De plus en plus, les mineurs fréquentent les boîtes de nuit, avec souvent des tenues indécentes, à la limite du vulgaire. Si certains le font avec l’autorisation de leur parents, d’autres, par contre, trompent leur vigilance, grâce à des complicités au sein de la maison. Quant aux lieux d’accueil, ils semblent avoir privilégié le gain sur le respect de la règlementation et la protection des vies fragiles.
Ce jour-là, la boîte de nuit Penc-Mi a vibré comme d’habitude. En l’espace d’une heure, elle a été remplie comme un œuf. Dans le public assez spécial de noctambules, des êtres fragiles qui, à pareille heure, devraient en principe être dans les bras de Morphée. Assez excités, ils sont ce que les Anglais appellent ‘’teenagers’’, c'est-à-dire, âgés de 13 à 17 ans. C’est désormais une réalité et c’est connu, les mineurs ont, de plus en plus, tendance à fréquenter les boîtes de nuit, parfois jusqu’à des heures tardives. Curiosité, instant euphorique, recherche de bon temps, les motivations varient d’un jouvenceau à l’autre. Pendant les week-ends, les boîtes de nuit sont pleines à craquer, surtout en temps de vacances. Adolescentes et adolescents occupent les pistes des soirées, parfois plus grouillants que les adultes.
A 2h du matin, les alentours de Penc Mi commencent à accueillir du monde. Robe courte, jupe petite taille, sous-fesse, chaque demoiselle semble avoir décidé de remporter le prix de la tenue la plus provocatrice voire indécente. Les garçons aussi ont leur compétition. Short, débardeur, nœud papillon, pantalon bouffant, à chacun son goût et ses fantasmes. Ce qui frappe de prime abord, c’est l’uniformité des couleurs : le noir et le blanc. Cette soirée dite ‘’Black and White’’ est en fait organisée par la coqueluche des minettes : Wally Seck. 6 000 F le ticket d’entrée, et pourtant les petits sont bien là. En d’autres termes, malgré leur jeune âge, ils trouvent l’occasion et les moyens d’aller se défouler.
Habitant les Mamelles, K. S, moulée dans une robe de la couleur du jour ’’Black and White’’, avoue qu’elle a commencé à fréquenter les boîtes de nuit à l’âge de 16 ans, juste après l’obtention du BFEM. Après cette première expérience, elle est restée 2 ans sans y remettre les pieds. Nouvelle bachelière à 19 ans, elle a désormais plus de latitude pour sortir la nuit. ‘’J’adore venir aux soirées de Wally Seck, mon papa à moi. C’est trop cool. On s’amuse beaucoup’’, souffle-t-elle. K. S se défend toutefois de se livrer à la débauche. Son argument principal est qu’elle ne porte pas d’habits indécents. Elle ne sort pas non plus sans l’autorisation de ses parents. Ainsi, cette escapade est la deuxième durant les vacances.
M. S. aussi est de cette catégorie ayant pris goût aux délices de la nuit avant l’âge de la majorité. Aujourd’hui âgée de 16 ans, elle assume cette responsabilité, tout en indiquant qu’elle ne porte pas d’habits indécents. Elle confie avoir assisté à sa première soirée à l’âge de 14 ans. ‘’Mais, ajoute-t-elle, j’ai toujours l’autorisation de mes parents. Nous sommes accompagnées par notre frère’’. B. D, leur copine venue avec elles, les rejoint. Elle donne l’air d’être de vraies amies : accolades, bises, sourires et tapes amicales agrémentent leur discussion.
‘’Je m’assure d’abord que mon père est déjà au lit’’
Habillée d’une mini-jupe, tête rasée, Bousso S. aime sortir pour se défouler. Du haut de ses 17 ans, elle est étudiante dans une école de formation. Elle n’a pas attendu d’avoir plus de 14 ans pour percer les mystères de la nuit. ‘’La première fois que j’ai été en boîte, c’était au Papayer. J’étais avec des copines’’. Contrairement à nos premières interlocutrices, elle était sortie sans aviser ses parents. ‘’Il m’arrive souvent de sortir avec mes copines, mais ce n’est pas tout le temps que mon père est au courant. Je bénéficie de la complicité de mon frère qui m’aide à sortir. Avant de partir, je m’assure d’abord que mon père est déjà au lit’’, confie-t-elle. Quant à B. D, sa passion se résume à des sorties pour assister aux soirées de Wally Seck, afin d’évacuer le stress. Habituée à tester les clubs, elle a fini par porter son choix sur deux d’entre eux, le Duplex et le Nirvana.
A quelques mètres d’elle, deux jeunes garçons attendent que le guichet soit accessible afin de se payer le sésame. Short blanc, débardeur noir, chaussures à la coupe italienne, la tenue est une copie conforme du style de Wally Seck. I. K aime Wally et tout ce qui se rapporte à la mode dite ‘’Gouney Wally’’, (les jeunes fans de Wally). ‘’Cela fait 7 ans que je fréquente les boîtes. Je viens avec des amis pour profiter de ce que Wally offre à son public.’’ Ce jeune homme aux airs d’un fils à papa estime qu’il n’a pas besoin d’aviser ses parents, parce que se considérant responsable. Pourtant, c’est à 15 ans qu’il a commencé à suivre ses amis dans des escapades nocturnes. Et à chaque soirée du fils de Thione Ballago Seck, il suffit que son nom soit prononcé par son ami chanteur pour qu’il se livre au jeu favorisé des initiés, le fameux ‘’baatré’’ (distribution de billets sur scène).
‘’J’étais trop jeune. J’avais 16 ans’’
3 h du matin, la grande cour du Penc Mi compte désormais des centaines de jeunes. La star du jour (de la nuit plutôt) ne se laisse pas dominer par ses fans. Pantalon noir déchiré, une chaîne en perles le long des hanches, le tout assorti d’une chemise blanche, Wally ouvre la soirée avec sa chanson ‘’Bég leen’’ dédiée à ses adulateurs. Les cris stridents et la reprise en chœur des chansons sont la preuve que ces jeunes sont de vrais ‘’Guney Wally’’. Wally Ballago ne laisse pas à son public le temps de souffler. Il enchaîne les nouveaux tubes. Les mélomanes en demandent encore. Il arrive même qu’ils réclament une chanson déjà passée. C’est le cas de ‘’Ndella Wally et Momy Wally’’, tubes dédiés à ses deux fillettes. Aussitôt demandé, aussitôt obtenu.
Dans ces conditions où les jeunes sont en plein défoulement, il est difficile de trouver quelques secondes pour se prêter à des questions. Au bout de quelques minutes de patience, on trouve enfin un interlocuteur. A. L a commencé à sortir la nuit en 2009 pour aller goûter aux ambiances surchauffées d’une boîte. ‘’C’était en cachette, car à ce moment, j’étais trop jeune. J’avais 16 ans. Je faisais tout pour que mes parents ne soient pas au courant. C’est mon frère qui nous aidait, moi et une cousine qui venait en vacances, à trouver un plan pour tromper la vigilance des parents’’, raconte-elle d’un ton amusé. Aujourd’hui, elle a 22 ans et elle continue toujours à y prendre goût. A. F quant à elle habite à Saint-Louis. Elle est venue en vacances à Dakar. Ses premières sorties remontent à l’époque des soirées Fosco organisées par l’école. Ce n’était pas forcément les lumières tamisées des night-clubs. ‘’Je n’ai pas l’habitude d’aller en boîte. Je suis là aujourd’hui parce que je me sens majeure, j’ai atteint mes 23 ans. Je ne trouve pas de mal à sortir maintenant et surtout que je suis venue avec ma cousine’’, se défend-elle.
‘’Ce sont les ados qui remplissent les boîtes’’
Selon un agent de sécurité sur place, sous couvert de l’anonymat, ‘’il n’y a pas de filtre à l’entrée permettant d’interdire l’accès aux mineurs. ‘’A chaque soirée de Wally, les jeunes viennent en masse et on ne peut pas leur interdire l’accès. Ce sont ces gamins-là mêmes qui forcent l’entrée, quand il n’y a plus de place’’, déplore-t-il. A la porte d’entrée de la boîte, les guichetiers procèdent rapidement à la vente sans aucune vérification. Il s’empresse de finir leurs tickets. Puis, le préposé à la sécurité admet même son impuissance. ‘’Dans ce showbiz, nous ne pouvons pas appliquer cela. Sinon, l’organisateur ne s’en sortirait pas, puisque ce sont les ados qui remplissent les boîtes’’, ajoute-t-il.
Golden, l’exception
Pourtant, ce n’est pas dans toutes les boîtes que les jeunes ados peuvent avoir accès. Il existe des endroits où on leur rappelle qu’ils n’ont pas encore une place à la table des adultes. ‘’Golden’’ est situé au point E. Un habitué des lieux affirment que le contrôle d’identité se fait à l’entrée pour s’assurer de la maturité du client. Mais même sans vérification, il reste convaincu que les jeunes n’en feraient pas leur tour de Babel. ‘’Dès qu’ils entendent parler de Point E, ils se disent que c’est cher, c’est luxueux, ils n’auront pas les moyens d’y aller’’, dit-il. Pourtant, le ticket d’entrée est à 8000 F CFA plus la consommation. Mais, il faut reconnaître que ce n’est pas un antre pour de jeunes lions. A l’intérieur, chacun garde sa place. Souvent les gens viennent en couple. ‘’Les ados préfèrent les boîtes où ils peuvent faire beaucoup de bruit sans contrôle, alors qu’ici tout est ordonné. Les gens viennent écouter de la musique comme moi, ou bien danser tranquillement sans déborder et c’est sécurisé.’’
Les parents divisés
Du côté des parents, les avis divergent. Aïssatou Doumbouya estime qu’il faut vivre sa jeunesse. Mère de quatre bouts de bois de Dieu dont une fille, elle avoue qu’elle laisse ses enfants sortir. A son avis, le risque d’exercer un contrôle strict sur les jeunes est qu’ils ignorent le fonctionnement du monde extérieur. De son point de vue, laisser les petits sortir leur permet de découvrir par eux-mêmes les dangers de la société. Ce qui les arme pour mieux les affronter et éviter ainsi d’en être un jour une victime. ‘’Je laisse mes enfants se divertir, se défouler, aller en boîte de temps en temps. Ils doivent vivre leur jeunesse. Ce qui est mauvais, c’est d’en abuser’’, soutient-elle. Aïssatou Doumbouya pense même que les inconvénients viendraient d’un déficit de liberté accordée aux jeunes. ‘’Des gens à qui on interdisait de sortir durant leur jeunesse, une fois devenus adultes, ont voulu se rattraper. Ils deviennent ridicules aux yeux de la communauté. Ils sont partout indexés et taxés d’irresponsables’’, croit-elle savoir.
Cette maman reste même convaincue qu’il est de toute façon impossible de contrôler les jeunes. En guise d’illustration, elle donne l’exemple d’un vieux qui interdisait à ses enfants de sortir, mais qui se faisait dribbler tout le temps par ces derniers. En fait, explique-t-elle, les enfants faisaient croire à leur papa qu’ils partaient étudier pour aller se payer des moments de plaisir. Contrairement à cette dame, Cheikh Diop lui n’encourage pas les sorties nocturnes. Ce père de famille, photographe de son état, préfère avoir ses descendantes à ses côtés. ‘’J’ai trois filles mais, elles ne fréquentent pas les boîtes de nuit. Cela ne fait pas partie de leur programme. Elles sont tout le temps avec moi à écouter mes conseils. Je les aide à comprendre les réalités de la vie’’, se réjouit-il. Il ne blâme pas pour autant les parents qui laissent leurs enfants sortir. N’empêche, il reste convaincu que les jeunes sont souvent victimes de tentations et de dérives dans ces lieux.