers le territoire national. L’Etat ne peut pas mettre un gendarme partout. Pour cela, on appelle les populations à être leurs propres gendarmes. Elles doivent refuser d’acheter du fer qui est hors norme, c’est-à-dire quand on cherche à vous vendre du fer qui ne respecte pas les exigences de l’arrêté telles que les diamètres nominaux, les longueurs de la barre, vous devez refuser. Et aller par la suite faire une déclaration à la direction du Commerce intérieur. Dans ce cas, l’Etat va prendre les mesures idoines. Il y a des sanctions pécuniaires comme pénales. Le gouvernement ne va pas lésiner sur les moyens pour sanctionner ceux qui vont outrepasser les exigences établies.

Mais comment le Sénégalais lambda peut-il reconnaître le fer qui respecte la nouvelle réglementation ?

La première chose à savoir est la longueur de la barre qui doit être de 12 m. Il y a une tolérance de 10 cm qui est autorisée. Quand on vous vend du fer dont la longueur est inférieure à 11,90 m, vous saurez que c’est un point. Il y a aussi les diamètres nominaux. Le Sénégalais lambda ne peut pas reconnaître cela mais l’Etat est là pour protéger la population. Il a pris toutes les mesures pour aller dans ces industries. Il va faire des visites inopinées pour sanctionner les gens qui vont outrepasser les exigences de cet arrêté. Je crois qu’il n’y aura pas de problème pour ça. Les services du commerce sont partout.

À qui profite cette nouvelle réglementation sur le fer à béton ?

Cette réglementation, ce sont les populations qui vont en profiter parce qu’il y avait beaucoup d’effondrements de bâtiments. Des gens investissaient beaucoup d’argent sans pour autant être en sécurité. La nouvelle réglementation profite à la population mais aussi à l’Etat parce que le rôle de l’Etat est de protéger sa population.

En tant qu’ingénieur en génie civil, quel regard avez-vous sur le domaine de la construction au Sénégal ?

Je déplore le fait que les maîtres- d’ouvrage ne fassent pas appel aux acteurs du domaine, c’est-à-dire les gens qui connaissent le secteur de la construction. La construction est une chaîne. Il y a l’architecte qui doit faire les plans. Ce sont les bureaux d’études ; les ingénieurs qui font les plans de structure. Lesquels doivent être visés par un bureau de contrôle technique agréé par l’Etat. Lorsque ces plans de structure sont visés, l’entreprise qui doit exécuter ces travaux doit prendre ces plans d’exécution et faire les travaux conformément au plan d’exécution visé. Lors de l’exécution aussi, on doit faire recours à un bureau de contrôle technique agréé par l’Etat pour vérifier si effectivement l’entreprise qui est en train d’exécuter les travaux est en train de respecter ce qui est dans les cahiers de charges. Vous n’allez jamais voir un bâtiment public s’effondrer, parce que dans ce domaine, on respecte toutes les chaînes.

Donc les bâtiments qui s’effondrent sont ceux qui ne respectent pas ces plans ?

Les populations sont souvent responsables ; Car lorsqu’elles construisent, elles appellent un maçon pour élaborer un plan. Elles ne font même pas recours à un architecte alors que dans le code de la construction du Sénégal, il y a un dispositif qui donne à la population le pouvoir de recourir à un architecte. Il y a ce qu’on appelle l’aide architecturale, et elle est gratuite.

Mais pour beaucoup de Sénégalais, recourir à un architecte coûte cher !

C’est vrai. La plupart de nos compatriotes pensent que les architectes coûtent cher alors que tel n’est pas le cas. Les entreprises sont là pour optimiser. La qualité dure dans le temps et dans l’espace.

Au-delà du fer, qu’est-ce qu’il faut réglementer d’une manière générale pour la construction des bâtiments ?

L’Etat y est. Il y a le code de la construction. Tout ce qui figure dans ce code est d’application obligatoire. Ce code de la construction, actuellement est en révision. L’Etat a pris toutes les dispositions pour que ce code soit appliqué à la lettre. On va sensibiliser les populations sur le contenu de ce code pour les appeler à construire en respectant les normes. L’application du code peut être une solution à ce problème mais on appelle la population à respecter les normes de construction.

Vous êtes le chef de la division bâtiment, génie civil et électrotechnique à l’ASN. C’est quoi l’Association sénégalaise de normalisation ?

L’Association sénégalaise de normalisation (ASN) est l’organisme national de normalisation. Créé par décret numéro 78228 du 19 mars 1978, l’Institut sénégalais de normalisation (ISN) devenu Association sénégalaise de normalisation (ASN) depuis le 19 juillet 2002 relève du ministère de l’Industrie et des mines.

Quels sont les différents domaines d’intervention de l’ASN ?

L’ASN élabore des normes nationales. Elle fait de la certification mais aussi de la formation. Pour la normalisation, ce n’est pas seulement dans le domaine du bâtiment. Nous intervenons aussi dans d’autres secteurs d’activités. Il y a des divisions techniques qui sont là, notamment la division agroalimentaire, la division chimie-environnement, la division certification et la division relation extérieure et documentation.

L’ASN est tenue de défendre les intérêts du Sénégal dans les instances sous régionales, régionales et internationales de normalisation notamment au niveau de l’ISO, l’organisation internationale de normalisation. Nous sommes membre permanent de l’ISO. Nous avons des partenaires au niveau international tels que l’IEC, la commission électrotechnique internationale. Au niveau de la CEDEAO, il y a le schéma d’harmonisation des normes (ECOSHAM). Nous appartenons à un même espace géographique et harmoniser les normes va permettre de lever les barrières commerciales. Nous sommes aussi membres de l’Organisation africaine de normalisation (ORAN).

Souvent on parle de normalisation, de réglementation. Qu’est-ce qui différencie les deux concepts ?

Une norme, par essence, est d’application volontaire. Ça doit être un gage de confiance pour le client. Le client, pour sa propre sécurité et celle de ses biens, va se dire que je vais me conformer aux normes. Les règlements sont toujours d’application obligatoire. L’Etat, le pouvoir public, pour des raisons de sécurité publique, de santé publique, pour la protection des animaux et de l’environnement, peut prendre les normes pour les rendre d’application obligatoire par un arrêté interministériel ou un décret présidentiel. C’est le cas de la norme sur le fer à béton. L’Etat a constaté qu’il y a eu beaucoup d’effondrements de bâtiments et il a décidé de réglementer ce secteur. Les normes sont des outils de mise en œuvre des politiques publiques.
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