Un an après avoir fait ses débuts avec le Sénégal, Kalidou Koulibaly (25 ans), qui a rejoint Naples il y a deux ans, a failli faire le grand saut vers la Premier League et Chelsea cet été. Un faux départ qui ne devrait pas affecter un défenseur qui est passé par plusieurs chemins détournés pour percer au plus haut niveau.
Il y a ceux qui soulignent que «ça fait partie de la beauté du foot», et ceux qui affirment qu’ils ne sont «pas plus surpris que ça». Et pourtant. Il y a à peine deux ans, qui aurait pu prédire que Kalidou Koulibaly serait un des joueurs les plus courtisés du mercato européen ? S’il est finalement resté à Naples, le défenseur international sénégalais était la priorité d’Antonio Conte, le nouveau manager de Chelsea, après avoir été couvé par Rafael Benitez à son arrivée en Serie A, en 2014.
Inconnu du grand public français jusqu’à la bourde de Didier Deschamps - qui avait confié sur Canal + suivre ses performances en vue de l’Euro alors qu’il avait déjà opté pour le Sénégal - Koulibaly est bel et bien devenu une référence mondiale à son poste de défenseur central. Au point de faire partie des chouchous de l’idole absolu de San Paolo, un certain Diego Maradona…
Avec le FC Metz, c'était "je t'aime moi non plus"
Si on lui avait montré ce cliché il y a huit ans, Kalidou Koulibaly aurait certainement souri. Car en cet été 2008, au moment de fêter ses dix-sept ans, il évoluait encore à… Saint-Dié, sa ville natale, en CFA 2. Écarté du centre de formation du FC Metz quelques mois plus tôt, l’adolescent avait vu ses rêves de professionnalisme prendre un sacré coup. C’est en fait dans les Vosges que tout va vraiment démarrer. «Sans centre de formation, j’ai grandi plus vite que les autres, car à seize ou dix-sept ans, quand tu joues avec des pères de famille, ce ne sont pas les mêmes discussions, pas les mêmes centres d’intérêt», confiait l’intéressé à L’Equipe en janvier dernier.
Conscient de son erreur initiale, Metz récupère Koulibaly en 2009, mais le futur Lion de la Teranga, s’il fait partie de l’équipe vainqueur de la Coupe Gambardella 2010, doit s’armer de patience pour avoir sa chance avec l’équipe première. Celle-ci arrive grâce à la clairvoyance de Dominique Bijotat. «Quand je suis arrivé, il n’était même pas dans l’effectif pro, mais j’ai cru en lui, et je l’ai imposé face à des joueurs confirmés, se remémore avec fierté l’ex-coach des Grenats. Bien sûr, il était jeune et nous a coûté quelques buts, mais ça fait partie de la formation. Et puis il avait vraiment un temps d’avance sur les autres dans la compréhension du jeu, l’écoute. À cet âge-là, c’était très marquant par rapport à d’autres…»
2011, des Bleuets et des bleus
En 2010/11, "Kouli" dispute ainsi dix-neuf rencontres de Ligue 2, inscrit un but, et tape dans l’œil de Francis Smerecki. Alors sélectionneur de l’équipe de France U20, ce dernier teste le défenseur messin lors du Tournoi de Toulon, avant de l’intégrer au dernier moment dans sa liste pour la Coupe du monde U20. Au fil des forfaits (Johan Martial, Chris Mavinga), Kalidou Koulibaly se retrouve propulsé titulaire. Avec réussite dans un premier temps… avant de coûter les deux buts de la demi-finale perdue face au Portugal (0-2). Dur.
‘’Je me souviens d'un bon défenseur, qui avait quelques absences, rembobine son partenaire en charnière lors de cette compétition, l’ex-Lyonnais Sébastien Faure. Sur les coups de pied arrêtés, ou dans le domaine tactique, il pouvait faire des erreurs qui coûtent cher, comme face au Portugal d'ailleurs.’’ Alors que son sélectionneur l’avait invité à ‘’forcer son tempérament pour exister’’, Koulibaly n’était pas parvenu à se défaire de sa timidité. ‘’Sans être forcément à l'écart, il n'osait pas s'imposer, restait sur la pointe des pieds, confirme Faure. Il ne pensait pas jouer, et finalement il s'est imposé par la force des choses.’’
Du National à la Ligue Europa
Au moment de récupérer son poulain, Dominique Bijotat doit donc jouer les psychologues : ‘’Je sentais que ça l'avait marqué, et qu'il avait quelques incertitudes. Il a fallu chasser ce côté revanchard, on a travaillé, et il a continué à se construire.’’ Si la saison 2011/12 est à oublier pour le FC Metz, avec une descente en National à la clé, elle permet à Koulibaly de prendre du galon, et même d’hériter du brassard de capitaine… ‘’Ça montre l’aura qu’il avait acquise en dehors du terrain, explique Bijotat. Ce qui m’a marqué chez lui, c’est son humeur toujours égale. Il ne s’enflammait pas après un bon match et n’était pas catastrophé quand ça se passait moins bien. Il maîtrisait déjà ces aspects-là, preuve de sa maturité.’’
En 2012, Metz dit donc au revoir au monde pro et adieu à son défenseur. Plutôt qu’un club de bas de tableau en L1, Koulibaly fait un choix risqué : rejoindre la Belgique et le RC Genk. Risqué mais ‘’intelligent’’ selon son partenaire en Belgique, Julien Gorius : ‘’C’est grâce à son passage à Genk qu’il a développé son leadership. Il lui a fallu un temps d’adaptation, il ne parlait pas beaucoup au début. Il a dû bosser là-dessus. Mais on a vite remarqué ses qualités naturelles et il s’est vite imposé comme un élément important. Ce sont surtout les matches de Coupes d’Europe qui ont forgé son caractère.’’
Quand il raccroche au nez de Benitez
Resté proche de Kalidou Koulibaly après ces deux saisons communes en Jupiler League, Gorius (aujourd’hui à Changchun Yatai, en Chine) avait anticipé la percée de son jeune coéquipier au plus haut niveau. ‘’Il y a deux ans, j’avais dit dans une interview que le Championnat belge n’avait pas vu un joueur avec autant de potentiel depuis Vincent Kompany. "Kouli" était sûr de son talent, mais surtout très à l’écoute. Même s’il évolue aujourd’hui à un niveau supérieur au mien, si je lui donne un conseil, tactique ou autre, je suis certain qu’il va le prendre en considération. C’est remarquable. Quand certains prennent la grosse tête après deux, trois gros matches, lui c’est tout l’inverse. J’ai l’impression qu’en Belgique, on ne s’est pas vraiment rendu compte de son talent…’’
Tout le contraire de Rafael Benitez. Le technicien espagnol, alors en charge du Napoli, appelle le joueur à plusieurs reprises dès décembre 2013 afin de le convaincre de rejoindre l’Italie. Convaincu d’une farce, Koulibaly lui raccroche deux fois au nez… Avant de céder aux sirènes du plus coriace rival de la Juventus en Serie A à l’été 2014. ‘’Lors du premier entretien dans son bureau, Benitez m’a expliqué ce que je devais faire sur un terrain en utilisant des verres, racontait encore le joueur dans L’Equipe. Le premier jour d’entraînement, il m’avait concocté une vidéo personnalisée où tout y était, ce que je faisais de mal, etc. Et il m’a dit : "Si tu suis ça, tu vas devenir un grand joueur''.’’
‘’L'Italie lui a fait du bien’’
Après deux saisons de haute volée en Italie, force est de constater que Rafael Benitez ne s’est pas trompé, et que Kalidou Koulibaly a suivi ses conseils. À tel point que ceux qui avaient perdu sa trace après son départ de Metz ont retrouvé un joueur métamorphosé. ‘’Je ne m’attendais pas à une telle évolution, concède Sébastien Faure. Mais quand je l’ai vu jouer avec Naples, je l’ai trouvé beaucoup plus confiant. Ça fait partie des grands progrès qu’il a effectués.’’ ‘’Les qualités athlétiques, il les a depuis le début, ajoute Julien Gorius, mais aussi l’intelligence de jeu. Des joueurs rapides et puissants, on en trouve, mais des joueurs qui allient ça à l’intelligence, il n’y en a pas des masses… Ça fait donc de lui un des meilleurs en Europe.’’
Sans être ‘’certain qu’il aurait cette trajectoire’’, Dominique Bijotat se félicite aujourd’hui d’être passé outre les doutes et les limites entourant le jeune Kalidou Koulibaly : ‘’Il était encore un peu fragile, il pouvait commettre une petite bévue et être perturbé. Aujourd’hui, il n’en fait plus beaucoup… Il a progressé, notamment techniquement, mais ses caractéristiques sont les mêmes. Il les a simplement adaptées à l’exigence du très haut niveau. L’Italie lui a fait du bien, parce qu’il lui manquait cette rigueur de tous les instants. Cette culture-là lui a fait un bien énorme.’’ Comme Antonio Conte, Koulibaly est prêt à l’exporter. Quitte à patienter encore quelques mois.