L’un des opposants les plus connus au régime du président Idriss Deby a accepté, de passage à Dakar, de feuilleter ensemble avec le journal Le Quotidien, les feuilles de l’actualité politique dans son pays et dans le reste du Continent.
Monsieur Saleh Kebzabo, vous êtes président du parti tchadien Undr, de passage à Dakar. L’actualité en ce moment porte sur la situation post-électorale au Gabon. Qu’est-ce qu’elle vous inspire ? Je pense que l’Afrique centrale refuse le progrès, et quand on refuse le progrès, on ne peut pas progresser. Et vous voyez, ces pays-là des plus riches aux plus pauvres, trainent tous des boulets qui les empêchent de progresser. Pensez-vous qu’on en soit arrivé à un niveau où il faut souhaiter une intervention étrangère pour régler la situation ? Pour le moment, je ne crois pas. Parce que, pour que les Nations unies interviennent, il faut qu’il y ait une situation d’affrontements qui atteint un niveau tel qu’il faille faire appel aux troupes étrangères et en l’occurrence, quand on regarde les camps qui s’affrontent, ils sont de niveau inégal. Le gouvernement a les troupes et l’opposition pour le moment, n’a que des manifestants. Donc je ne pense pas que ça puisse aller loin. Maintenant, je crois qu’il faut revoir fondamentalement le schéma des élections dans les pays à problèmes, les pays à risques. Un pays comme le Gabon, ce qui s’y passe maintenant, on le savait. La violence a toujours été de mise, et que dans le cas précis de ce qui se passe aux élections de 2016, il était prévisible que Ali Bongo étant de plus en plus rejeté par les populations, il ne pouvait recourir qu’à la fraude, à la force. Je suppose que les grands spécialistes et les partenaires du Gabon ont dû le prévoir, c’est pourquoi vous entendez des appels qui viennent de partout. La situation risque de s’enliser, mais le grand regret qu’on peut émettre c’est l’absence de l’Afrique. Si vous l’avez remarqué, nous sommes au cinquième jour de l’élection et l’Union africaine ne s’est pas exprimée, les organisations d’Afrique centrale ne se sont pas exprimées. C’est plus que décevant et même inquiétant. Il faut attendre que les autres s’expriment sur nos propres problèmes et nous suggèrent des solutions. Est-ce que quelque part, ce silence, ce mutisme des pays d’Afrique centrale ne traduit pas un souhait de voir l’ordre normal des chefs d’Etat continuer ? Non je ne suis pas sûr. Je pense que ça peut se traduire pour certains, par un embarras, parce que nous savons que Ali Bongo n’a pas réussi à entrer dans le cercle des chefs d’Etat d’Afrique centrale. Il reste dans la périphérie, jusqu’ici. Il n’est pas totalement accepté par les autres qui pourtant, étaient les amis de son père. Ils lui reprochent certains comportements qui manquent parfois de respect ou qui frisent l’impolitesse, et ça, les anciens n’aiment pas ça. Donc, certains auraient souhaité qu’il parte mais face à cette situation qui se bloque, ils préfèrent ne pas parler parce que ça peut les mettre dans une situation où ils auront dit un mot de trop, car on ne sait pas encore qui va gagner. Globalement, pour le Syndicat (des chefs d’Etat), autant rester avec celui qu’on connait pour qu’il n’y ait pas trop de vagues. Mais Ping n’est pas un inconnu. Il était ministre des Affaires étrangères, ce n’est pas un novice. Ne pourrait-on pas rapprocher la situation du Gabon avec celle qu’a connue le Tchad, qui aussi, vient de sortir des élections qui étaient contestées mais où l’ordre de Deby s’est imposé, avec l’assentiment des pays voisins et avec leur approbation ? On peut observer effectivement des similitudes. Sur le plan électoral, vous savez qu’au Tchad, Deby a gagné par le Nord, il a tracé une ligne au nord de Ndjamena, où il s’est octroyé plus de 90%, jusqu’à 97%, pour compenser ce qu’il n’a pas eu en-dessous de Ndjamena. C’est ce qui s’est passé, avec une Ceni qui est instrumentalisée comme la Cenap au Gabon. Il y a eu aussi un taux de participation dans ces régions que je viens de citer, qui est anormal, alors que dans le reste du pays on est à 50, 60% , là on est à 90% de taux de participation, avec un taux de bulletins nuls qui avoisine le 0 alors que dans le reste du pays on va jusqu’à 10, 12%. Et puis enfin, l’intervention des forces armées le jour ou la veille de son investiture. Ce sont ces forces qui sont intervenues pour mater les manifestants. Il y a eu 1 mort au Tchad et peut-être 2 ou 3 au Gabon, pour le moment. Ça, ce sont les similitudes. La différence essentielle viendrait que nous au Tchad, n’avons pas donné ordre à manifester aux jeunes. Moi personnellement, j’ai refusé de demander à la foule de sortir dans les rues pour contester les résultats, parce que, élément nouveau et différent, au Tchad, il y avait eu un coup d’Etat électoral au soir de l’annonce des résultats par la Ceni, le 21 avril. Il y avait un déclenchement de tirs vers 23 heures ou minuit. On a tiré. Je suis d’ailleurs surpris qu’on ne soit pas au courant de cela en Afrique de l’Ouest et dans les autres pays. Des armes légères, des armes personnelles, des armes de guerre, des bazookas, des armes lourdes, ont tonné toute la nuit à Ndjamena. Il en était de même dans toutes les régions. Ils avaient comme instruction de tirer pour nous clouer, parce qu’ils savaient que le mot d’ordre serait de descendre dans les rues pour manifester si les résultats n’étaient pas ce que nous attendions, parce qu’on savait très bien que Deby n’a pas pu avoir plus de 10%. Ils ont tiré toute la nuit, dans certaines zones toute la journée. Au Gabon, Ali Bongo a eu ce score dans sa région comme vous le savez. Deby a eu ce score dans toutes les régions qu’il s’est octroyé. Mais nous, on a été très loin dans ces régions qu’il s’est octroyé. On lui a attribué 100% de voix, 100% de taux de participation, 0% de bulletins nuls, ajoutés aux résultats que nous avons au Sud. Il arrive à 45%. Nous avons voulu démontrer qu’il ne peut pas gagner cette élection au premier tour, il fallait qu’il aille au second tour. Et le second tour, pour lui, était un cauchemar car c’est moi qu’il devait affronter et il savait très bien qu’il était déjà battu au 1er tour. Il a préféré faire un coup d’Etat. Conséquence, la situation politique est bloquée au Tchad. Nous refusons jusqu’aujourd’hui de reconnaitre le régime de Deby, pour nous, illégal et illégitime. Nous avons des chiffres que nous avons publiés et qui n’ont jamais été contestés, même par le pouvoir. Vous parlez de la force militaire, comment expliquez-vous qu’on parle de disparition de certains militaires qui auraient eu l’intention de voter contre le président ? Ce n’est pas une intention, c’est un fait. Les militaires votent toujours un jour avant les civils. Le vote des militaires avait eu lieu le 9 avril. Ce jour même nous avons été alertés par des militaires pour nous dire qu’ils ont été bastonnés parce qu’ils ont voté contre Deby. Et comment savait-on qu’ils n’ont pas voté pour Deby ? Ce qui est scandaleux dans cette affaire, c’est que certains ont perdu la vie pour avoir voté contre. C’est ce qui m’a écœuré et poussé à faire la conférence de presse le 18 avril, pour dénoncer tous ces sévices. Il y a eu des arrestations, des tortures. Le groupe qu’on connait le plus, ce sont les fameux 49, envoyés dans le nord dans un désert rocailleux, où on les a internés près d’un mois. Les déclarations qu’on a faites ont obligé Deby à les faire ramener, mais entre-temps ils ont souffert. Lorsque le procureur déclenche une enquête judiciaire pour savoir si ce que l’opposition disait était vrai ou faux, une semaine après, le dossier est classé sans suite. Je suis revenu à la charge pour dire qu’on ne peut pas fermer ce dossier. Les tortures subies, les blessures… j’ai des photos où des militaires m’ont montré leurs bras, leurs dos avec des cicatrices encore visibles aujourd’hui. Il y a aussi des emprisonnements, des déportations. Tout cela ne peut passer comme lettre à la poste et qu’on nous dise que le dossier est clos. Je pense que les responsabilités doivent être situées. J’attends une enquête internationale pour fixer les choses par rapport à ce vote militaire qui a dérapé. Vu de Dakar, on a le sentiment qu’il y a une certaine complaisance de l’opinion internationale par rapport à Deby. Il y a une certaine bienveillance, et Idriss Deby est tellement dictateur que, quand Hollande arrive au pouvoir, dans les rencontres internationales, il l’évite même, pour ne pas avoir à le saluer. Par chance, Deby a une armée aguerrie, qui ne fait que la guerre depuis qu’il est au pouvoir. Cette armée-là est capable d’aller au Mali et faire mieux que l’armée malienne. Et à partir de ce moment, les Français ont baissé les bras face à un homme qui peut leur donner plus qu’un coup de main, pour établir l’ordre à leur place. Voici ce que j’appelle la bienveillance, voilà comment Deby arrive à redorer son blason. Je viens du Mali où Deby est adulé et considéré comme un sauveur, mais je tiens à préciser que l’intervention au Mali, nous l’avons appréciée pour la simple raison que du point de vue géopolitique, le terrorisme est un phénomène mondial. Dans cette bande sahélo-saharienne où les mouvements sont constants, tout peut arriver. Si Bamako tombe aujourd’hui, demain Dakar n’est pas loin, Ndjamena n’est pas loin. Aider à contenir les terroristes du Mali est une bonne chose. Cela rend votre situation difficile vous l’opposition tchadienne ? A l’inverse Deby redore son blason et se fait admettre maintenant dans les cercles internationaux et va présider l’Union africaine alors qu’il est à quelques mois de l’élection chez lui. Il se rend aux plus grandes rencontres comme le G20. Donc voilà les conséquences pour l’opposition. Nous allons à une élection, Deby est battu, mais personne ne lève le petit doigt. Lorsque la Ceni a publié les résultats, il n’y a que les pays africains tels que le Burkina Faso, le Niger, qui lui doivent quelque chose, qui l’ont félicité. Aucune grande puissance ni l’Union européenne ne l’a félicité. N’empêche, il y a eu 19 chefs d’Etat qui sont venus à sa prestation ? Ils étaient plutôt quinze. Et à sa prestation de serment, les Occidentaux et la France, tout le monde était là. Le prix à payer pour nous, est la patience et la lutte dans l’endurance. Est-ce que votre chance ne viendrait pas, comme on dit au Sénégal, du Pds, le Parti de la demande sociale, avec la situation assez difficile de l’économie actuellement, du fait de la baisse du prix du pétrole qui a grandement affecté le Trésor tchadien ? Ne serait-ce pas ça, la chance pour l’opposition tchadienne de voir l’opinion publique se lever contre ce régime ? C’est effectivement la conjoncture qui est à notre faveur. Si aujourd’hui avec beaucoup d’assurance, et beaucoup de certitude, nous continuons de contester, et nous nous donnons des moyens de nous battre par des armes pacifiques. Nous allons avoir des actions pacifiques, on va déployer un certain nombre d’actions dans les semaines qui viennent. Nous maintenons le flambeau de la lutte encore très haut et nous savons que dans cette lutte, nous aurons la population avec nous parce que les problèmes sociaux ne font que s’aggraver. Prix du pétrole ou pas, nous on dit que, la mauvaise gouvernance dans ce pays a mis l’économie tchadienne à plat. Nous sommes aujourd’hui dans un trou du fait d’une mauvaise gestion depuis que Deby est au pouvoir, et en particulier depuis 12 ou13 ans que nous avons des revenus en pétrole. Nous n’avons pas une production extraordinaire, mais pour un petit pays comme nous, pour les petits problèmes que nous avons, les revenus du pétrole auraient pu permettre à Deby de régler nos problèmes. Mais tel n’est pas sa vision. Il a mis en place un système de prédation extraordinaire. Il a mis en place un système où ce sont des vols, des pillages, des détournements en permanence et de façon impunie, dont il va récolter les conséquences. Parce que au Tchad, les 9/10ème de la population, si ce n’est pas plus, sont en train d’attendre les fruits du pétrole. Les gens ne mangent pas à leur faim et il y a encore beaucoup d’écoles en paille. Quand je dis école, ce ne sont pas seulement les écoles primaires ; pas même les écoles secondaires. Nous avons au Tchad des lycées entiers en paille. Nous avons des régions où il n’y a pas d’eau à boire, les gens boivent l’eau des mares, avec les animaux qu’ils accompagnent. Il manque de structures sanitaires avec les soins de santé de base. Et plus grave, l’Etat n’arrive plus à assurer ses obligations régaliennes que sont par exemple, les salaires de la Fonction publique, qui vont atteindre jusqu’à un mois de retard en ce moment. Et je ne sais si ça a été annoncé, si nous étions dans une économie organisée, on dirait que nous sommes en récession. Mais comme nous sommes dans l’a peu-près, et qu’on a aucune certification, on va comme ça, par des mesures au jour le jour, et en ce moment, on est dans un train de mesures drastiques pour resserrer un peu le train de vie du fonctionnement de l’Etat. Et c’est ainsi qu’il y a quelques jours, on a imposé à l’Assemblée nationale malgré son autonomie, de réduire le salaire des députés de moitié, et je pense qu’on va le voir un peu dans d’autres secteurs de l’Etat. Ils pensent que c’est ce qui va redresser la situation, nous disons non, ce n’est pas ça qui va redresser la situation. Le seul remède au Tchad, c’est le départ de Deby parce qu’il s’est installé dans un système qui aujourd’hui le dépasse. Il ne peut rien contrôler dans le pays. Lorsque l’épouse d’un chef d’Etat intervient dans la gestion des affaires publiques, dans les nominations ou dans les prédations vous voyez bien quel point on a atteint. Le Tchad est pris en otage pour être mieux pillé. La famille de Deby et celle de sa femme règnent aujourd’hui sur le Tchad et même dans sa propre tribu, aujourd’hui Deby est désavoué. Nous avons fait un score très important dans sa région. Depuis deux ans, notre parti accueille des milliers de gens de sa communauté. Donc ça veut dire qu’aujourd’hui il est vomis de tous les Tchadiens et c’est ça qui nous conforte dans l’idée que nous pouvons continuer la lutte de façon pacifique ou de façon structurée. On peut continuer à se battre parce qu’il n’a plus les moyens de sa politique, il n’a plus les moyens de ses ambitions, comme par ailleurs il ne peut plus continuer de mater les gens parce qu’il n’y a plus d’argent. Quand on vous entend aujourd’hui, on se demande ce qui s’est passé entre Deby et vous, vous qui étiez un moment alliés. A quel moment s’est passée la cassure? (Rire…) les alliances politique c’est comme les saisons. C’est une question de partage du gâteau ou bien ? Non pas du tout, moi je n’ai jamais été dans un gâteau quelconque parce que si c’était le cas, on m’aurait éliminé depuis longtemps. Vous avez été son ministre… Oui mais ce n’est pas un gâteau. Le gâteau ministériel, ce n’est pas seulement l’emploi, mais c’est aussi tout ce qui est autour parce qu’un jour, on peut vous brandir des factures de payement et autres. On a cherché mais on n’a pas pu trouver de trace parce que j’ai puis vous assurer qu’ils auraient aimé pouvoir le faire, pour me coincer. Ce qui nous a opposé c’est la politique, c’est une question d’option et de vision. C’est lui qui a changé ou bien c’est vous qui aviez changé ? Non, nous on est constant et lui aussi il est constant. Le premier gouvernement qui a suivi la conférence nationale en 93, qui n’était donc pas un choix personnel, Deby s’en est débarrassé, de ce gouvernement qui n’est pas le sien au bout de six mois, en activant le Conseil supérieur de transition, qui jouait le rôle de l’Assemblée nationale. Donc on ne peut dire que nous étions des alliés. L’alliance va commencer après les élections présidentielles de 96 où, moi je viens en troisième position et je le soutiens. Mais je le soutiens de façon tactique, parce que le deuxième, le feu général Kamougué allait perdre, et moi je le savais. Et quand vous soutenez un perdant, je pense que vous en récolterez les conséquences. Et de toutes les façons, Kamougué avait un «deal» avec lui et je ne devais pas être le dindon de la farce. Voilà comment on a eu cette alliance, scellée entre lui, moi-même, Kamougué et Ibn Oumar Saleh, qui va disparaitre quelques années après. Cette alliance de 93 n’a pas duré longtemps, à peine un an et quelques mois. Sur une divergence petite mais très grave politiquement, on a dû se séparer, puis en 99, il a encore fait appel à nous, et forts de la première expérience, on a scellé l’accord en pensant qu’on a bien verrouillé. On a commencé à rouler et arrivées les élections de 2001, on me fait savoir tout simplement que je ne peux plus me présenter aux élections présidentielles. Il fallait que je fasse une sorte de ticket avec lui pour que je l’accompagne, et donc ce que vous appelez gâteau, allait encore être plus grand pour nous. On aurait eu plus de portefeuilles ministériels, plus de députés. Vous voyez bien que si vous pouvez avoir plus de députés, cela veut dire que les élections-là c’est pour rien du tout. Donc, on nous a promis monts et merveilles, mais nous avons dit non. Quand un leader de parti politique, qui a des ambitions présidentielles, ne participe pas à une élection présidentielle, la sanction doit être lourde pour lui. Donc, nous on va continuer à nous présenter à toutes les élections présidentielles y compris celles de 2001. On nous a mis en garde, disant, attention si vous ne venez pas avec nous ce sera la guerre. C’est donc la rupture et ce jusqu’aujourd’hui. Depuis 2001, non seulement on a rompu mais on leur a fait savoir que nous avons rompu pour toujours et qu’on ne nous retrouvera plus dans une alliance quelconque avec Deby. C’est un choix politique que je veux assumer et je le fais je crois, avec beaucoup de réussite. Même si de par les chiffres et autres pratiques on pense que nous ne progressons pas, nous, au Tchad, nous savons que nous progressons de façon bien ordonnée, et d’une élection à une autre, l’opposition avance. Il faut maintenant que cette opposition se structure un peu plus et aille dans la même direction. Je crois que c’est ça qui nous manque, mais pour l’essentiel Deby recule à chaque élection. Pensez-vous vraiment que, le système étant tel qu’il a été conçu, ce soient vraiment les élections qui vont emporter Deby du pouvoir ? Bien. Nous sommes l’un des pays africains qui a connu le plus de rébellions. La rébellion a commencé au Tchad en 1966, sous Tombalbaye, qui n’a jamais pu la mater. Il a dû avoir recours à la France, qui a fait deux interventions militaires pour bloquer l’avancée de la rébellion, sans succès. Il y a eu le coup d’Etat militaire, puis les militaires eux-mêmes, ont dû très rapidement, passer un deal avec Hissein Habré, qui a ouvert la porte à toutes les rebellions. Puis Hissein Habré est arrivé au pouvoir, pendant 8ans, et a été aussi balayé par une rébellion, celle de Deby, qui est au pouvoir aujourd’hui depuis 26 ans. Je vous décris ça pour vous dire que l’histoire du Tchad est ponctuée des rébellions. Et fondamentalement nos problèmes ne sont pas réglés, puisque c’est un rebelle qui est au pouvoir, et il y est depuis 26 ans et on n’arrive pas à l’enlever même militairement. Je ne sais pas si vous vous rappelez les années 2004, 2005, 2006, jusqu’en 2008, où les rebelles sont entrés dans Ndjamena. Les 02 et 03 février 2008, les rebelles sont entrés dans Ndjamena et tout le monde pensait, y compris moi, que c’était la bonne et que Deby allait partir. Mais non, il a réussi à se maintenir. Puis, cette rébellion s’est repliée s’est réorganisée et a tenté quelques coups. Je crois que les affrontements les plus importants ont eu lieu en 2009. Mais en très peu de temps, l’argent du pétrole a été complètement déversé dans l’achat des armes. Aujourd’hui le Tchad, toutes proportions gardées est l’un des pays les plus armés d’Afrique. Et malgré tout, le Tchad est là avec un chef d’Etat plus impopulaire que jamais et la rébellion ne réussit pas à l’emporter. Je vous fais ce rappel pour vous dire de notre point de vue, nous les démocrates, la solution n’est pas politico-militaire. Parce que, supposez un seul instant qu’en 2008, les rebelles aient pu déloger Deby. Qu’est-ce qui allait se passer ? Ils vont s’installer au pouvoir, une autre rébellion va encore se mettre en place, le temps que l’opinion internationale se ressaisisse, les oblige à organiser les élections, ils auront maîtrisé le système et c’est un autre Deby qui allait encore être au pouvoir. Nous pensons qu’il vaut mieux sortir de ce cercle la, de ce cycle ponctué par l’arrivée au pouvoir des rebelles, remis en cause, et ainsi de suite. Il faut opter pour la démocratie, ce que nous avons fait. Je pense que la meilleure solution pour le Tchad comme pour beaucoup de pays africains, c’est la démocratie. C’est un chemin peut-être long, mais c’est le seul en définitive, peut-être, qui offre des solutions à nos problèmes. Il y a un ancien chef d’Etat tchadien emprisonné à Dakar après un jugement par un tribunal international, qu’est-ce que cela vous inspire, à vous qui avez bien connu Habré ? C’est une affaire complexe et en même temps elle est assez simple. Moi je suis de ceux qui pensent que Hissein Habré aurait dû être jugé au Tchad. Hissein Habré est le maitre à penser du système au Tchad, lorsque Idriss Deby n’a pas encore fini ses études militaires en 1979, lorsqu’éclatent les évènements du Tchad qui ont été un tournant dans le pays, avec toutes ces factions politico-militaires qui étaient en place, il rentre précipitamment et opte pour les Fan de Habré. En ce moment-là, ce jeune homme qui s’appelle Idriss Deby, n’a jamais eu de formation politique quelconque, il n’a jamais milité quelque part, il n’a jamais eu lui-même un livre politique et voilà comment, Habré devient son maitre à penser. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui, nous on souffre de manque de démocratie au Tchad. Hissein Habré a formé ce jeune homme, l’a formaté et Deby sous Hissein Habré a été un militaire redoutable. Il a même dirigé les forces armées à un moment donné, pour mater différentes rebellions au sud et ça au Tchad, on ne l’a pas oublié. Je fais ce rappel pour vous ramener à l’instant d’aujourd’hui. Quand je dis qu’on aurait préféré que le procès ait lieu au Tchad, nous en connaissons aussi les limites. Si vous vous rappelez, il y a quelques années, Wade a fait, je ne sais pas une bourde, je pense qu’il a calculé. Un, jour il a dit qu’il va renvoyer Hissein Habré au Tchad. Mais c’était un branle-bas de combat à Ndjamena. C’était un colis encombrant, on ne savait pas quoi en faire. Différentes dispositions avaient été prises pour le prendre et l’éliminer à son arrivée. Parce que Habré, contrairement à ce que les gens pensent, il a des partisans à Ndjamena aujourd’hui. Donc, la solution pour Deby c’était de l’éliminer. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas organiser le procès de Hissein Habré à Ndjamena aujourd’hui. Mais on l’a organisé ailleurs, fort heureusement, au Sénégal. L’Union africaine a organisé ce tribunal spécial qui l’a jugé, l’a condamné à des travaux forcés à perpétuité. Pour moi c’est la moindre des choses qui pouvait lui arriver. Est-ce que justice est rendue ? Moi ce procès me laisse un goût amer et la justice était rendue oui, mais pas entièrement. Quels sont les autres complices de Habré qui ont été entendus ? C’est un procès à sens unique, c’est ça qui me gêne dans cette affaire, on n’a jugé que Habré, Habré seul et on n’a pas cherché à savoir qui a exécuté, qui était à côté de lui. La défense a demandé la convocation de Deby ? Par exemple il avait quelque chose à dire, c’est Deby qui a dit quelques mots avant cela qu’il était prêt à répondre à toute convocation, personne ne l’a convoqué c’est vrai. Mais en même temps je crois qu’il a contribué pour 1 ou 2 milliards au financement du procès, déjà à ce niveau-là, il y a eu de la corruption, on ne peut pas convoquer quelqu’un qui a financé le procès. Mais surtout ce qui est le plus grave c’est que Deby a fait arrêter à Ndjamena tous les comparses, tous les complices, tous ceux qui ont tué. Il les connait parce que ce sont ses compagnons, il les a fait juger sur place, il leur a fait infliger les peines que vous savez, et puis les a mis de côté, il les a soustraits de la justice africaine. Voilà le coup qu’il a réussi à faire, alors que tous ces gens-là auraient du être à Dakar, il a refusé leur transfèrement et vous comprenez pourquoi. Donc voilà moi je dis que ce procès me laisse un goût d’inachevé, un goût amer. Parce que la seule condamnation de Hissein Habré pour moi, historiquement ne règle pas les problèmes, on a laissé Deby jouer à ce jeu-là, c’est une complaisance du tribunal vis à vis de Deby, et je pense que pour l’histoire, ce n’est pas bon. Donc cette histoire de Hissein Habré d’une façon ou d’une autre va rebondir sur un autre régime cette question va rebondir, elle ne peut pas être enterrée comme ça.