La situation est encore confuse dans le village de Sinthiang Saby, situé dans le département de Vélingara, à l’Est de la région de Kolda. Dans cette contrée, l’islam est meurtri, à cause des tensions entre les communautés Tidiane et Ibadou. Il ne se passe plus un mois sans que des affrontements aient lieu. A l’origine, la reconstruction de la mosquée du village. Reportage.
Il est 11 heures. Pas d’éclats de voix ni de rires, pas de bruits. Les caquètements des poules remplacent la cacophonie des klaxons de motos et des sons de musique. Dans cette bourgade, les signes de joie de vivre ensemble, manifestes ailleurs dans la région de Kolda, sont absents. La fraîcheur ambiante est loin d’apaiser le climat de tensions et de rivalités entre les communautés Tidiane et Ibadou. La rancune a pris le dessus sur la fraternité et la cohésion sociale. Bienvenue au village de Sinthiang Saby niché dans la commune de Kandia, arrondissement de Saré Coly Sallé, département de Vélingara, région de Kolda.
A Sinthiang Saby, une seule phrase vient à la bouche de chacun : « Nous ne vivons pas la paix, ni la fraternité et le fossé économique est criant ». Les récurrents affrontements minent le village et empêchent les habitants de dormir sur leurs lauriers. Habit coloré, visage à peine ridé, cette mère de deux enfants prévient que « si les autorités locales ne mettent pas un terme à ce conflit, il risque d’y avoir mort d’homme ». Au vu de la tournure des événements, elle craint le pire.
Mamadou Konté, de sa voix perçante, pleure l’inexistence de la cohésion sociale. La voix brisée, il avoue que « ces affrontements n’arrangent personne. Ni le camp de la famille Sylla, ni celui de la famille Aïdara. Nous devons nous ressaisir et savoir que nous sommes tous les serviteurs du même Dieu. Le poste d’imam ne devrait pas être le nœud du problème. La famille Sylla veut conserver le poste d’imam ratib, tandis que la famille Aïdara veut prendre la relève ».
Une question taraude tous les esprits : à quand les prochains affrontements ? En effet, il ne se passe pas un mois, sans qu’il y en ait. De ce fait, un sentiment de terreur permanente règne dans cette agglomération. Car l’esprit de vengeance a pris le dessus sur toutes les autres considérations. D’où le cycle de violences dans lequel est engluée la population. D’ailleurs, ce qui s’est passé le mercredi 14 septembre dernier en est une parfaite illustration.
La reconstruction de la mosquée, le nœud du conflit
Mais avant d’en arriver à ce sanglant 14 septembre, rappelons que c’est en 1954 que des membres de la communauté Sarakolé ont quitté le territoire gambien pour venir s’installer au Sénégal. Ils ont fondé le village. Une mosquée a été implantée au cœur du village et l’imamat a été confié à Samballa Sylla. Durant son magistère, il est parvenu, avec l’aide des fidèles musulmans du village établis en Europe et en Gambie, à moderniser la mosquée. Construite en ciment et en toit en zinc, embellie d’une couleur blanche, elle est entourée par une murette d’un mètre et demi de hauteur. Elle se situe à une dizaine de mètres du domicile de l’Imam ratib et à une centaine de mètres de la famille de Baba Aïdara (l’autre famille qui convoite l’imamat). Avec le poids des ans, l’imam ratib Samballa Sylla s’est retiré en 2010, cédant la place à son fils Douga Sylla.
En 2015, l’imam ratib Douga Sylla a obtenu un financement d’un fidèle musulman établi en Gambie pour la reconstruction de la mosquée. Les populations ont alors décidé de détruire l’ancienne bâtisse pour en construire une nouvelle. Sauf, dit-on, que Baba Aïdara, talibé Tidiane habitant ledit village, s’y oppose catégoriquement sous le prétexte qu’elle a été construite par son défunt père Karamba Aïdara. Et il souhaiterait que cette reconstruction soit faite « moitié moitié ». Ainsi, un arrêt sous-préfectoral de cessation de travaux a été signé. Entre-temps, les membres de la famille Sylla ont obtenu un financement. Avec l’autorisation du sous-préfet de Saré Coly Sallé, ils ont érigé une mosquée dans leur domicile en face de l’ancienne mosquée.
Ensuite, un arrêté sous-préfectoral N°052 /ASCS/SP a été signé le 28 avril dernier portant levée de la mesure d’interdiction provisoire de construction de mosquée du village de Sinthiang Saby Sandaga et fixant ainsi les conditions de reconstruction de ladite mosquée. Conformément à cette décision, le comité de facilitation dirigé par l’imam ratib de Vélingara, Thierno Ibrahima Diallo, en accord avec le sous-préfet de Saré Coly Sallé, a organisé une réunion de réconciliation entre les deux parties, le 05 mai dernier. L’objectif de la rencontre était d’étudier la reconstruction de la mosquée sur l’ancien site. Malheureusement, la partie Sylla n’a pas répondu à la convocation.
Le 13 du même mois, le maire de la commune de Kandia, après avoir reçu le dernier arrêté, a adressé une lettre N°10 2016/CK à l’autorité administrative. Dans la missive, l’édile dit qu’il ne partage pas la décision prise par le sous-préfet. Il estime qu’elle « peut avoir, à long terme, de lourdes conséquences sur la paix et la concorde du village ». Le 16 mai dernier, les membres de la famille Aïdara, « suivant l’arrêté, ont voulu poser la première pierre de la mosquée ». Devant le refus catégorique des membres de la famille Sylla, la cérémonie a avorté. Car les membres de la famille Aïdara et leurs invités ont été pris à partie par une foule armée de pierres.
N’eût été l’intervention des gendarmes, un affrontement sanglant aurait eu lieu. Depuis lors, chaque famille campe sur sa position. Mais le problème inavoué est que la famille Sylla veut conserver le poste d’imam ratib, tandis que les membres de la famille Aïdara le veulent.
La recrudescence des violences
Presque un mois plus tard, le 12 juin dernier, une 1ère bataille a éclaté entre les deux camps. Ce jour-là, vers 18 heures, au moment où les bêtes s’abreuvaient au forage du village, une bataille rangée a éclaté entre des membres des deux familles. Vers les coups de minuit, sous une pluie battante, un second face-à-face a eu lieu. « Les jeunes de la famille Aïdara », dit-on « sont passés devant le domicile de l’imam ratib de la mosquée et ont injurié ses enfants, en disant qu’ils n’osaient pas les trouver au forage ». Emportés par la colère, les enfants de la famille Sylla ont relevé le défi. Ils les ont retrouvés au lieu fixé pour les bastonner. Bien corrigés, les jeunes de la famille Aïdara sont allés appeler leurs aînés. Ces derniers, armés de coupe-coupe, ont été désarmés, avant d’être bastonnés à leur tour. « Parce que nos jeunes étaient beaucoup plus nombreux », soutient un membre de la famille Sylla qui préfère garder l’anonymat, sous prétexte qu’il n’a pas été mandaté par l’imam ratib. Interrogés, les jeunes de la famille Aïdara réfutent catégoriquement ces allégations. Ils soutiennent que « c’est le contraire qui s’est produit ».
Toujours est-il qu’au cours de ces affrontements, des blessés ont été dénombrés des deux côtés. Des plaintes déposées ont valu l’arrestation de l’imam ratib Douga Sylla, de Hadji Sira Sylla, Hadji Atou Sylla, Bakhoré Sylla, Bakhoré Gnouma Sylla, Mouhamadou Traoré et Adama Konté. Ils ont été arrêtés le 12 juin et placés sous mandat de dépôt, le mardi 14 juin, pour troubles à l’ordre public et coups et blessures volontaires récipropres n’ayant pas occasionné respectivement une incapacité temporaire de travail. Après avoir passé des semaines à la prison de Kolda, les prévenus ont été condamnés avec sursis par le tribunal de Grande Instance de Kolda. A la suite de cette condamnation, en août dernier, les autorités locales ont demandé aux deux camps de surseoir à la reconstruction de la mosquée du village qui est au cœur du conflit. Ainsi, à l’occasion de la fête de Tabaski, elles ont ordonné aux habitants de Sinthiang Saby de nettoyer une place pour la grande prière. Ce qui a été fait.
Ainsi, le mercredi 14 septembre, surlendemain de la fête de Tabaski, ‘’les Tidianes ont procédé à la construction d’une hutte sur les lieux, avec l’autorisation des autorités locales, pour permettre aux fidèles musulmans de prier tous les vendredis », explique Ibrahima Diaby, conseiller spécial de l’imam ratib de Vélingara qui est aussi le président du comité de facilitation pour la reconstruction de la mosquée de Sinthiang Saby. Mais, poursuit-il, « les Salafistes, armés de coupe-coupe et de gourdins, ont fait irruption sur les lieux et ont attaqué les Tidianes. La bagarre a occasionné quatre blessés graves. Il s’agit de Mahamadou Aïdara, citoyen américain d’origine sénégalaise. Il est gravement atteint à la nuque et a été interné à l’hôpital régional de Tambacounda. Moussa Aïdara a aussi reçu de violents coups. Idrissa Aïdara a, lui, reçu une brique à l’épaule qui s’est déboitée. Hadji Aïdara est blessé gravement aussi ». « Les victimes ont déposé, le vendredi 16 septembre, des plaintes auprès du tribunal d’Instance de Vélingara.» Pour le moment, il n’y a pas eu d’arrestations. Une affaire à suivre.