En engageant un bras de fer avec le Secrétaire général du Parti socialiste, Khalifa Sall ne cherche ni plus ni moins que de casser le mythe que représente Ousmane Tanor Dieng. Et se positionner comme la seule alternative crédible en perspective de la présidentielle de 2019. C’est en substance l’analyse que Papa Fara Diallo fait de la situation au sein du PS. Entretien.
Quelle appréciation faites-vous de la situation au sein du Parti socialiste ?
La situation au sein du Parti socialiste (PS) me paraît assez atypique. Le parti a connu, par le passé, des dissensions, des querelles de leadership, des stratégies de positionnement comme il est de bon ton dans les formations politiques au Sénégal. Seulement, le PS a toujours su gérer ses problèmes internes, quasi-consubstantiels à sa trajectoire sinueuse de parti de gouvernement. Toutefois, le climat de défiance et de remise en cause de l'ordre ‘’tanorien’’ n'a jamais été aussi prégnant et assumé qu'aujourd'hui. Le vote clivé du référendum du 20 mars dernier est passé par là. Mais les velléités de défiance à l'égard du Secrétaire général couvaient depuis la deuxième campagne présidentielle perdue par ce dernier.
Alors que le Bureau politique a réitéré ce week-end sa fidélité et sa confiance en son Secrétaire général Ousmane Tanor Dieng, les pro-Khalifa Sall continuent à se singulariser à travers des manifestations comme celle qu’ils ont organisée samedi dernier. Est-ce que cela ne traduit pas un malaise au sein du parti socialiste ?
Le malaise est réel au Parti socialiste. Il est clair qu'il y a maldonne. Le parti a certes connu des dissidences. L'unanimité n'existe pas. Elle n'est même pas souhaitable dans une formation partisane où on encourage la démocratie interne. D'anciens responsables et pas des moindres comme Moustapha Niasse, Djibo Kâ, Mamadou Diop, Souty Touré, entre autres, ont eu à contester le leadership du Secrétaire général Ousmane Tanor Dieng. Mais ces ex-barons socialistes ont souvent et assez vite préféré sortir des rangs du parti pour jauger leur popularité, en créant leurs propres formations.
Tel n'est pas le cas aujourd'hui avec les responsables qui revendiquent leur sympathie à Khalifa Sall. Les pro-Khalifa n'entendent pas, pour le moment, quitter le PS. Ils se singularisent de plus en plus par des actes de défiance à l'égard du Secrétaire général du parti. La manifestation de samedi dernier, coïncidant avec la réunion du Bureau politique, est d’ailleurs la dernière en date. Ils entendent mener le combat de la légitimité au sein du parti. Ce qui est fondamentalement nouveau dans la situation qui prévaut au sein du PS, c'est que les actes de défiance sont assumés et revendiqués.
Comment analysez-vous la posture de Khalifa Sall ?
La posture de Khalifa Sall est quelque peu ambiguë. Le maire de Dakar semble s'engluer dans un silence assourdissant en ce qui concerne ses prétentions à diriger le parti et les ambitions présidentielles qu'on lui prête. Sur le premier point, la mairesse socialiste de Podor, Aïssata Tall Sall, assume plus clairement sa volonté de disputer le leadership du parti à Ousmane Tanor Dieng; elle qui, lors du dernier congrès ordinaire du PS en juin 2014, avait légitimement présenté sa candidature au poste de SG. Cet acte de défiance clairement assumé lui avait valu des critiques les plus acerbes venant des inconditionnels de l'inamovible Tanor.
S'agissant du second point, Aïssata Sall comme Khalifa Sall sont deux leaders qui peuvent valablement et légitimement incarner l'avenir du parti. Mais ils ne veulent pas pour le moment assumer ouvertement leurs ambitions présidentielles. Et cela peut se comprendre avec du recul. Le simple fait de déclarer sa candidature pour la prochaine présidentielle, comme certains leaders de l'opposition tels que Abdoul Mbaye et Malick Gakou l'ont fait, risque de les voir s'attirer les foudres des laudateurs et autres chiens de garde apéristes, alors qu'on est à deux ans et demi de la présidentielle de 2019. Le maire socialiste, Khalifa Sall, potentiel présidentiable, semble opter pour une communication par les actes qu'il pose au niveau de la ville de Dakar.
Le maire de Dakar n’est-il pas aujourd’hui dans une dynamique de créer la dissidence en faisant cavalier seul aux prochaines joutes électorales de 2017 et de 2019 ?
Je ne pense pas que Khalifa Sall veuille créer la dissidence pour faire cavalier seul aux prochaines élections. Il a encore besoin des soutiens populaires des militants et sympathisants socialistes, de s'appuyer sur la machine électorale du PS pour renflouer son potentiel de légitimation et se poser en alternative crédible face au régime du Président Macky Sall. Il pense pouvoir créer un rapport de forces au sein du parti afin de casser le mythe du premier secrétaire Ousmane Tanor Dieng et de se présenter comme la seule alternative crédible pour donner un souffle nouveau au PS; comme du reste Aïssata Tall Sall avait tenté de procéder en 2014. Il serait risqué, à mon avis, à quelques encablures des législatives, de faire dissidence au PS et de créer une nouvelle formation partisane. Ni Khalifa Sall, ni Aïssata Tall Sall d'ailleurs ne semblent s'inscrire, à l'heure actuelle, dans une logique de diffraction du parti senghorien.
En termes de gain politique, que peut-il espérer ?
Comme je l’ai dit tantôt, en créant un rapport de forces au sein du parti à travers la multiplication des actes de défiance, Khalifa Sall veut casser le mythe du leader incontestable que représente Tanor. Ainsi, étant le seul responsable à avoir réussi à secouer le baobab, il se présentera, aux yeux de l'opinion et surtout des vrais militants socialistes, comme la seule alternative pour diriger le PS. Ce qui pourrait lui ouvrir un boulevard pour la prochaine présidentielle. Mais c'est sans compter avec la résistance de Tanor qui semble aujourd'hui plus que jamais maîtriser les réseaux clientélistes du parti. Il a encore ses entrées solides au palais de la République, il est fortement pressenti à la tête du Haut conseil des collectivités territoriales et il contrôle près d'une quinzaine de députés socialistes. Mais nul n'est éternel. Jusqu'à quand continuera-t-il à résister au changement?
Quel risque encourt Khalifa Sall en engageant ce bras de fer avec la direction du parti socialiste ?
Comme tous les responsables des formations partisanes sénégalaises qui tentent, ou qui ont tenté de contester le leadership du tout puissant SG du parti, lui et ses soutiens risquent la marginalisation, l'intimidation ou la diabolisation. L'exclusion étant peu envisageable en ce qui concerne le maire de Dakar, du fait notamment de son poids politique et de ce qu'il représente au sein du PS. L'exclusion occasionnerait une saignée irréversible pour le parti. Je ne pense pas que le Bureau politique envisage une telle éventualité.
Ses lieutenants dont Bamba Fall, Barthélémy Dias, Idrissa Diallo l’investissent souvent candidat à la prochaine présidentielle à chaque fois que l’occasion se présente. Mais Khalifa Sall a toujours maintenu le flou à ce propos. Qu’est-ce qui, selon vous, justifie cette prudence ?
Cette prudence, qui est souvent interprétée comme une indécision pouvant même agacer certains de ses inconditionnels, n'est que pur calcul stratégique. En différant régulièrement l'éventualité de sa candidature à la présidentielle, il cherche à éviter autant que possible les foudres de la majorité, qui n'hésiterait pas à activer les leviers de la justice par exemple, pour enjoindre certains ego à se tenir à carreau ou intimider certains adversaires jugés trop sérieux pour corser l'enjeu de l'élection présidentielle de 2019. Les démêlés de l'ancien Premier ministre Abdoul Mbaye avec la justice, qui fait l'actualité, pourraient constituer une hypothèse intéressante dans ce sens. N'en serait-il pas autrement s'il n'avait pas fait acte de candidature ?
Au rythme où vont les choses, pensez-vous que le PS puisse sortir indemne de cette situation ?
Le PS demeure un grand parti, bien structuré avec des ramifications assez solides au niveau national. L'avenir nous dira si la formation socialiste sortira indemne de cette situation de contestation affirmée et de défiance assumée à l'égard du Secrétaire général Ousmane Tanor Dieng. Dans tous les cas, il est plus que jamais impérieux que la direction actuelle du PS prenne au sérieux cette nouvelle donne qui couvait déjà depuis la défaite électorale de 2012, et qui semble s'accentuer après les évènements du 05 mars dernier à la Maison du parti.
Le PS n’est-il pas en train d’aller tout droit vers une scission ?
Je ne le pense pas. Les leaders qui sont à l'origine de ces actes de défiance, Aïssata Tall Sall d'abord, Khalifa Sall ensuite et ses lieutenants me semblent être des militants socialistes convaincus, moulés et abreuvés à la sève du modèle socialiste que Senghor a légué à Abdou Diouf. Je ne les vois pas quitter le parti sur un coup de tête. À moins que la direction actuelle du parti leur facilite la tâche, notamment en s'emmurant dans ses certitudes ou en réprimant de manière disproportionnée l'expression de ces contradictions politiques internes.
Et l’avenir du PS dans tout cela, comment l’appréhendez-vous ?
Les perspectives pour le PS ne sont pas si sombres. Elles peuvent même être prometteuses si et seulement si le parti assume avec fierté et sérénité son héritage historique de parti de gouvernement. Le PS devrait se repositionner fièrement comme force motrice de l'opposition afin de préparer en toute responsabilité la reconquête du pouvoir. Son avenir politique n'est pas, à mon avis, dans la coalition gouvernementale Benno bokk yaakaar. La gestion d'intérêts stratégiques conjoncturels ne saurait étouffer ni compromettre les aspirations légitimes de certains responsables socialistes.
Il lui est souvent reproché à Ousmane Tanor Dieng de ne pas travailler pour l’intérêt du PS, est-ce que cela se voit sur les actes qu’il pose ?
Ousmane Tanor Dieng a su manager le Parti socialiste à un moment crucial de l'histoire de cette formation politique. Il a su maintenir intacte la flamme socialiste après la perte du pouvoir en 2000, pendant que d'autres responsables socialistes étaient de l'autre côté. L'alliance avec la majorité présidentielle, qu'il avait bien négociée après la présidentielle de 2012, a été une stratégie payante. Car cela a permis au parti de se redonner une santé financière et de responsabiliser certains secrétaires généraux de coordination devenus députés, maires ou PCA. Mais quand ce soutien au régime du Président Macky Sall perdure et devient de plus en plus systématique, il est tout à fait normal que des responsables demandent à ce que ce compagnonnage soit évalué. Aussi, après deux défaites électorales : 2007 et 2012, le parti devrait légitimement songer à rafraîchir son leadership.
En attendant que la base soit consultée, le Bureau politique du PS s’est dit favorable à faire liste commune avec BBY aux prochaines législatives. Est-ce dans l’intérêt du PS d’aller avec BBY à ces élections ?
Je crois que la situation est telle aujourd’hui, au Parti socialiste, que le compagnonnage avec BBY aux prochaines législatives me semble inévitable. Mais rien ne garantit que le parti en sorte renforcé.
Au même moment, les pro-Khalifa Sall pensent que le PS devra aller seul aux législatives.
Le PS ne peut pas aller seul aux législatives dans la division. L'idéal serait que la direction revoie sa position et prête une oreille attentive aux dissidents, qui ont une autre vision de ce que doit être l'avenir du PS. C'est seulement en harmonisant les positions antagonistes, mais pas forcément irréductibles, que le PS pourra envisager sereinement d'aller seul aux législatives de 2017.
Récemment, le maire de la Médina a annoncé une coalition qui est en gestation pour aller aux législatives. Que peuvent-ils espérer ?
Je crois que c'est une stratégie qui vise à inviter la direction du parti à reconsidérer sa position. Mais, d'un autre côté, c'est une déclaration qu'il faudrait probablement prendre au sérieux, tant les accointances entre Khalifa Sall et Aïssata Tall Sall semblent de plus en plus se confirmer. Et ce ticket peut être gagnant.