C'est un bouquin qui va sans doute intéresser davantage les hommes de pouvoir en Afrique que l'opinion publique française. ''AfricaFrance, quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu'' évoque un sujet encore entouré de tabous : les relations entre les Etats balkanisés d'Afrique et l'ancienne Métropole. Rédigé par un journaliste de la vieille école, né en 1947, juste après la seconde Guerre mondiale, ancien redchef de La Lettre du Continent, l'ouvrage essaie de donner les clefs et codes de la nouvelle Françafrique.
Si 9 pages seulement ont été réservées au Sénégal, au chapitre VIII, ''Sénégal : au pays du verbe'', elles sont assez parlantes. Les termes du problème sont clairs : ''très apprécié à Washington – jusqu'à ce qu'il se lance dans une campagne présidentielle de trop -, Abdoulaye Wade ne comprend toujours pas, à l'orée de son deuxième mandat en 2007, pourquoi il n'est pas davantage fêté à Paris''. C'est alors qu'il décide de se lancer dans une campagne de com' mais aussi de lobbying ''pour être adoubé par la France'', écrit Antoine Glaser (Page 161).
Le pion qu'il va d'abord utiliser, c'est Bernard Rideau, ''conseiller en communication du président Valéry Giscard d'Estaing et qui a été ''conseiller associé à la Présidence de la République. C'est lui ''qui va introduire au palais présidentiel l'une de ses recrues des années Giscard : Anne Méaux'', patronne d'Image 7 qui va mettre son carnet d'adresses au profit de Gorgui. Il utilise aussi une autre piste, celle de Michel Katz qui fut ''chef de cabinet de Xavier Emmanuelli lorsque celui-ci était Secrétaire d'Etat chargé de l'Action humanitaire entre 1995 et 1997''.
Quatre ambassadeurs en 7 ans
Et pour se faire entendre par le Monarque de l'Elysée, ''le canal diplomatique'' est utilisé à outrance. Ce qui ne manque pas de faire des victimes. En 2003, ''Wade se rend compte que Roisin est loin de répercuter à l'Elysée, en flux tendu, toutes ses recommandations au Président français, il demande alors sa tête à Jacques Chirac''. André Parent, son conseiller pour l'Afrique du nord et le Moyen Orient est nommé à sa place.
Mais Sarkozy arrive, Bernard Kouchner dans ses bagages qui va nommer Jean-Christophe Rufin. Au départ note Glaser, ''Wade est très fier que ''son'' ambassadeur de France soit médecin, écrivain et surtout futir académicien''. Mais Rufin a trop d'amis dans l'opposition sénégalaise. Même s'ils les reçoit en toute discrétion, l'information finit par remonter au Palais et créer une crise. La concession du Terminal à container du Port autonome de Dakar (PAD) aurait pu constituer un tournant tant les intérêts de la France avaient été secoués.
Mais très vite, les Wade parviennent là aussi à inverser la donne. Si Dubaï Port World a pu décrocher le Port, ''le Sénégal projetterait de commander une centrale nucléaire avec comme fournisseurs non seulement Areva mais aussi Bouygues et EDF en sous-traitance''. C'est Karim Wade lui-même qui aurait fait la confidence à l'Elysée au Président français Nicolas Sarkozy. Une manœuvre qui devait en même temps permettre de maintenir un contigent français à Dakar.
Bourgi, Jabber et BHL
Les Wade multiplient les initiatives en faisant dégommer Jean-Christophe Rufin pour le faire remplacer par Nicolas Normand au poste d'ambassadeur à Dakar. ''C'est dans le même entre-soi que Robert Bourgi épinglera, en juin 2011, les insignes de chevalier de la Légion d'honneur au revers du costume de Nicolas Normand'', lors d'une cérémonie, qui s'est déroulée au domicile privé du diplomate, en présence du ministre d'Etat Karim Wade''.
Toujours dans ce jeu d'ombre, le philosophe Bernard Henri Lévy apparaît comme une pièce maîtresse. Selon Jean-Christophe Rufin cité par Glaser, c'est lui le meilleur lobbyiste de Karim Wade à Paris. Ce serait BHL, toujours selon les confidences du diplomate-écrivain, qui aurait demandé à ce dernier de recevoir Abass Jaber, le boss de Suneor. Ce dernier expliquera à Rufin que ''Karim Wade est à même de diriger le pays''. Un lobbying finalement non payant...