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Cheikh Bamba Dièye (Fsd:Bj): ‘’La mise en place du Hcct est de l’escroquerie politique’’
Publié le samedi 13 aout 2016  |  Enquête Plus
Le
© Autre presse par DR
Le ministre de la Communication et de l’Economie numérique, Cheikh Bamba Dièye




A l’image de ses camarades de l’opposition, Cheikh Bamba Dièye est d’avis que les acteurs politiques ont le droit de se retrouver pour discuter de la refonte du fichier électoral. Aussi dans cet entretien accordé à EnQuête, le leader du FSD/BJ n’a pas manqué de dire toute son opposition à la mise en place du Haut conseil des collectivités territoriales. Car pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que ‘’de l’escroquerie politique’’.

L’opposition conteste aujourd’hui les dispositions de la refonte du fichier électoral, elle avait même prévu de se réunir hier (lundi) devant l’Assemblée nationale. Comment appréciez-vous cette situation ?

L’opposition est dans son droit. Il faut que le peuple sénégalais sache que pour qu’il puisse demain décider de celui qui est le mieux habilité à conduire le destin de ce pays, la compétition doit être régulière et transparente. Le contraire voudrait dire avoir un faux candidat et voir le plus mauvais d’entre nous arriver au pouvoir pour des conséquences qui sont encore préjudiciables à l’Etat du Sénégal. L’organisation du système électoral ne peut pas déterminer qui sera le vainqueur mais créer juste les conditions d’une compétition normale et équitable. C’est le minimum que nous acteurs politiques devons au peuple sénégalais. Le refuser voudrait dire simplement qu’on n’est pas dans la dynamique du développement mais dans un système politique passéiste qui veut reproduire les mêmes mécanismes du système colonial unitaire, sans âme. Nous sommes indépendants depuis 56 ans mais la dynamique de la gestion des affaires publiques doit changer radicalement.

L’on s’achemine vers les élections des Hauts conseillers des collectivités territoriales, est-ce que votre parti y prendra part ?

Non ! La mise en place de ce Conseil est de l’escroquerie politique. Cela prouve que le président de la République n’a pas accepté son martyr. Il est ‘’jeune’’, élu par des jeunes majoritairement. Nous pensons qu’il devrait avoir le souci de travailler pour ceux de sa génération, de traduire, dans les faits, la grande réclamation du peuple sénégalais. Je crois qu’il a été plus élu pour asseoir la transparence, la bonne gouvernance que pour des infrastructures même si ces dernières sont plus que souhaitables pour le pays. Si son mandat s’était limité à faire en sorte qu’il n’y ait plus jamais de transhumance, que la reddition des comptes puisse être une réalité, il aurait rendu d’immenses services à ce pays. Il aurait même ‘’sauver le Sénégal’’ parce qu’il aurait permis, pour les générations à venir, de construire sur du solide. Maintenant, son action a plutôt contribué à faire pourrir la stabilité sur laquelle l’Etat du Sénégal s’était appuyé.

Donc vous jugez cette institution inutile ?

Mais absolument ! En réalité, je ne peux pas comprendre deux vérités : une valable pour Abdoulaye Wade et cette même vérité pas valable pour le régime du Président Macky Sall. Tous ceux qui sont aujourd’hui aux côtés du président Sall décriaient, du temps d’Abdoulaye Wade, les institutions budgétivores, les institutions inutiles, le CENA. Cette même réplique, cette même rengaine, doit être valable aujourd’hui. Plus valable encore que maintenant, Macky et ses amis ont les rênes du pouvoir et ils ont la possibilité de nous épargner de l’éparpillement de nos ressources. C’est cela qui fait mal, qui crée le désespoir. Il sape la confiance que les Sénégalais ont vis-à-vis des acteurs politiques.

Le président de la République vient de boucler les Conseils des ministres délocalisé. Quel commentaire vous inspire cette innovation qui consiste à déplacer le gouvernement dans les régions ?

Cette initiative a commencé au Sénégal quand j’étais ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales. J’ai été la personne qui a initié les premiers éléments ; à l’époque, je dois dire que l’idée de fond était très juste. On voulait avoir la possibilité de rapprocher l’Etat central du citoyen. Faire en sorte que le citoyen puisse se sentir impliqué dans l’action publique. Du point de vue théorique, je peux dire que c’était une excellente initiative.

J’ai entendu le président de la République annoncer qu’ils sont à plus de 50% des réalisations et pour des régions comme Saint-Louis qui a été la première zone ciblée, ils sont à 112%. Lorsqu’on propose plus de 300 milliards à une zone et qu’on dise qu’on est à 112% de réalisation, cela signifie qu’on est au-delà des 300 milliards. Mais interrogez toutes les populations de cette zone, elles ne verront nulle part une infrastructure qui a la valeur de 10 milliards. Et c’est ce qui pose problème dans ce pays. Actuellement, le Conseil des ministres délocalisé est devenu une grande fête folklorique au cours de laquelle on rivalise de démagogie en chantant le nombre de milliards qu’on alloue à un territoire. Dans le fond, on se rend compte que pas grand-chose n’a été fait pour les territoires.

L’Etat a annoncé un taux de 55% de réalisation des projets annoncés dans les régions. N’est-ce pas quelque chose qui montre la pertinence de cette initiative d’autant plus qu’il rassure sur la disponibilité des ressources financières?

A ce niveau, il faut éviter de confondre l’inscription budgétaire et les réalisations. L’Etat a cette forme de machiavélisme dans son fonctionnement. De l’argent qu’on nous dit disponible et qu’on ne voit pas sur le terrain, cet argent-là n’est disponible pour personne. Il faut éviter de confondre l’intention de faire avec la réalité sur le terrain.

Vous étiez parmi les alliés de Macky Sall en 2012, le slogan de votre coalition était une gestion sobre et vertueuse ; sous ce rapport, comment appréciez-vous le départ de Nafi Ngom Keita de la tête de l’Ofnac ?

C’est un coup de massue qui vient d’être porté à la gestion sobre et vertueuse, c’est l’acte de décès de ce slogan. A l’époque, quand cette structure a été mise sur pied, le président de la République avait l’habitude de dire aux Sénégalais de se tranquilliser parce que l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) est là. Et que cette institution ne faisait pas de différence entre les anciens au pouvoir, les nouveaux et toutes les générations à venir. Aujourd’hui, le fait de précipiter le départ de Nafi Ngom Keita est le signe le plus évident que dans la traque des biens mal acquis, il y a certains qui sont des cibles particulières et d’autres que l’on ne doit absolument pas toucher car ils sont dans des zones de non-droit. Si on a engagé ce combat de 2012, c’est pour plus de droit, plus de liberté, plus de transparence, plus d’équité… Aujourd’hui qu’on est descendu aussi bas, on peut se demander quel a été le sens du combat de 2012.

Quel commentaire vous inspire l’attitude de Nafi Ngom Keita qui a déposé un recours devant la Cour suprême pour dire qu’elle n’est pas en fin de mandat ?

Elle prouve qu’elle est non seulement une personne de qualité mais également qu’elle assure sa posture. Et qu’au-delà de ce qu’elle engage comme procédure vis-à-vis de l’Etat devant la justice, elle prouve que le citoyen n’est pas totalement démuni par rapport à l’abus de pouvoir venant de toute autre autorité y compris le chef de l’Etat. Nafi Ngom Keita est en train de poser des jalons qui seront extrêmement importants. C’est le contraire qui aurait été bizarre ; le président de la République l’a certes nommée mais il n’organise pas le fonctionnement de l’Ofnac.

Le Fsd/Bj fait partie des formations politiques qui ont pris part au dialogue national, que retenez-vous de ces concertations ?

Le dialogue national est une belle initiative si cela produit les effets escomptés. Car un Etat qui constate qu’il est dans l’impasse, qui décide d’appeler l’ensemble des secteurs, on ne peut qu’applaudir et répondre présent quelles que soient ses intentions. Un politicien spécialiste des stratégies électoralistes a toujours un calcul politicien derrière. Si le président de la République appelle à un dialogue et qu’on a des choses à dire, il faut saisir l’occasion de lui parler en face. Ceci afin de lui rappeler que ce pays ne lui appartient pas, pour lui dire qu’il a la responsabilité de conduire la politique de la nation mais qu’ensuite, il a devant lui des personnes aussi averties et impliquées dans le devenir de leurs pays. On peut en profiter pour mettre à nu des zones d’ombre comme le déficit chronique sur notre système politique, notre système électoral, les choix de développement pour que les Sénégalais puissent savoir que dans ce pays, il existe des hommes et des femmes crédibles capables de prendre en charge leur destinée.

Comment avez-vous apprécié la participation de l’opposition à cette rencontre ?

Je crois qu’elle a été de qualité et c’était l’occasion pour nous de revenir sur les éléments réels. Les Sénégalais ont observé le traitement que les médias ont réservé à l’opposition durant le référendum. Pensez-vous que dans une démocratie comme la nôtre un tel déséquilibre est acceptable ? C’était l’occasion de rappeler au chef de l’Etat que les biens de la République sont un patrimoine national et pour qu’on puisse parler de démocratie, il faut qu’il y ait l’équité. Ce n’est pas un combat de partis politiques mais celui des citoyens car l’élection n’appartient pas aux politiciens. Le dialogue nous a aussi permis de revenir sur l’utilisation des ressources pétrolières et gazières de notre pays Ce pétrole-là s’est sédimenté sur des millions d’années, il est hors de question que nous puissions tous regarder et observer qu’une minorité se l’approprie pendant que les 14 millions de Sénégalais restent là, les bras croisés. Cela a causé la perte de plusieurs nations, le pétrole a été source de patrimonialisation, de corruption ou de déstabilisation.

Avec les retrouvailles annoncées de la famille libérale, le Front de l’opposition s’est effrité ces derniers temps. Comment appréhendez-vous la suite d’autant qu’on s’achemine vers les législatives ?

Je suis serein. Je crois que ce qui milite pour l’opposition, c’est la mauvaise politique issue de la stratégie électoraliste du président de la République. L’opposition et le pouvoir sont des systèmes de vases communicants. Vous aurez beau arracher 10 000 partis à l’opposition, la société elle-même va en sécréter. Cette nouvelle opposition sera plus jeune, plus dynamique, plus honnête et sur laquelle vous n’aurez aucun pouvoir de contrainte. En réalité, vous ne pouvez strictement rien faire pour déstabiliser votre opposition. Sa force, c’est le rejet que les Sénégalais ont vis-à-vis du système politique dans lequel ils ont été maintenus depuis plus de quatre années. Il n’y aura aucun effet si un jour un parti décide de rejoindre la mouvance présidentielle, ce qui n’est pas encore le cas du Pds mais l’avenir nous dira.

Pensez-vous qu’il y a réellement un deal dans la libération de Karim Wade ?

Je ne suis pas dans le secret de Dieu pour le dire. Mais le président de la République a la liberté de gracier un Sénégalais qui a été jugé, condamné et qui a purgé toute ou une partie de sa peine. Là où il y a problème, c’est l’environnement dans lequel cela s’est passé. On a plus l’impression que c’est un enterrement solennel de la traque des biens mal acquis et qu’en réalité, tout ce qu’on nous a promis et tout ce pourquoi on s’est battu, tout ce pourquoi on a critiqué Me Abdoulaye Wade, est jeté à la poubelle.

De ce point de vue, ça laisse beaucoup de traces dans l’esprit et la manière d’être au Sénégal. On a plus l’impression qu’en réalité, on a plutôt consolidé un ordre très ancien qui fait que celui qui est au pouvoir oublie. Il n’a aucun souci du citoyen, de l’éducation ou de comment ses actes peuvent influencer le citoyen lambda. Il est simplement dans sa bulle, celui de chercher mordicus et par tous les moyens les artifices pour pouvoir rester et perdurer le plus longtemps possible. C’est quelque part comme si les personnes qui ont été tuées, les gens qui ont été maltraités, les jeunes qui ont été souvent violentés, cette souffrance pour un mieux être partagé, tout cela est aujourd’hui devenu obsolète et ignoré. C’est ça le plus grand tort qu’on ait fait au peuple sénégalais.
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