L’image que l’opinion publique se fait de l’étudiant n’est plus reluisante. Fini le temps où des gens se rendaient uniquement à l’université pour en apercevoir un. L’étudiant d’aujourd’hui est ce ‘’va-t-en-guerre’’ adepte des empoignades avec la police, presque toujours en mouvement de grève. Il traîne son spleen à travers les campus de ce pays, avec en bandoulière ses carences linguistiques et son incivisme, selon certains. Cette dégradation inexorable de l’image de l’étudiant trouve un terreau fertile dans l’augmentation exponentielle du nombre des jeunes qui arrivent à l’université, chaque année.
Pour plusieurs raisons, le statut d’étudiant ne fait plus rêver au Sénégal. Pourtant, il y a de cela quelques années, ne l’était pas qui voulait. Mieux, celui-ci avait un statut envié au sein de la société. La lente et inexorable dégradation de cette image à laquelle nous assistons résulte de plusieurs facteurs. ‘’La massification est la source de tous les problèmes des étudiants’’, croit mordicus Moussa Diallo, étudiant au département d’Anglais de l’Ucad. Faux ! répond Tamsir Samb, conseiller en communication au Centre régional de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. ‘’Il y a moins de 200 000 étudiants au Sénégal. Ce chiffre n’est rien comparé à celui des autres pays, notamment la Tunisie et le Maroc où on peut trouver jusqu’à 900 000 étudiants’’, avance le communicant pour qui cet argument ne tient pas. D’ailleurs, il dédouane l’Etat qui, soutient-il, ‘’a dépensé suffisamment’’. ‘’Il octroie des bourses aux étudiants, aux chercheurs, bref l’Etat a fait ce qu’il devait faire’’, estime-t-il.
De l’avis de l’enseignant Abdou Ngom, Maître de conférences au département d’Anglais de l’Ucad, la baisse du niveau des étudiants n’est pas un phénomène propre au Sénégal. ‘’Le constat est le même presque partout. Il y a une sorte de désengagement de l’étudiant vis-à-vis de la chose académique. Ce qu’il met en avant, ce n’est plus l’acquisition des connaissances. Les études sont considérées désormais comme un tremplin vers une vie professionnelle qui va procurer plus d’avantages. De nos jours, l’essentiel est d’acquérir, par tous les moyens, un diplôme, même si celui-ci ne reflète pas un savoir’’. A en croire M. Ngom, la question va au-delà de l’étudiant : ‘’A mon avis, c’est l’intellectuel lui-même qui n’a plus l’aura qu’il avait. Qui voit-on dans les télés ? Ce sont très souvent des citoyens, dans d’autres activités professionnelles, n’ayant pas souvent le profil d’intellectuel.’’
‘’L’étudiant d’hier était beaucoup plus sérieux’’
Abondant dans le même sens, l’étudiant Assane Sarr argue que la baisse du niveau de ses camarades trouve ses causes dans les effets pervers de la mondialisation : mauvais usage de technologie, la promotion médiatique de certaines stars sorties de nulle part et l’érection de celles-ci en modèles de société. Et l’un des instruments de mesure de cette baisse de niveau de l’étudiant et de son image reste son exécrable niveau d’expression en français. Ce qui fait dire à Tamsir Samb, conseiller en communication : ‘’L’étudiant d’hier était beaucoup plus sérieux et attaché aux études que celui d’aujourd’hui. A l’époque, il fallait lire tous les bouquins au programme et bien d’autres : de Marx à Hegel en passant par Heidegger non sans faire des analyses du maoïsme. Dans les assemblées générales, à l’université, quand on entendait un étudiant parler, on pouvait conclure que la révolution qu’il prônait était aux portes de Rufisque, tellement il avait une maîtrise de ce qu’il disait. Aujourd’hui, la qualité d’expression des étudiants est décevante.’’
Devant ce concert de réprobations, quel est l’avis des parents ? Celui d’Abdoulaye Bèye, retraité de l’armée sénégalaise, est sans appel : ‘’Je ne suis pas fier de mes étudiants’’, martèle-t-il. ‘’Ils ne comprennent pas bien le français. Ils n’apprennent pas beaucoup. Ils n’aiment que jouer, écouter de la musique et chercher les filles’’, confie-t-il. Contrairement à l’ex-homme de tenue, Amadou Hann, chef d’entreprise, est plus clément. ‘’Je trouve que le niveau des étudiants n’est pas mal. Concernant le faible niveau de leur langage, il faut relativiser. On n’est pas né Français. Notre pays n’a pas besoin que des orateurs. On a besoin de Scientifiques. L’essentiel, c’est d’avoir quelque chose dans la tête’’, soutient le scientifique. Qui fait une suggestion : ‘’Il faut réduire l’enseignement académique au profit d’un enseignement orienté vers les réalités professionnelles : plus de pratiques et plus de stages’’.
Le Coud lance ‘’Kaay débattre’’
Nostalgique, Khalifa Babacar Diagne raconte qu’il fut un temps où les habitants des quartiers environnants de l’université quittaient chez eux pour aller à l’université dans le seul but d’apercevoir un étudiant. ‘’C’était très rare de voir un étudiant sortir. Quand il sortait, celui qui l’apercevait criait et jubilait pour avoir vu un étudiant’’, ajoute-t-il. ‘’Quand tu étais étudiant et que tu sortais, tu faisais tout pour que les gens du dehors aperçoivent le bout de ta carte d’étudiant dans ta poche, parce que c’était valorisant’’. Un temps révolu.
Dans le but de redonner à l’étudiant actuel la considération d’antan, le Coud, en partenariat avec le Groupe initiatives et innovations jeunes (2IJ), a lancé en 2013 une compétition inter-facultés de débats dénommée ‘’Kaay débattre’’. L’objectif de ce projet est de faire de l’étudiant un modèle et une source de solutions aux problèmes de la société sénégalaise.