L’Etat hébreux, quatrième pays à avoir reconnu le Sénégal indépendant, (après la France, l’Egypte, et l’Allemagne), tente d’insuffler un dynamisme à une relation diplomatique qui se porte tant bien que mal. Son ambassadeur à Dakar, Paul Hirschon, a fait un tour dans les locaux de EnQuête hier pour une visite de courtoisie qui a servi de prétexte à un face-à-face avec la Rédaction. Le diplomate revient de manière ramassée sur quelques points de la coopération entre les deux pays.
Que s’est-il passé avec les deux auteurs sénégalais à qui vos services consulaires ont refusé le visa d’entrée ?
Nous ne leur avons pas refusé de visa. Il y a une semaine, deux écrivains sénégalais ont demandé un visa pour participer à une conférence à Ramallah, qui dépend de l’autorité palestinienne. Pour cela déjà, pas besoin de demander un visa d’entrée car ce n’est pas Israël. Ils ont postulé durant le week-end long puisque le lundi 15 août était la fête nationale. Quand on a étudié leurs dossiers le mardi (16 août 2016), nous nous sommes aperçus qu’ils voulaient rester dans un hôtel en Israël. Pour cela, il faut un visa ‘‘multiple entry’’ car il s’agit d’aller à Ramallah, en territoire palestinien, pour ensuite rentrer dans leur hôtel en Israël. Ce n’était pas tellement loin, une trentaine de minutes seulement. Mais instruire un dossier pour un visa ‘‘multiple entry’’ est difficile d’autant plus qu’ils ont déposé à trois jours de leur départ. En cas d’urgence, c’est peut-être possible. Voilà ce qui s’est passé.
Pourquoi une seule ambassade, celle de Dakar, pour six pays de la sous-région ?
Pour des raisons économiques principalement. C’est difficile d’ouvrir une ambassade dans chaque pays du monde. En Chine, nous avons cinq bureaux. Jusqu’en 1973, nous avons eu trente ambassades en Afrique, aujourd’hui, nous en avons seulement dix. A cette époque, après la guerre du Kippour, beaucoup de pays africains se sont solidarisés avec l’Egypte qui avait demandé la rupture des relations avec Israël. Nous avons pratiquement fermé toutes nos ambassades. Après que l’Egypte a rétabli les relations en 1979, beaucoup de pays sont revenus comme le Kenya, l’Angola, l'Érythrée, l’Ethiopie, le Nigeria, le Sénégal. Si les pays africains n’avaient pas arrêté les relations, nous aurions eu beaucoup d’ambassades.
Aujourd’hui, il y a des considérations d’ordre économique. Israël est un pays où la technologie est très en avance. 60% de nos exportations concernent la haute technologie. Nous ne pouvons pas fermer un consulat à Shanghai pour ouvrir un autre dans je ne sais quel autre pays. La majorité des ambassades à Dakar sont régionales. La Guinée Bissau est le seul pays africain où les Etats-Unis n’ont pas d’ambassade et c’est celle de Dakar qui sert en même temps pour Bissau. L’ambassadrice d’Autriche à Dakar est responsable de relations avec 9 pays. Dans le futur, nous allons ouvrir beaucoup d’ambassades en Afrique. Par contre, je ne suis pas l’ambassadeur du Mali car officiellement, nous n’entretenons pas de relations. Mais par exemple, nos services à Dakar sont responsables des chrétiens maliens.
Est-ce qu’il n’y a pas aussi des considérations sécuritaires ?
Non. Il s’agit d’une problématique économique. Israël est relativement un petit pays. Nous sommes un peu plus de huit millions d’habitants pour 110 ambassades et consulats. Le Sénégal fait presque 14 millions pour une trentaine d’ambassades. Mais la question est : pourquoi le Sénégal n’a pas d’ambassade en Israël ? Vous manquez une opportunité. Les hommes d’affaires israéliens ont besoin de débouchés car huit millions de personnes, ce n’est pas un grand marché. Les Israéliens sont obligés de faire des affaires avec le reste du monde. Huit millions, c’est une ville ; il y en a plus à Londres, Tokyo, au Caire, et dans une cinquantaine de villes dans le monde. Il n’y a pas d’ambassade sénégalaise en Israël qui fait la promotion du Sénégal. La Tanzanie en dispose une il y a moins de deux mois ainsi que le Rwanda et la Zambie. Vous devez y avoir quelqu’un qui noue des contacts avec les hommes d’affaires, les investisseurs, les journalistes israéliens, exactement de la même manière que je cherche à dénicher des affaires pour des hommes d’affaires israéliens. Le rôle de l’ambassadeur d’aujourd’hui n’est pas seulement de prendre du café avec le ministre des Affaires étrangères. Nous avons des commerces, des relations, des investissements mais pas assez.
Qu’est-ce qui caractérise les relations entre Israël et le Sénégal ?
Je sais que l’Afrique n’est pas un pays comme le pensent certains. Il y a quelques raisons économiques et sécuritaires qui font que nous voulons accroître nos relations avec les pays africains. Après le printemps arabe et la guerre en Libye, beaucoup d’armes issues de ce chaos ont atterri à Gaza. C’est en arrivant ici que j’ai compris que si la moitié des armes est là-bas, l’autre moitié est ici. La clé, c’est l’Afrique de l’Ouest, peut-être pas le Sénégal. Nous avons boko haram, les attaques terroristes à Ouaga et Grand-Bassam. Quand je parle aux acteurs du secteur privé en Israël, la majorité me dit que le seul îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, c’est le Sénégal.
Du Maghreb au Moyen-Orient en passant par le Pakistan, la stabilité n’est pas le maître-mot. Je ne sais pas dans votre entendement, mais je dirais que le Sénégal et Israël sont parmi les pays les plus stables au monde. C’est critique mais nous devons voir comment exporter notre stabilité au lieu d’importer l’instabilité. Entre nos deux pays, il y a des différences mais beaucoup plus de similitudes. Nous avons effectivement un projet très impressionnant dans le secteur du développement durable. Nous sommes en instance d’établir 4 000 fermes familiales, en dispensant la formation qui va avec, pour des changements fondamentaux dans le secteur agricole au Sénégal. L’économie est la base nouvelle sur laquelle nous devons asseoir notre relation. En sport, quelqu’un doit forcément perdre alors que dans les relations économiques, chaque partie y trouve son compte.
Quel est le niveau d’exécution de ce projet de 4 000 fermes familiales?
C’est un partenariat entre le Sénégal, l’Italie et Israël. Si ça ne dépendait que de nous, nous aurions réalisé le projet il y a quelques semaines. Nous avons deux appels d’offres dont chacun est international. Il y a une procédure très lente à mon avis. Mais en attendant, nous avons déjà complété, il y a deux mois, la formation de plus de 1 200 personnes à Bambey. Aujourd’hui, nous avons des fermes de 350 mètres carrés qui produisent suffisamment. Ce que nous voulons, c’est disposer de celles de 1 000 mètres carrés. De cette manière, les gens vont produire et manger entre 15 et 20% de leur production. Le reste pourra être vendu. Mais nous devons apprendre aussi à manier le packaging, la publicité, la distribution. Ce n’est pas seulement une question agricole mais de business. Il y a des progrès mais pas suffisamment à cause de la lenteur. Je reste optimiste toutefois.
Quelle sera votre contribution dans l’atteinte des objectifs agricoles, notamment l’autosuffisance en riz ?
Il n’y a pas un exemple où l’on a réussi la culture du riz avec le ‘‘goutte-à-goutte’’. C’est une culture qui utilise beaucoup d’eau. Dans le monde, seul un projet commercial de ce type existe et c’est celui de la ferme de Richard-Toll avec la canne à sucre. Nous venons avec le savoir, la technologie, et l’intérêt d’établir un partenariat. Au Sénégal, il est possible d’avoir la sécurité alimentaire. Si c’est possible avec le sucre, ça l’est pour les légumes. Les possibilités d’exportations en Israël sont énormes. Depuis trois ans, il y a un Israélien qui exporte des poissons à partir d’ici, trois à quatre tonnes par semaine. La pêche ici, c’est mieux qu’en Israël. C’est dommage que quelqu’un n’ait pas commencé ça 10 ans plus tôt. Israël est le seul pays au monde où le désert recule. Nous avons planté plus de 250 millions d’arbres. Chaque jour, plus de deux milliards dans le monde mangent des fruits produits avec la technologie israélienne. Ça, nous savons faire. Il y a beaucoup d’autres secteurs dans lesquels nous excellons, mais l’agriculture, c’est notre point fort.
Un homme d’affaires israélien, Benny Steinmann, a été accusé de conspirer avec une partie de l’opposition guinéenne contre Alpha Condé. Que devient cette affaire ?
Je n’ai pas encore effectué ma première visite en Guinée car nous avons rétabli nos relations il y a tout juste quatre semaines. Cette affaire Benny Steinmann est largement connue et commentée dans les milieux économiques en Israël. C’est un homme d’affaires, c’est un privé. Il a reçu la concession pour l’acier en Guinée du gouvernement précédant celui d’Alpha Condé. Ce dernier l’a révoquée. Je n’en sais pas plus. Le Directeur général du ministère des Affaires étrangères d'Israël a visité Conakry lundi dernier et a rencontré le Président Condé. Il faut faire la différence entre les relations entre deux pays et les affaires privées entre hommes d’affaires. En tant qu’ambassadeur, ma responsabilité s’arrête à mettre en rapport deux parties qui veulent faire des affaires.