En conférence de presse samedi dernier, l’ex-Inspecteur des Impôts et Domaines a contré les arguments de la déclaration du Premier ministre avant de soulever nombre d’ ‘‘irrégularités’’ dans l’attribution du bloc pétrolier à Petro-Tim.
Ousmane Sonko et tout Pastef avec lui persistent et signent. Ils comptent bien poursuivre le débat sur le pétrole et le gaz malgré les avertissements du Premier ministre. L’ex-inspecteur des Impôts et Domaines juge la sortie du chef du gouvernement sénégalais de lundi dernier apologétique. ‘‘Tout cet exercice est en réalité un blanchiment de Petro-Tim dont le gérant se trouve être M. Aliou Sall qui lui-même se trouve être le frère du président de la République. Tout ce qui a été dit avait une seule finalité qui était de blanchir cette entreprise et toutes les irrégularités depuis l’octroi des permis jusqu’à la cession des parts’’, a-t-il déclaré samedi lors d’une conférence de presse à Dakar.
Ousmane Sonko a dénoncé les fausses pistes techniques sur lesquelles la communication gouvernementale a tenté de noyer le débat. Dans sa ligne de mire, Petro-Tim, dont les décrets 2012-596 et 2012-597 du 9 juin 2012 lui attribuant le bloc ‘‘quelques mois après l’arrivée au pouvoir du régime actuel’’ ne sont toujours pas publiés par le gouvernement. ‘‘A aucun moment, l’Etat n’a publié les fameux décrets. Nous avons fait toutes les recherches, il est impossible de trouver ces décrets. Nous n’avons eu que celui de la prorogation de la concession à Petro-Tim qui date de 2013. Tout le débat pétrolier dans ce pays depuis le début n’a concerné qu’une seule entreprise, Petro-Tim, qu’on a essayé d’absoudre dans cette déclaration (Ndlr : sortie du Premier ministre)’’, estime Sonko. Le soubassement de cette affaire (les deux décrets) est frappé d’irrégularités, à l’en croire, puisqu’un des concurrents de Petro-Tim, en l’occurrence Tylo Oil, avait déjà attaqué cet accord sous l’ancien régime, et l’Inspection générale d’Etat (IGE) avait été saisie. Dans son rapport, cette dernière avait estimé que l’accord n’avait pas respecté le Code pétrolier. ‘‘Pourquoi s’est-on empressé de signer un décret sur la base d’un accord irrégulier ?’’ se demande-t-il.
Spéculation
Pour étayer ses propos, c’est le document électronique publié par Kosmos, aux Etats-Unis, qui a servi de pierre de rosette à Sonko pour décortiquer la mécanique Petro-Tim. L’ex-inspecteur des Impôts qualifie d’amalgame l’usage du terme ‘‘contrat d’affermage’’ évoqué par le chef du gouvernement pour justifier la non-imposition, dans la première transaction entre Petro-Tim et Timis Corporation, le 3 juillet 2014. Pour lui, il s’agit bel et bien d’une ‘‘cession d’actifs assujettie à l’impôt au Sénégal’’, comme mentionnée dans le document de Kosmos sous le terme anglais de ‘‘asset purchase agreement’’.
Quant à la deuxième transaction (entre Timis Corporation et Kosmos Energy), le leader du Pastef s’étonne de la rapidité d’exécution des opérations. D’après ses explications, l’acquéreur (Timis Corp) a revendu ses parts, 60% de ses 90%, à Kosmos Energy un mois seize jours après que Petro-Tim lui a cédé ses parts, le 3 juillet 2014. ‘‘Cette opération n’aurait pas dû être autorisée. L’autorité compétente qui l’a réalisée l’a fait sur quelle base ? C’est de la spéculation ! Quelqu’un qui veut investir, exploiter, mettre des plates-formes pétrolières, n’achète pas et revend dans un délai de moins de deux mois. C’était cousu de fil blanc. Cela veut dire que le destinataire final de l’affaire n’a jamais été Petro-Tim. Ces opérations le démontrent’’, dénonce Sonko. Par ailleurs, il s’offusque que le gouvernement n’ait pas exercé son droit de préemption puisque qu’entre Timis et Kosmos, les opérations étaient gratuites. Une posture qui lui aurait fait gagner 500 millions ou 1 milliard de dollars. Autre grief contre le gouvernement, le black-out sur les engagements d’investissements de Petro-Tim alors que ceux de Timis (100 millions de dollars) et Kosmos (250 millions de dollars) sont dévoilés. Ce qui renforce Ousmane Sonko dans sa conviction que ‘‘l’Etat du Sénégal est en train de faire perdre énormément d’argent au peuple sénégalais’’.
‘’Kaay débattre’’
Pour plus de transparence dans ce jeu de questions-réponses par médias interposés, le leader du Pastef invite les autorités à éclairer le débat publiquement. ‘‘Que tous ceux qui disent que cette opération n’est pas imposable viennent tenir un débat public. Ils ont des fiscalistes, et nous en avons. C’est simple ! Nous maintenons notre demande. Le gouvernement n’a qu’à prendre les dispositions pour que l’argent du Sénégal rentre dans ses caisses. On ne peut pas donner les biens de ce pays dans ces conditions opaques et que des gens se fassent des milliards sans même payer un franc d’impôt. C’est inadmissible ! A défaut, considérez que tout ce qu’ils ont dit est de la poudre aux yeux’’, déclare-t-il. Relativisant les avertissements du Premier ministre, il invite les responsables à la diligence dans le recouvrement fiscal de ces transactions qui datent de juillet-août 2014. ‘‘Tous ceux qui auront fermé les yeux jusqu’à la date de forclusion, qui est de quatre ans, en toute connaissance de cause, seront les principaux responsables’’, conclut l’ex-inspecteur des Impôts et Domaines.
Les quinze points de PASTEF
Ousmane Sonko n’a pas fait que dénoncer les irrégularités lors de sa conférence de presse de samedi dernier. Il a aussi fait une série de propositions, quinze au total, avec la découverte du pétrole et du gaz. Transparence dans le mécanisme d’attribution des titres, sanctions pour les complicités administratives, renforcement de Petrosen, formation des administrations financières, formation aux métiers du pétrole et du gaz, la hausse du ticket d’entrée (500 000 dollars)etc., sont parmi les mesures phares proposées par son parti (Pastef) pour profiter de la manne qui émane du sous-sol marin.
Dans l’urgence, estime Ousmane Sonko, il faut éviter les erreurs de certains pays et copier l’exemple d’autres. ‘‘Il faut renforcer et bâtir une société pétrolière nationale forte. Tous les pays qui ont eu à bénéficier de leur manne pétrolière ont une société nationale forte comme Petrobras au Brésil, Aramco en Arabie Saoudite, Sonatec en Algérie. Et tous les pays qui n’en ont pas bénéficié comme le Gabon, le Congo, le Nigeria) c’est tout à fait le contraire’’, analyse-t-il, appelant au renforcement de Petrosen pour lui permettre d’avoir des ambitions dans la sous-région.
Aussi trouve-t-il paradoxal qu’au moment où l’on trouve du pétrole, le gouvernement annonce qu’il veut vendre ses 26% de parts détenus à la SAR. ‘‘Pendant 56 ans, nous n’avions pas de pétrole mais une raffinerie, maintenant que l’on en trouve, on nous dit qu’on veut vendre les parts. Quelle est la logique qui sous-tend cette démarche si ce n’est éventuellement de les mettre entre les mains d’un faux investisseur international ?’’ se demande Sonko.