Après sa révocation de la Fonction publique, l’ex-Inspecteur principal des Impôts et Domaines Ousmane Sonko peut compter sur le soutien du leader de CAR / Lenen, Amsatou Sow Sidibé. Dans cet entretien, l’ancienne ministre conseiller du Président Macky Sall dénonce ‘’une procédure expéditive’’ et ‘’dangereuse’’ utilisée pour sanctionner le président du Pastef. Elle revient aussi sur les questions de la double nationalité et le blocage de son salaire après son limogeage de la Présidence.
Ousmane Sonko a finalement été révoqué de la Fonction publique par le président de la République, Macky Sall, pour non-respect du droit de réserve. En tant que politicienne et juriste, droit-de-l’hommiste, quelle lecture faites-vous de cette affaire ?
Cette décision me paraît excessive. Dans cette affaire, le droit de la défense n’a pas été respecté. Ousmane Sonko n’a pas eu la possibilité de s’exprimer et de se défendre de par lui-même ou par le biais de ses avocats. La radiation de la fonction publique est une décision très grave. Le radier, sans l’avoir écouté et entendu ses avocats, c’est excessif. Même à l’université, lorsqu’un étudiant commet une faute, il est entendu par une Commission de discipline avec l’ensemble du staff de la communauté universitaire en présence des personnes mises en cause. Mais pour le cas d’Ousmane Sonko, il s’agit d’une procédure expéditive et dangereuse dans une République. Il faut faire attention avec la plume. On ne signe pas des décrets destructeurs aussi facilement. On dit qu’il faut tourner sa langue sept fois avant de parler. Pour un cas pareil, il faut aussi tourner sa plume sept fois avant de détruire quelqu’un.
Sur quoi vous vous fondez pour affirmer que la procédure n’a pas été respectée ?
Il n’y a pas eu de procédure disciplinaire. Il n’a pas été entendu. Est-ce que M. Sonko a violé son obligation de discrétion professionnelle ? La réponse est négative. Il n’a pas révélé mais dénoncé. Les informations qu’il a livrées sont publiées par le gouvernement lui-même. Il suffit de surfer sur le net pour avoir toutes ces informations qu’il a portées à la connaissance d’un public plus large. Est-ce que cela est constitutif de violation de confidentialité ou de secret professionnel ? Non ! On lui reproche d’avoir parlé en tant que fonctionnaire, alors qu’il y a des Inspecteurs des Impôts et Domaines ministres qui n’arrêtent pas de parler.
Et de surcroît de faire de la politique politicienne. Le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Bâ et le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Abdoulaye Daouda Diallo s’expriment librement sans être inquiétés. Parce qu’ils vont dans le sens voulu par le parti au pouvoir. C’est un problème. Lui (Ousmane Sonko), on le sanctionne parce qu’il dénonce les agissements du pouvoir. C’est la politique de deux poids, deux mesures. Et c’est inadmissible dans une démocratie.
Est-ce qu’on peut parler d’un règlement de comptes politique dans cette affaire Sonko ?
(Silence). C’est là, où je voulais mettre le doigt. C’est sur l’oppression, le fait que la liberté d’opinion et d’expression soit massacrée dans ce pays. Alors que ce sont des droits et libertés prévus par la Constitution. Il suffit que quelqu’un parle dans un sens contraire à celui voulu par le régime pour qu’il soit sanctionné. Les intellectuels doivent, aujourd’hui, avoir peur. Du temps du nazisme, on avait commencé à brûler les livres. Aujourd’hui, ce sont les langues et les plumes qu’on n’est en train de brûler. C’est effrayant ! Où allons-nous ?
Vous utilisez le terme de radiation, alors que le gouvernement parle de révocation.
Peu importe le terme utilisé pour désigner cette sanction. La révocation n’est pas loin de la radiation. C’est grave ! Et c’est dommage pour le pays qui perd un expert. L’Etat a payé cher pour sa formation. Le Sénégal doit aller de l’avant ou marquer le pas. Quant on se débarrasse aussi facilement de l’expertise, on se débarrasse du développement.
Depuis quelque temps, la question de la double nationalité alimente le débat politique au Sénégal. Quel est votre avis sur ce sujet ?
La surprise a été énorme quand en pleine commission de revue du code électoral, la question de la nationalité a été agitée. Surtout la façon dont elle a été posée. Tout le monde sait qu’on a droit à une seule nationalité pour être candidat. Le code électoral est clair sur ce point. Mais on nous dit, avec des calculs obscurs, qu’il faut renoncer à la deuxième nationalité au moins 5 ans avant le dépôt des listes. Cela a surpris beaucoup de Sénégalais. Nous avons pensé que c’est pour écarter d’éventuels candidats gênants à la future élection présidentielle à cause de leur double nationalité.
Il faut avoir une nationalité exclusive pour être candidat à la magistrature suprême. Personne n’en disconvient. C’est au moment du dépôt du dossier que l’on peut se rendre compte que si l’intéressé à une double nationalité ou pas. Le juge constitutionnel se limite au contenu de l’attestation. Il ne peut pas présumer un faux. Il n’appartient pas à ce dernier de fouiller dans le fond. C’est un autre candidat qui peut invoquer la double nationalité de l’un des candidats et saisir le juge. (...). Sachons où mettre le pied ! Ne jouons pas avec le feu ou le serpent !
Récemment, vous avez lancé une troisième force politique dénommée ‘’Troisième voie’’. Pourquoi une telle coalition ?
J’ai mis en place une ‘’Troisième voie politique’’ pour rétablir les valeurs perdues. L’origine des problèmes que vivent les Sénégalais, en ce moment, découle de la crise des valeurs. Nous avons perdu les valeurs républicaines, sociales… C’est ce qui explique qu’on rencontre des difficultés dans tous les secteurs (santé, emploi, éducation…). Il y a une déperdition des valeurs très fortes. Ce n’est ni la voie de la majorité, ni de l’opposition traditionnelle. Toute personne qui ne se retrouve ni dans l’un ni dans l’autre et qui partage nos valeurs peut intégrer notre coalition dont l’idéologie est fondée sur la primauté des valeurs. Nous voulons, avec cette ‘’Troisième voie’’, ouvrir des perspectives plus heureuses à toutes les couches sociales.
Ne pensez-vous pas que ce rôle appartient à la société civile ?
Non. ‘’La troisième voie’’ peut intéresser tout le monde. Ça peut être des membres appartenant à des formations politiques, des mouvements, la société civile, des associations de femmes, de jeunes, des retraités, etc. nous vivons un Sénégal déséquilibré. Il nous faut remarcher sur nos deux pieds.
Des partis de l’opposition viennent de lancer une nouvelle coalition. Etes-vous prête à jouer votre partition au sein de ce nouveau cadre ?
C’est un front de protection contre les abus et les excès du pouvoir. Il vise aussi à lutter pour la transparence des élections. Nous nous solidarisons pour faire front face aux dérives actuelles du régime au pouvoir. Toute l’opposition milite pour des élections transparentes, justes et équitables. Il n’empêche que chacun a son parti politique ou sa vision. Nous, nous sommes de la ‘’Troisième voie’’. Mais celle-ci peut se solidariser avec les autres coalitions pour faire face aux mascarades que nous sommes en train de vivre.
Le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes) a dernièrement organisé une marche pour dénoncer le blocage de votre salaire. Ce qui a été démenti par la suite par le Recteur Ibrahima Thioub. Qu’en est-il réellement ?
Le Saes a organisé une marche parce qu’il avait des revendications destinées au Recteur. Il a ensuite profité de l’occasion pour dire qu’il ne voulait pas que des collègues soient brimés, en l’occurrence le Pr Malick Ndiaye et moi. Je ne pense pas que le Saes ait dit, nous concernant tous les deux, que c’est le Recteur qui était fautif. Pour le paiement de mon salaire, j’ai toujours dénoncé l’attitude de la Présidence de la République. Après mon limogeage, la Palais a refusé de me remettre le document qui devrait me permettre d’être payé par l’Université. Mon avocat a écrit à plusieurs reprises au Directeur de cabinet, au ministre Secrétaire général pour qu’on me délivre une attestation de cessation de paiement. Sans ce document, l’Université ne peut pas me payer. J’ai insisté pour obtenir ce papier. Mais ils ont refusé de le faire. C’est tardivement, au courant mai, juin qu’ils l’ont fait. Dès que j’ai reçu cette attestation de cessation de paiement, j’ai fait plusieurs sorties dans la presse pour en parler, notamment dans une émission télévisée et un site internet de la place. Et cela bien avant la marche du Saes et la sortie du Recteur.
Pourquoi alors le Saes a organisé cette marche pour réclamer le paiement de votre salaire par l’Université ?
Il fallait le faire. Ce n’est pas pour nos individualités. C’est une question de principe. Ce que nous avons dénoncé permettra de protéger dorénavant tout universitaire. Et d’une manière générale, tout travailleur. Parce que le salaire fait partie du droit patrimonial d’ordre public, il a une coloration économique évaluable en argent. En tant que tel, c’est toute la société qui est concernée. On n’y touche pas. On n’a même pas le droit de renoncer à un salaire. Car, c’est grâce au salaire qu’une personne peut vivre, faire vivre sa famille, venir en aide à ses semblables, se solidariser avec les autres, etc. On ne doit pas jouer avec le salaire d’une personne. Pendant 5 mois, ils m’ont privé de ce papier qui devrait me permettre de percevoir mon salaire, alors que j’ai des charges comme toute autre mère de famille. Le Saes s’en est saisi tardivement parce que le Pr Malick Ndiaye et moi n’avons pas voulu trop en parler.
Le Recteur affirme que votre salaire a été rétabli et que vous avez perçu votre rappel. Est-ce que c’est le cas ?
Je l’ai dit depuis longtemps. Il n’a fait que répéter ce que j’ai dit et redit. La dernière en date, le 19 août passé dans un site d’information en ligne de la place. Oui, j’ai perçu mon salaire et mon rappel depuis début juillet. Je n’ai pas de problème avec le Recteur. Il n’a rien fait dans tout ça. C’est le pouvoir en place qui a voulu nous réprimer, nous brimer, nous mettre mal à l’aise pour mener nos activités politiques. Tout ça parce que nous avons touché du doigt les maux du pays. Nous l’avons vu et vécu. Nous imaginons ce qu’Ousmane Sonko, Colonel Abdoul Aziz Ndao, le commissaire Keïta, Nafi Ngom Keïta, Aïda Ndiongue… sont en train de vivre.