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Mamadou Wane, sociologue: ‘’La mendicité est devenue une organisation mafieuse’’
Publié le mercredi 28 septembre 2016  |  Enquête Plus
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© Autre presse par DR
Des enfants talibés (les disciples) mendiant dans les rues, au Sénégal




Sans langue de bois, le sociologue Mamadou Wane estime que la méthode utilisée dans la campagne de retrait des enfants talibés de la rue montre ses limites. Selon le Coordonnateur de la plate-forme pour la promotion des droits humains, qui déplore le phénomène de la mendicité, la société sénégalaise est ‘’déréglée’’. Ainsi, dans cet entretien réalisé mardi dernier au centre Ginddi, en marge d’une remise de dons aux parents des enfants retirés, M. Wane passe à la loupe cette pratique sociale qu’il dénonce, condamne également les pouvoirs publics qui ne se sont pas impliqués.

Quelle appréciation faites-vous de la campagne de retrait des enfants de la rue ?

Le gouvernement a pris l’initiative de retirer les enfants de la rue, dans le but d’assurer une meilleure protection de ces derniers. C’est donc une bonne chose. Mais, pour lutter contre ce phénomène, je pense qu’il y a nécessité de redéfinir nos modalités de prise en charge des enfants qui appartiennent à ces milieux exclus. C’est aussi, à mon avis, l’aboutissement de la tradition qu’on peut voir chez les talibés qui était héritée d’un système. Et ce dernier prévalait avant dans les sociétés traditionnelles, et dans des économies moins compliquées que celle du marché actuel. Des institutions étaient en phase avec le type d’organisation communautaire de l’époque.

Maintenant, cette ancienne pratique ne peut plus répondre. C’est ce qui fait que toute cette présence d’enfants dans la rue est un fait à caractère d’exploitation, parce que le système fonctionne ainsi. Le fait de donner l’aumône est une pratique vraiment sociale chez les Sénégalais. D’ailleurs, les donneurs amplifient la mendicité. Aussi, nous le faisons n’importe comment. Ce qui est contraire aux préceptes de l’islam. Depuis la République de Médine, du temps du Prophète (Psl), des recommandations ont toujours encadré la donation d’aumône. De ce point de vue, je dis qu’il est extrêmement important, au Sénégal, de revoir comment refonder cette pratique.

En quoi faisant ?

Moi je pense que, à partir des mosquées, des conseils de quartiers, d’une approche communautaire, nous pouvons mettre en place des points de collecte de l’aumône. Il faut qu’il y ait un comité de gestion qui va voir, à partir de contrat d’objectif, cibler les Daara qui seront bénéficiaires de l’aumône ou les personnes. Et cette démarche peut nous permettre de combattre la professionnalisation de la mendicité. Par ailleurs, c’est aussi une démarche pour éviter de donner l’aumône à quelqu’un qui va acheter de l’alcool, de la drogue… parce qu’il est dans des situations de détresse. Vous n’avez aucune garantie de ce que vous offrez.

La donation de l’aumône n’a-t-elle pas toujours existé dans la société sénégalaise ?

Bon, il faut reconnaître qu’ici, on applique mal l’islam. L’aumône est encadrée par l’institutionnalisation de la zakat. Moi, je pense qu’il nous faut aller vers une révolution culturelle pour refonder nos mécanismes de solidarité, essayer de tourner la page de l’incivisme des Sénégalais qui se manifeste partout, dans la rue, la conduite, l’occupation de l’espace, etc. Partout dans le monde, les gens donnaient de l’aumône sans aucune organisation. C’est là, par la suite, qu’on a institué la caisse de sécurité sociale. A partir de l’Eglise, des points de collecte ont été créés. Quand on fait la recherche, même au Sénégal, chez les Diolas, il y a une bonne pratique de donation de l’aumône. On n’expose pas la personne à la stigmatisation.

Malgré cette lutte que vous menez, on constate que le phénomène reste entier. Vos résultats escomptés, dans cette campagne, ont-ils été au rendez-vous ?

Effectivement, je suis d’accord avec vous. Premièrement, tout l’Etat n’est pas engagé dans la campagne. Et il n’a pas mis tous les moyens de la force publique pour garantir la protection des enfants. Il n’y a que le ministre de la Famille et de l’enfant, la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes, etc. On ne voit pas les préfets, les commissaires. Parce que, dans une telle opération, on ne doit pas laisser la Brigade des mineurs, la Direction de la protection des droits des enfants… faire tout le travail. L’Etat, c’est un ensemble, une cohérence. Maintenant, si vous n’utilisez qu’une infime partie de cet appareil, il est évident que cela va forcément poser problème. Si on décide de faire cette campagne, on réquisitionne toutes les institutions, y compris celles de la société civile qui assurent la protection des enfants.

La méthode utilisée est-elle efficace ?

Eh bien ! Je ne peux pas dire que la méthode n’est pas bonne. Par contre, je considère qu’elle elle montre ses limites, parce que le phénomène est très complexe. A cet égard, on doit développer des stratégies adéquates, des réponses, par rapport à la complexité. Donc, tous les acteurs doivent s’impliquer, y compris les délégués de quartier qu’on ne voit pas. Cette affaire doit être une question d’enjeu national, parce que c’est un problème civilisationnel.

Après avoir diagnostiqué le mal, comment faire pour remédier à tous ces maux ?

C’est simple. Il faut juste appliquer la loi. La République, c’est toute une organisation, une capacité à protéger les plus faibles, surtout quand il s’agit des enfants. Autrement dit, toute personne qui exploite un enfant, y compris par ses propres parents, doit répondre devant la Justice. On n’accompagne pas l’esclavage ou la servitude de ce groupe.

Depuis quand avez-vous constaté l’exploitation des enfants ?

Depuis fort longtemps ! En tant que sociologue, au début des années 90, j’ai travaillé sur des questions relatives à l’enfant. Dans mes travaux sociologiques, je me suis toujours intéressé à la crise de l’enfant en milieu urbain. Actuellement, on voit qu’on reproduit des logiques de domination des enfants et des femmes. Malheureusement, on fait état de la religion, notamment l’islam, pour justifier ces pratiques.

La pauvreté est-elle un facteur explicatif de ce phénomène des enfants dans la rue ?

C’est un élément. Parce qu’il y a des gens pauvres qui restent dignes, et essayent de développer des stratégies de réponse à la pauvreté. Ils travaillent dans le secteur de l’agriculture, le milieu domestique, etc. Aujourd’hui, beaucoup de femmes travaillent dans l’économie domestique comme réponse. C’est vrai que c’est un élément déterminant. Mais on n’accepte pas, sous le prétexte de la pauvreté, qu’on réduise les enfants à l’esclavage. C’est violent. D’abord, l’enfant est arraché à sa famille, on lui demande de l’argent. Et il est exposé à des violences sexuelles, y compris des viols. Aussi, on a vu des garçons violés. En un mot, c’est une organisation mafieuse.

A votre avis, la société sénégalaise est-elle malade ?

Elle est plus que malade. C’est une société déréglée, avec une fuite de responsabilités depuis le sommet. Comment une société peut accepter qu’on demande à des enfants de rapporter tous les jours de l’argent, sinon on va les battre ? Elle cautionne qu’ils soient mis dans des types d’habitat où vous allez hésiter d’y mettre des moutons, qu’ils marchent pieds nus… A 5 heures du matin, ils sont envoyés dans la rue. On organise l’exploitation de la mendicité qu’on veut justifier au nom de quel islam ? Notre société traite ses enfants de cette manière, on ne dit rien, y compris les dirigeants politiques. Et j’ai l’impression que les gens ont peur de réagir pour dénoncer ces pratiques esclavagistes. C’est de l’inconscience.

Est-il possible d’éradiquer la mendicité des enfants?

Est-ce qu’il était possible d’éradiquer le phénomène de l’apartheid, le travail forcé ou la colonisation ? A cet égard, je dis qu’on doit l’éradiquer. Il faut garder la mémoire historique. L’Afrique a connu toutes les formes d’exploitation de l’homme, les plus barbares. Il y a eu des générations de jeunes Africains qui ont lutté. S’ils se posaient cette même question, je vous assure qu’on ne serait pas là en train de faire cet entretien. Alors, nous sommes des milliers au Sénégal organisés pour combattre ce phénomène. Tant qu’il nous restera un seul souffle de vie, on va lutter contre cette forme d’exploitation et d’esclavage des temps modernes.

Vous avez fait état de certains manquements dans le cadre de ce retrait…

(Il coupe) Vous savez, on a un problème avec l’Etat. A partir du moment où un chef d’Etat, dans un communiqué du conseil des ministres, donne une directive, j’ai du mal à comprendre que le ministre de l’Intérieur ne puisse pas l’appliquer et mobiliser tout le monde autour de cette affaire. C’est aussi valable pour le ministère de la Santé. Qu’un Premier ministre puisse dire, à un moment donné, que cette pratique s’arrête à Dakar. On ne peut pas le déplorer ici, et l’accepter à Thiès, Tambacounda, etc. C’est inacceptable. Soit on est dans un gouvernement cohérent, un Etat dans le sens de la modernité. Quand le président de la République donne une directive, tout l’appareil d’Etat doit se mobiliser. Parce que le préambule de la Constitution fait référence aux conventions internationales relatives aux droits de l’enfant.

Le Sénégal applique-t-il les conventions qu’il a signées, dans le cadre de la protection des droits de l’enfant ?

Non, le Sénégal n’applique même pas une partie de ses propres lois, alors qu’il vit dans un monde en interrelation économique, politique. Nous faisons partie du système des Nations unies. Et pourquoi nous bénéficions de la coopération internationale ? Le Sénégal est un pays qui ne fabrique rien. Nous dépendons de l’extérieur. Mais quand il s’agit de défendre nos enfants, on ne le fait pas.

Apparemment, vous êtes déterminé dans cette lutte. Et les enfants talibés sont toujours dans la rue. Etes-vous optimiste quant à l’issue de votre opération ?

Moi, je suis de nature optimiste. Je suis un militant. Et j’ai beaucoup de gens comme moi dans ce combat. Nous allons nous battre contre ce phénomène. Cette démarche fait partie des principes de vie. Il faut investir dans des projets de société, dans une vision de l’Afrique.
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