Véritable légende de la lutte sénégalaise avec frappe, Yakhya Diop Yékini, évoque avec RFI la spécificité de ce sport bien national, et explique comment il a régné pendant 15 ans et 19 combats sans connaître la moindre défaite. Aujourd’hui, à 42 ans, malgré deux revers successifs, le lutteur sérère n’a pas encore pris la décision de se retirer d’un sport qui lui a tout donné.
Yekini, vous êtes considéré comme l’un des plus grands lutteurs du Sénégal. Comment pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ou peu ?
Mon vrai nom, c’est Yakhya Diop. Je suis de l’ethnie sérère, de la branche des Niominkas qui vivent au bord de la mer ou du fleuve. Ce sont des pêcheurs. J’ai 42 ans et je suis originaire des Îles du Saloum puisque mes parents viennent du village de Bassoul, mais je suis né, et j’ai grandi à Joal. J’ai fait l’école franco-arabe jusqu’au niveau bac.
D’où vient le surnom Yékini ?
Avant, je jouais au football, c’est de là que me vient le surnom de Yékini. A la Can 1992, organisée au Sénégal, l’une des stars, c’était l’attaquant nigérian Rashidi Yékini. L’un de mes cousins, Malick Lèye aujourd’hui décédé, trouvait qu’il me ressemblait beaucoup et on avait le même gabarit. Et comme c’est cette année que j’ai commencé à pratiquer la lutte dans les Mbapatt (NDLR tournoi de lutte traditionnelle organisé dans les villages et les quartiers populaires), j’ai gardé le surnom.
Comment pouvez-vous expliquez à ceux qui ne connaissent trop pas la lutte sénégalaise, ce que ce sport vous a apporté et ce qu’il représente pour vous ?
Ce que la lutte m’a apporté, c’est simple : mon plus petit cachet en lutte avec frappe était de 200.000 CFA (300 euros) mon plus gros, c’est 150 millions CFA (230 000 euros). J’en ai fait mon métier, elle a fait ma réussite. La lutte représente beaucoup pour moi en tant que Sénégalais, mais surtout en tant que sérére, car cela fait partie intégrante de ma culture. C’est un sport noble et il y a un côté artistique. C’est comme si vous évoquez le sumo au Japon. Notre ambition, nous les lutteurs, c’est de faire que la lutte soit au même niveau international que la boxe thaï, ou le sumo, par exemple. Nous n’en sommes pas à ce stade, mais je prie pour qu’on y arrive.
Comment expliquer que vous soyez plus populaire au Sénégal que les stars du foot, ou que vous soyez au même niveau que Youssou Ndour (musique) ?
Un champion doit avoir une image, un comportement irréprochable envers les gens, qu’ils soient supporters ou pas. Je pense que j’ai montré aussi que pour devenir champion et le rester, dans n’importe quel domaine, il faut de l’abnégation et beaucoup de sacrifices, c’est peut-être cela qui est la base de cette popularité.
Quelles sont les qualités qu’il faut avoir et quels sacrifices doit-on faire pour rester invaincu pendant 15 ans dans l’arène ?
D’abord, il faut maîtriser les techniques de la lutte, avoir de la force et puis avoir de solides assises sur le plan mystique. Après, il faut beaucoup de sérieux dans ce que l’on fait parce que le sport de haut niveau demande beaucoup de sacrifices.
Comme tout le monde, on aime la compagnie des filles. Comme tout le monde, on aime aller en boite de nuit. Tu es jeune, tu as envie de vivre ta vie comme un jeune de ton âge, mais tu ne peux pas le faire. Franchement, je me suis privé de beaucoup de choses. Je ne sortais pas. J’ai très tôt arrêté de sortir ou de m’amuser parce que je voulais régner longtemps dans l’arène
Avec le recul, comment pouvez-vous expliquer votre deuxième défaite face à Lac de Guiers II, le 24 juillet dernier ?
J’ai battu mes ainés, j’ai battu des lutteurs de ma génération, et j’avais dit qu’il ne me restait que mes « petits frères » à croiser dans l’arène. C’est un de mes « petits frères » qui m’a battu, c’est normal (ndlr : Lac de Guiers II a 9 ans de moins que Yékini). Cela devait arriver.
Justement à 42 ans, quel est votre avenir dans l’arène ?
Après le combat contre Lac de Guiers II, j’ai discuté avec mon staff, mes parents, etc. D’ici quelques semaines, je pourrais dire ce qui reste de mon avenir dans l’arène. La lutte, ce n’est pas seulement descendre dans l’arène. On peut rester dans la lutte en ayant un autre rôle.
Il y a beaucoup de jeunes lutteurs dans l’arène. Qui vous ressemble le plus actuellement ?
Il y a beaucoup de susceptibilité chez les lutteurs et je ne voudrais pas être à l’origine d’une polémique inutile en citant un lutteur et pas un autre. Tout ce que je peux dire que c’est que les jeunes doivent encore s’investir, être plus sérieux, parce que la lutte est en train de perdre du terrain.
Pourquoi ce recul ?
Quand certains sponsors n’acceptent plus de venir dans la lutte, c’est qu’il y a un problème. La violence, les mauvais comportements ne nous aident pas. Un lutteur doit montrer l’exemple, c’est à ce prix que les partenaires et sponsors reviendront dans la lutte.
Quel métier auriez-vous exercé si vous n’étiez pas lutteur ?
En tout cas, ce serait un métier en rapport avec la mer puisque je suis sérère Niominka. Ou alors, j’aurais été un professeur en langue arabe.
Quelle est la part du mystique dans votre réussite ?
Je dirais que cela représente 10%, parce que nous sommes des Africains et avons nos réalités. C’est comparable à la préparation mentale. Chez les Occidentaux, un sportif doit avoir un psychologue à ses côtés, mais chez nous, il faut le mystique. C’est comme cela que je peux le comparer. Psychologiquement, si on n’est pas fort, on peut être perturbé par le mystique de son adversaire. Mais il ne faut pas commettre l’erreur de croire que seul le mystique vous fait gagner.
Pour quelqu’un qui a fait 19 combats sans être battu, comment vit-on la première défaite (ndlr : face à Balla Gaye II le 22 avril 2012) ?
Ce n’est pas agréable de perdre surtout pour quelqu’un qui n’a jamais connu le moindre revers. On finit par perdre la notion de la défaite quand on enchaîne les victoires à ce point. Passée la déception, il faut se rendre à l’évidence ; admettre que la défaite fait partie de la vie de tous grands champions. C’est très dur, mais on finit par l’accepter.’’