Tous les jours un tonnage important de poissons destinés à la consommation ou à l’exportation est débarqué sur les quais de Cayar à Joal, en passant par Soumbedioune, Yarakh, Rufisque, Yenn et Mbour. Cela n’aurait pas été possible si des pêcheurs n’avaient pas choisi de risquer leur vie et de sacrifier de leur temps pour aller chercher le poisson à plusieurs centaines de kilomètres au fond des océans. Par des campagnes (communément appelées marées dans le jargon des marins) d’une durée d’une semaine à un mois, ces pêcheurs voguent à travers les eaux territoriales sénégalaises pour se rendre en Guinée-Bissau, en Guinée ou en Sierra Leone. Pour réussir ce pari, les pêcheurs ont mis en place une organisation sociale du travail bien structurée. Du quai jusqu’en mer, du départ à l’arrivée, chaque membre d’équipage a sa partition à jouer pour que le poisson puisse arriver dans le plat des Sénégalais.
«Si ce n’étaient pas les pêcheurs, monsieur Mbow n’aurait pas pu prendre son repas». Cette chanson de Omar Pène résume à elle seule l’importance des pêcheurs dans notre société. Eux qui ont choisi de risquer leur vie pour aller pêcher le poisson en haute mer, sur des milliers de kilomètres jusque dans d’autres pays, en Guinée Bissau, en Guinée Conakry et même en Sierra Leone. Partir n’est pas facile, car il faut laisser tout ce qui est cher sur terre pour une campagne (marée) d’une semaine, voire d’un mois. Pour comprendre ce que vivent ces pêcheurs, nous avons choisi de partager leur intimité, en les suivant, des préparatifs à l’embarquement, de la pêche au débarquement.
PREPARATIFS POUR LE DEPART
Pour partir en mer, il faut bien se préparer. Car non seulement la route est longue, mais le danger est permanent. «Il n’y a pas de boutiques en haute mer», aiment dire les pêcheurs campagnards. Par conséquent, il faut aller au marché, se ravitailler suffisamment pour ne pas être en rupture de stock, le temps de la marée passé en haute mer. Assane Dieng est pêcheur à Soumbedioune, sa pirogue fait cinq à sept jours en mer. Avant de partir, il achète beaucoup de glace industrielle et des sardinelles qui vont servir d’appâts pour la pêche à l’hameçon. La nourriture est aussi une priorité. «Pour notre nourriture, nous achetons plus que ce dont nous avons besoin pour éviter la rupture de stock. Si nous avons prévu de faire cinq jours, nous nous approvisionnons pour plus de huit jours», déclare-t-il. «Nous mangeons du riz au poisson comme chez nous à la maison. Nous buvons du lait et du café, mais aussi du thé. Nous mangeons aussi du couscous. C’est comme si nous étions chez nous. Nous emmenons des bonbonnes de gaz et des sacs de charbon sous réserve. Les fumeurs emmènent aussi des cigarettes avec eux», nous apprend Assane Dieng. Selon lui, ce qu’ils mangent en mer est même meilleur que ce qu’ils ont l’habitude de manger à la maison. La pirogue a besoin d’une quantité suffisante de carburant pour voguer pendant plus d’une dizaine de jours en mer. Il faut aussi charger de l’eau pour assurer la survie de l’équipage.
Pape Diouf, capitaine de la pirogue Khadim Rassoul, sur le départ pour une marée de quinze jours, est en train de superviser l’embarquement de la glace destinée à conserver le poisson. «Ma pirogue utilise 9,5 tonnes de glace dont le prix avoisine les 400 000 FCFA. Nous emmenons 6 fûts de 200 litres et quelques bidons de 30 litres d’essence d’une valeur totale de presque 1 000 000 FCFA. Nous emmenons m3 d’eau, sans compter la nourriture et les autres nécessités pour un équipage de 13 personnes. Nous buvons et nous nous lavons à grande eau», nous apprend-il. Babacar Diouf que nous avons trouvé à Yenne ne dit pas le contraire. Un petit bâton à la main droite, il pique le sable tout en expliquant un peu l’ambiance du départ en mer. Son histoire nous ramène quelques années en arrière, au début des années 2000. «Un jour, vers 5 h du matin, nous avions quitté Elinkine accompagnés de deux autres pirogues. C’était la grande manœuvre en cette période d’hivernage, car il fallait lever l’ancre avant les premières lueurs du jour. Après avoir embarqué les moteurs de réserve, les derniers condiments et les sacs des matelots, tout le monde avait embarqué», rappelle-t-il. Selon lui, alors que le capitaine avait intimé au motoriste de démarrer, il y avait déjà deux matelots sur le pont pour lever l’ancre. «C’était enfin le départ. On pouvait encore voir Pierre Sagne, propriétaire de la pirogue, encore debout sur le quai d’embarquement en train de nous regarder partir, quand nous amorcions le virage vers Gnikine, en direction de Carabane.
En sortant de la tente servant de logis aux matelots à la proue de la pirogue, le jeune Mansour attisait le feu sur lequel était posée une grande marmite d’eau chaude. Le capitaine avait ouvert un sac de biscuits, tiré un seau de sucre et un autre seau contenant des sachets de 500 g de Vitalait pour les besoins du petit déjeuner», dit-il les yeux nostalgiques. Quand tout était prêt, Mansour devait servir tout le monde, en premier le préposé au gouvernail. Pour Bassirou Faye, récemment rentré de mer, trouvé assis sous une tente à Yarakh, confie : «la mer est comme l’armée, c’est une affaire d’hommes». Tenant entre les jambes son fils de quatre ans qui lui réclame 25 FCFA, il raconte qu’il faut nécessairement se ravitailler suffisamment en riz et en condiments. «Si tu dois passer 10 jours en mer, il faut se ravitailler en riz, en huile, en sucre, en thé, etc. pour 16 jours pour parer aux éventualités», soutient-il. Sur le plan médical, Bassirou Faye révèle qu’ils partent avec une quantité importante de médicaments, une boîte à pharmacie bien fournie. «Avant de partir, nous allons à la pharmacie chercher des médicaments et des pommades pour soulager la fatigue. Nous emmenons des comprimés, des compresses et de l’alcool pour donner les premiers soins à tout membre d’équipage blessé ou qui tombe malade. Si c’est grave, on regarde à travers le GPS le village ou la ville côtière la plus proche pour l’évacuer à l’hôpital. Un jour nous avions débarqué à Kafountine au camp militaire pour y emmener d’urgence un matelot qui avait le paludisme.
Après avoir été consulté avec tous les soins, il était perfusé. Et nous étions repartis avec lui car le médecin nous avait expliqué comment il fallait procéder pour enlever la perfusion dès qu’elle était finie», raconte-t-il. C’est le même son de cloche chez Mada Dieng. «En partant, nous dépensons plus de 150 000 FCFA pour la nourriture. Nous achetons 2 sacs de riz, un seau d’huile en sachets, 36 kilogrammes de sucre, du thé, 12 paquets de Vitalait, 2 sacs de pain d’une valeur de 10 000 FCFA, 2 pots de café. Bref, tout ce que nous mangeons à terre dans nos foyers. Nous embarquons plusieurs m3 d’eau. Nous emmenons 1800 à 1900 litres d’essence et 4 grandes bonbonnes de gaz», affirme M.Dieng qui révèle qu’en dehors de la ration commune chaque matelot emportait avec lui sa propre réserve personnelle en nourriture.
PREPARATIONS MYSTIQUES
Selon Assane Dieng, il y a bien des préparatifs mystiques qui se font avant le départ en haute mer. Si certains aspergent des potions dans la pirogue au moment du départ, d’autres se lavent à la maison avec de l’eau bénie. Il y en a aussi qui font des incantations au moment d’embarquer, donnent de l’aumône ou font une offrande au dieu de la mer. «Dans notre pirogue, nous avons l’habitude de prier individuellement, chacun selon ses convictions. Généralement, nous prions pour que Dieu nous protège, nous fasse revenir sains et saufs. Mais nous n’aspergeons rien», signale-t-il. Trouvé à Yenne, Abdou Diaw nous apprend qu’il était dans une pirogue qui accordait beaucoup d’importance au mystique. «Le propriétaire de notre pirogue voyageait avec le capitaine pendant une semaine au plus. Ils partaient en Casamance, chez un vieux marabout à Diakène Wolof, chercher des gris-gris et des potions mystiques. Quand ils revenaient, il fallait faire de l’aumône et s’acquitter de toutes les indications du marabout avant de partir.
Tous les membres d’équipages étaient obligés de prendre un bain collectif. Celui qui ratait une seule séance de ce bain ne pouvait voyager avec le groupe», révèle-t-il. «Un jour, au moment d’embarquer, un de mes meilleurs compagnons était sommé par le capitaine de rester à quai. J’avais trop mal. Cette décision m’avait révoltée. Ma marée était gâchée. Car je ne pouvais pas être à l’aise sans cet ami qui est maintenant en Espagne. Nous étions très complices. Nous partagions même les quarts de surveillance le soir. C’était le moment pour nous de discuter, de se rappeler de beaucoup de choses. Ce qui nous permettait d’oublier le temps», confie-t-il. Lat Dièye, âgé de 19 ans, matelot depuis 2005, se rappelle qu’on lui donnait souvent des gris-gris à attacher après une série de bains mystiques avant de partir pour une campagne. Par contre Bassirou Faye dit n’avoir jamais fait appel au mystique avant de partir en mer. «Je ne suis jamais parti chez un marabout. Je prie Dieu simplement de nous protéger et de nous faciliter le boulot pour qu’on ait beaucoup de poissons. Mon principal marabout, c’est le boulot. Je suis aussi très regardant sur la sécurité et je fais tout pour partir avec un bon moteur et une pirogue bien faite», souligne-t-il. C’est aussi le cas de Mada Dieng qui affirme qu’il n’accorde pas trop d’importance aux pratiques mystiques. «Quelques fois de bonnes volontés vous donnent des choses à utiliser, mais j’ai toujours peur d’en faire usage car je ne sais pas exactement ce que c’est. Je m’en remet au bon Dieu. En partant, je fais mes propres prières», dit-il.
L’ORGANISATION SOCIALE DU TRAVAIL EN MER
Une fois en mer, les pêcheurs sont très bien organisés. Chacun a sa partition à jouer. Pour faire voguer la pirogue, hormis le moteur, il y a le gouvernail qui lui donne la direction. Le gouvernail est assuré par le capitaine d’équipage, qui peut être relayé par une équipe de quatre pêcheurs aguerris ou plus, du départ à l’arrivée. Comme sur terre, il faut manger en mer pour survivre. Dans certaines pirogues, des bénévoles choisissent de cuisinier, dans d’autres, le capitaine désigne un cuisinier attitré qui ne fait que préparer à manger pour les autres. D’habitude, il est plus jeune que les autres et dispose de qualités humaines exemplaires. Poli et serviable, qu’il vente ou qu’il pleuve, il s’acquitte de son devoir. Il se lève très tôt, réveillé pour la plupart du temps par le capitaine d’équipage pour préparer le petit déjeuner. Dans d’autres embarcations, c’est un choix bénévole. Chacun peut choisir de se mettre au service des autres en préparant le repas. C’est le cas d’Assane Dieng qui prépare à manger pour ses membres d’équipage. «Nous préparons à manger par nous-mêmes. Je prépare le repas, un bon riz au poisson. Et je n’utilise que le sel, le poivre, l’oignon, le piment et le bouillon
. Et j’avoue que c’est meilleur que ce que nous avons l’habitude de manger à terre», nous dit-il. Quelque fois, l’intensité du travail peut lui empêcher de cuisiner. «Si nous sommes débordés par le volume du travail, nous n’avons pas le temps de préparer à manger. Comme nous emportons du couscous pour parer à ces éventualités, je donne rapidement un gobelet de couscous sucré à chacun pour tenir, le temps de finir le boulot», confesse-t-il. Pour évacuer le volume d’eau qui rentre dans la pirogue, les plus jeunes matelots sont préposés à l’exercice, tout le long de la marée. «Les plus jeunes matelots sont préposés à l’évacuation du surplus d’eau qui est dans la cale de la pirogue. Ils sont déjà désignés par le capitaine et n’attendent jamais qu’on leur dise qu’il faut puiser l’eau de la cale et la reverser en mer. Toutefois, s’il y a du vent ou de la pluie, et que la mer est agitée, les grands matelots leur viennent en renfort», informe Moussa Ndour trouvé à Cayar. «Le travail est bien réparti. Il y a des gens pour reverser le surplus d’eau en mer. Les plus jeunes sont préposés à ce travail. Il y a un cuisinier, et aussi des gens qui secondent le capitaine à la poupe dans la gestion du gouvernail. Des gens sont également désignés pour monter la garde à tour de rôle, par binômes, comme dans les bateaux», confirme Bassirou Faye. Mada Dieng, est capitaine de pirogue. Il a tiré sa pirogue à quai pour les besoins de réfections, le temps de passer la fête de la Tabaski en famille. Il nous apprend que le travail de marée devient de plus en plus difficile de nos jours. «Le poisson se fait de plus en plus rare et nous sommes obligés de traverser les frontières pour nous rendre en Guinée, à Bissau, en Sierra Leone, etc. Je fais plus de 20 jours en mer dans mes campagnes», renseigne-t-il. Sur le plan social, Thierno Konté reconnait qu’il est toujours très difficile pour le marin de quitter ses amis, sa femme et ses enfants, pour plus d’une quinzaine de jours. «C’est vraiment très dur de quitter les siens, mais c’est une affaire d’hommes. Et comme c’est le métier que nous avons choisi, nous sommes obligés de faire avec. La veille du départ, on ne dort presque pas en pensant aux parents qu’on laisse derrière», confesse-t-il.
LA JOURNEE DU PECHEUR EN HAUTE MER
Pour Pape Diouf, la vie en mer est tout aussi agréable qu’à la maison. «J’éprouve le même plaisir en mer que chez moi. Je me sens même plus à l’aise dans la pirogue où je peux me balader torse nu comme je veux. Je me lave régulièrement comme à la maison. Etre en mer me donne des forces car au-delà de la peine, je me sens fier d’être là pour le bonheur de ma famille. La pirogue est une source de liberté pour nous puisque c’est notre gagne-pain, notre entreprise, notre source de revenus. Nous nous sentons à l’aise. Nous écoutons de la musique tout le temps», renseigne-t-il.
Cette fois-ci, cap sur Elinkine, avec le témoignage de Babacar Diouf, trouvé à Ngaparou, qui nous replonge dans le passé. Il raconte son embarquement à bord de la pirogue «Hyacinthe Thiandoum» pour partager sa journée de pêche. Après avoir dépassé Djogué, puis Djimbéring et Cap Skirring, cap était mis maintenant vers la Guinée-Bissau. En voguant alternativement entre les caps 180 et 220 Sud, on tombe après quatre heures de foulée sur le fameux banc de sable appelé «Khadafi» réputé dangereux pour les pirogues, surtout la nuit. Cette zone dangereuse regorgeait de beaucoup de poissons, surtout de requins. Arrivé sur place, le capitaine avait décidé, dit-il, d’amarrer. Pour sécuriser l’embarcation des vagues, il avait filé sur le cap Ouest, en plein océan, laissant derrière le banc de sable. Loin, presque à près de dix kilomètres, il avait ordonné de s’arrêter. Il était presque 14 h et le cuisinier servait déjà le repas. Le capitaine de l’une des deux autres pirogues avait décidé de continuer son chemin. Non loin, l’autre pirogue avait aussi décidé de s’arrêter. Il fallait manger. Après le repas, du riz à la sauce d’arachide («mafé» en Wolof), un jeune matelot avait commencé à préparer le thé. Mamadou Mbengue, un vieux lébou de Guet Ndar, qui ne prend pas le thé avait demandé de l’eau chaude pour boire un café noir. Bien servi, il alluma sa cigarette et va s’asseoir sur le pont de la pirogue, en train d’observer le mouvement des bateaux de pêche et de transport de marchandises. Quelques minutes plus tard, le thé est servi pour le plaisir des matelots entassés sous la tente, à l’écoute d’un transistor relié à un fil qui lui servait d’antenne. Une cigarette aux lèvres, le capitaine vérifiait les derniers réglages sur son filet dérivant pélagique, recousant quelques mailles oubliées. Tous ceux qui sont éveillés étaient en discussion sur les sujets qui les intéressaient.
D’aucuns dormaient pour mieux récupérer. Quand le thé est fini d’être servi, le jeune cuisinier avait préparé du lait pour tout le monde. Vers 17 h, le capitaine rappelait qu’il fallait lever l’ancre après la prière pour se préparer à poser le filet. De sa position, il avait vu les espèces pélagiques en train de sauter. Il y avait les bars, les maquereaux et les harengs. Ce qui signifiait que les requins n’étaient pas loin car ils les suivaient pour s’en nourrir. Debout sur la poupe de la pirogue, le capitaine enfile sa combinaison de pêche et prend la barre. Il devait maintenant faire ses calculs en utilisant ses connaissances et son expérience maritimes. Il devra calculer sa position avec le banc de sable en vertu des différentes marées basses et hautes qui vont traverser la nuit. Debout, il observa le mouvement de l’eau par rapport à l’est où se situe le banc de sable. Il décida alors de faire quelques kilomètres de plus vers l’ouest. Il était presque 18 h quand il avait arrêté le moteur de la pirogue, ordonné à son second de l’orienter contre le courant marin pour laisser tomber la bouée de signalisation délimitant le bout du filet. Sur une canne de deux mètres, retenue par un bidon vide de 20 litres et lestée par une pierre proportionnelle, est fixé un signal qui s’éloigne au fur et à mesure que le capitaine laisse choir le filet dans l’eau. A 19 h 45, l’exercice était terminé, il fallait attendre et laisser le filer dériver tout le long de la nuit. Une surveillance s’imposait, car il y a beaucoup de navires qui se déplacent la nuit sur ce canal international, à plus de 60 kilomètres des côtes à l’intérieur de l’océan atlantique, comme sur une autoroute.
LA NUIT DU PECHEUR EN HAUTE MER
Dans la nuit, pour éviter le danger, les pêcheurs montent la garde à tour de rôle, constitués en binômes comme dans l’armée. Deux à deux, ils s’occupent de la sécurité des autres en surveillant les mouvements des bateaux et ceux de la pirogue qui peut rentrer dans un banc de sable. «Nous montons la garde à tour de rôle, deux à deux, car il y a de nombreux bateaux qui circulent. Il y a aussi que la technologie a évolué avec les lampes de signalisation qui permettent aux bateaux de voir nos positions et celles de nos filets. Pour partir en Guinée-Bissau, tant que nous ne sommes pas arrivés à destination, la pirogue ne s’arrête pas, elle vogue nuit et jour», nous apprend Pape Diouf. «Il nous arrive d’être nostalgique de nos femmes. En réalité, nos femmes nous manquent en mer. Nous sommes dans un monde d’hommes unis et solidaires dans l’environnement du danger», confesse-t-il. «Nous sommes tous conscients de ce qui nous lie.
Comme nous avons avec nous des jeunes, nous devons adopter des comportements responsables. Par conséquent, il n’y a pas de place pour les histoires et la violence», poursuit-il. Quelque fois, les pêcheurs peuvent se confronter à des situations extraordinaires, en étant témoins de phénomènes para naturels. Moussa Fall, pêcheur à Mbour raconte une situation vécue à Ourango, aux larges des côtes Bissau Guinéennes. «Une nuit, vers les coups de 2 h du matin, je montais la garde avec un ami, Sérigne Guèye, quand tout à coup, j’avais vu une lueur qui se dirigeait vers nous, comme un petit avion. Arrivé à notre hauteur, j’avais aperçu quelque chose qui ressemblait à une forme humaine. En dessous d’elle, deux lampes avec la forme de seins. Nous étions bouche bée, mon ami voulait crier pour alerter les autres membres d’équipages, mais je l’avais retenu. Le fameux appareil volant était reparti comme il était venu. Sérigne tremblait, il était complètement malade», raconte-t-il. «Le lendemain, au soir, il avait sauté à l’eau, criant «maman, maman». Deux membres d’équipages avaient sauté en mer pour le recueillir. Il y avait un courant marin très fort qui risquait de les emporter tous, car il se débattait. Le capitaine était obligé de manœuvrer la pirogue avec le moteur pour la mettre sur la trajectoire du courant. Quand ils étaient arrivés sur le côté de la pirogue, j’avais plongé pour aider les autres à le remettre dans la pirogue. Il faisait très froid ce soir-là et mes cigarettes étaient trempées. Personne ne pouvait plus dormir cette nuit car il fallait bien surveiller Sérigne», se rappelle-t-il. Selon lui, pour toute confession, Sérigne leur avait avoué le lendemain que c’est sa maman qui l’appelait. Or, sa maman est décédée il y avait quelques années déjà. Pour éviter que le pire ne soit survenu, ils étaient obligés d’écourter leur marée pour rentrer afin de débarquer Sérigne. «Nous avions très peur car nous avions entendu qu’un matelot devenu fou avait tué des gens dans une pirogue venue de Diogué. Nous avions peur du comportement de Sérigne. C’est pour cela que le capitaine avait décidé de rebrousser chemin», dit-il.
LA REVOLUTION DU GPS
Le GPS est un outil qui a révolutionné le travail des pêcheurs. C’est un outil d’orientation qui leur permet de repérer les points dangereux comme les bancs de sable, les épaves immergées de bateaux, les pierres et les zones poissonneuses. Il suffit simplement de les enregistrer, de les mémoriser pour les repérer la prochaine fois. «Quand nous arrivons dans une zone poissonneuse, nous faisons rentrer la position géographique des lieux dans la mémoire du GPS. Si le courant maritime nous y éloigne, le GPS nous le signale et nous revenons sur les lieux sur orientation du GPS. Une prochaine fois, c’est le GPS qui va nous guider vers la zone», nous apprend-il. «Nous voyageons avec des ordinateurs, des GPS qui nous facilitent l’orientation géographique. Nous connaissons à l’avance les côtes maritimes que nous traversons. Le GPS nous indique également si nous sommes en pays étranger», soutient Bassirou Faye de Yarakh Hann Pêcheur.
UNE PLACE POUR LE BONHEUR
Ils sont presque tous unanimes à reconnaître qu’il y a bien de la place pour le bonheur et le plaisir en haute mer. Des heures les plus tranquilles aux moments d’activités intenses, la musique accompagne les matelots pour leur faire oublier la permanence du danger et la monotonie. «Nous écoutons de la musique avec nos portables ou avec des postes radios qui prennent des clés USB ou des cartes mémoires», nous apprend Salif Diop, confirmé par Mada Dieng qui explique qu’ils écoutent des chants religieux ou des prêches de Taib Socé, Iran Ndao ou Oustass Alioune Sall enregistrés dans des cartes mémoires insérées dans des téléphones. Les jeunes aiment également écouter de la musique. Les plus nostalgiques ne se séparent pas de leur album photo, histoire de penser en permanence à la douce moitié laissée sur la terre ferme. Selon ces pêcheurs interrogés, il n’y a pas véritablement de place pour le stress car les gens se taquinent, rigolent et discutent sur des sujets pertinents.