Dans la région de Kolda, les ressources forestières sont exploitées par un vaste réseau de trafiquants de bois composés de Sénégalais, de Gambiens et de Chinois basés à Banjul. Des milliers de pieds d’arbres notamment de « vène » sont abattus et des centaines de troncs exportés chaque jour en Gambie. Une enquête menée dans la capitale du Fouladou a permis de découvrir que les populations et les représentants de l’Etat sont soit acteurs soit complices de ce pillage organisé.
La région de Kolda couvre l’un des derniers bastions forestiers du Sénégal, avec une superficie des forêts régionales qui est de 334 333 hectares. Mais cette réserve fait l’objet d’une exploitation anarchique et outrancière, favorisée par la complicité des populations et de certaines autorités. Chaque année, plusieurs milliers d’arbres sont abattus, sans qu’une politique de reboisement digne de ce nom ne soit mise en place. Dans les forêts de Sofagnama, de Niampampo, de Mamacounda, de Guimara situées dans les communes de Badion, Fafacourou, Médina Yoro Foula, Pata, Kéréwane, Dinguiraye, Bourouco, Koulinto, Dabo etc., c’est le pillage du bois rouge. Dans cette partie sud du Sénégal, la coupe abusive de bois de « vène » est presque devenue la seule activité qui préoccupe les populations, particulièrement la jeunesse.
La pauvreté des populations, la proximité et la porosité de la frontière avec la Gambie, l’absence d’un accord de partenariat entre Dakar et Banjul contre le trafic de bois, sont autant de facteurs qui facilitent cette activité illicite. A ces explications s’ajoutent les pratiques corruptives telles que les arrangements aux allures de pots de vin et la complicité des populations, des élus locaux, mais aussi de certaines autorités trouvant leur compte dans ce business. Ainsi donc, si rien n’est fait, cette végétation pourrait disparaître, d’ici au siècle prochain, pour céder la place à un incroyable désert. D’après nos informations, le pillage de la forêt est perpétré par quatre groupes. Il s’agit des détenteurs de gros moyens, des coupeurs, des charretiers et de gros bonnets tapis dans l’ombre et qui profitent du massacre.
Les détenteurs de gros moyens sont les Chinois installés en Gambie. Ils achètent des tronçonneuses qu’ils mettent à la disposition des coupeurs de bois. Une fois des troncs coupés, ils les achètent à un prix exorbitant. Ce qui incite les populations à se rabattre sur les espèces les plus prisées. « Les patrons louent leurs services pour des montants allant de 300 000 à 400 000 francs CFA. Ils demandent aux trafiquants de bois de couper des troncs d’une valeur d’un million à un million et demi », explique Moussa Baldé, habitant de Bourouco. Si l’on en croit M. Baldé, en moins d’une semaine, le coupeur peut atteindre le nombre de billes demandées en valeur marchande, qu’il remet à son employeur et empoche ainsi ses 300 000 ou 400 000 francs. Les charretiers prennent ensuite le relais pour acheminer le produit en Gambie. Le coût du transport dépend de la distance entre le lieu de départ et le point d’arrivée.
Agents des Eaux et Forêts et maires indexés
Samba Mballo, coupeur illicite de bois demeurant dans la commune de Niamine, département de Médina Yoro Foula, soutient que si le trafic perdure, c’est parce que le gouvernement du Sénégal ne veut pas se pencher sur la question. ‘’Les autorités sénégalaises le savent mieux que nous, ce qui se passe. Si elles veulent mettre fin à la coupe illicite de bois, elles n’ont qu’à trouver un terrain d’entente avec les autorités gambiennes où sont logés les Chinois. D’ailleurs, ce sont les Chinois qui paient des cautions pour obtenir la libération des trafiquants de bois qui tombent entre les mains de la justice. Sinon, un pauvre cultivateur ne peut pas payer une amende de 500 000 francs voire plus, afin d’obtenir sa libération et recouvrer sa charrette et son animal’’, soutient-il.
Des affirmations corroborées par une source judiciaire qui souligne que des trafiquants, qui clament haut et fort leur pauvreté, arrivent peu après leur arrestation à payer des transactions à hauteur de 500 000 francs pour être libres. Cet interlocuteur arrive à la même conclusion que le coupeur. ‘’Ce sont les Chinois basés en Gambie qui payent toutes ces transactions pour que les trafiquants qu’ils emploient soient libres, afin de reprendre le service. Le paiement de la transaction se fait entre le service des Eaux et forêts et la personne poursuivie’’, renchérit-il.
Interpellé sur le sujet, l’inspecteur régional des Eaux et Forêts (Iref) de Kolda, le colonel Alé Seck, indique tout d’abord qu’en cas d’arrestation, deux options se présentent : accepter que la personne mise en cause transige ou bien l’envoyer en prison. Selon lui, la transaction n’est rien qu’un petit marché entre le trafiquant et l’agent forestier, sachant que la somme ne peut pas dépasser 500 000 francs. Il faut dire que c’est surtout l’utilisation qui est faite de cet argent qui encourage la déforestation. « Quand il y a une transaction, les 70% sont reversés à la commune où l’infraction a été commise et l’agent verbalisateur empoche les 30%’’, a-t-il dit. À son avis, il y a une grande complicité entre les populations autochtones. ‘’D’ailleurs, fait-il remarquer, ce ne sont pas les Gambiens qui coupent, mais des Sénégalais’’.
Des ressortissants du Nord du Sénégal s’en mêlent
Armés de haches ou de scies à main (passe-partout), les coupeurs circulent en bicyclette dans les massifs forestiers de la région de Kolda, après avoir trouvé un acquéreur. Ce sont des jeunes dont la majorité est illettrée et sans aucune qualification. Ils coupent et vendent le produit sur les lieux. Ils le font, soit nuitamment soit en plein jour et au vu et su de tout le monde.
Dans la région de Kolda, le trafic du bois vers la Gambie nourrit bien son homme. L’activité est très lucrative. Pour une sortie de quelques jours, il peut empocher une somme allant de 300 000 à 600 000 francs CFA. Certains ont même tourné le dos à l’immigration pour s’adonner exclusivement à la coupe illicite de bois. Ces délinquants ont-ils peur des agents des agents des Eaux et Forêts ou des militaires ? Ils répondent Non. ‘’Certains parmi eux sont avec nous parce qu’ils y gagnent aussi », explique Moutarou Baldé, trouvé en pleine action dans la brousse de la commune de Koulinto.
Outre les fils du terroir, d’autres jeunes du Nord du Sénégal s’y sont aussi engagés. L’un d’eux explique son choix par la rentabilité de l’activité et surtout l’absence d’alternative. ‘’L’Etat n’a pas aidé les jeunes de la région de Kaolack. C’est pour cette raison que nous sommes venus nous installer ici, grâce à nos parents Baol-Baol originaires de Kolda qui nous ont informés que le business de la coupe du bois est lucratif’’, se défend Moussa Ndiaye, natif de Nioro.
Arfang Faty est un revendeur habitant du village de Bantanto, région de Bansan en Gambie. Dans cette localité frontalière avec le département de Médina Yoro Foula, des dizaines de dépôts de bois, aux abords de la route menant vers Farafégné, sont visibles partout. D’après lui, la chaîne de cette activité reste bien huilée. Le produit des coupeurs est acheté par des intermédiaires comme lui qui l’acheminent en Gambie, grâce aux convoyeurs (charretiers) jusqu’au point de chute situé à la frontière du côté de la Gambie. Ces charretiers en question sont essentiellement des mineurs qui gagnent 10 à 15 000 F par voyage. Ils sont utilisés parce que les trafiquants pensent que du fait de leur âge, ils ne seront pas arrêtés par les hommes de tenue en patrouille.
Les révélations d’un responsable de la gendarmerie
Une fois acheminé aux points de chute, le bois est vendu aux patrons gambiens ou sénégalais résidant depuis longtemps au pays de Jammeh. Là-bas, un billon de vène coûte actuellement entre 35 à 40 000 francs CFA. Et tout billon qui arrive sur ces lieux ne revient plus au Sénégal, même si le convoyeur doit le céder à crédit. Au cours de notre enquête, nous avons pu découvrir neuf points de chute en territoire gambien. Il s’agit de Gambie Sara, Fory, Bourin, Badoumé, Koussalam, Saré Louba, Diakhanka, Saré Bodio et Saré Abdou
Un des responsables de la gendarmerie de Kolda dénonce l’attitude coupable des agents des Eaux et forêts et des élus locaux. ‘’Les maires et les agents des Eaux et Forêts chargés du contrôle et de l’application de la loi profitent de ce carnage lucratif pour s’enrichir. Ils utilisent toutes leurs pratiques nébuleuses que nous connaissons très bien pour se remplir les poches. Les agents des Eaux et Forêts parfois, quand ils opèrent des saisies de troncs sur les trafiquants, trouvent des arrangements moyennant de fortes sommes d’argent. Une fois empochés, ils restituent les troncs aux trafiquants qui les acheminent en Gambie sans être inquiétés. Tandis que les maires, pour se tirer d’affaires, délivrent des permis de coupe aux trafiquants moyennant également une forte somme. Et cet argent n’est pas versé dans la caisse de la commune mais plutôt dans leurs poches’’, martèle l’homme de tenue.
Très amère, cette source révèle même que ses collègues sont souvent opposés à ces deux démembrements de l’Etat. ‘’Maintes fois, les agents des Eaux et Forêts installés dans les départements et certains maires ont été surpris par nos éléments. Mais pour se défendre, ils menacent de marabouter nos éléments, s’ils ne cessent pas de se mêler de leurs affaires’’, s’indigne-t-il. L’un des conseillers de la commune de Médina Yoro Foula abonde dans le même sens. Lui aussi dénonce la cupidité des maires et des agents des Eaux et forêts. Selon lui, c’est ce qui a même incité certains ASP à s’immiscer dans cette affaire, avant d’être très vite maîtrisés par les trafiquants.