L’écologiste et ancien ministre de l’Environnement, Ali El Aïdar qui passe désormais le plus gros de son temps en terre casamançaise, revient, dans cet entretien, sur le trafic de bois dans la région méridionale du pays. Interrogé avant-hier, mardi 2 août, quelques heures seulement après son retour sur Dakar, il a indiqué qu’après l’annonce des mesures prises par le gouvernement pour lutter contre ce trafic illicite, la Gambie a décidé de tenir tête au Sénégal en mettant sous haute surveillance les dépôts du bois pris en zone sénégalaise. Mieux, a-t-il ajouté, seul une présence permanente sur le terrain et la pénalisation de la coupe illicite de bois peuvent mettre fin à l’action des braconniers. Ali El Haïdar s’est aussi attaqué au ministre de l’Environnement et du Développement durable. Son investissement dans la lutte contre ce trafic traduit son souhait d’avoir une meilleure gestion des ressources naturelles, a-t-il dit. Toutefois, à ceux qui trouvent dans son engagement une manière de revenir aux affaires, il rétorque que ses ambitions dépassent un retour au ministère de l’Environnement et du Développement durable, poste qu’il a occupé dans le premier gouvernement du Président Macky Sall.
Quelle lecture faites-vous des nouvelles mesures prises par les autorités étatiques pour lutter contre la coupe abusive de bois en Casamance ?
J’ai salué, avec beaucoup d’espoir, les mesures prises par le président de la République quand il a envoyé, le ministre des Forces armées, celui de l’Intérieur et de la Sécurité publique et le ministre de l’Environnement et du Développement durable pour répondre à ce fléau catastrophique. En tant qu’écologiste, j’étais très content d’avoir constaté que le président de la République a réagi fermement.
Maintenant, je viens du terrain, j’étais dans le Médina Yoro Foula, la semaine dernière, les dépôts de bois gambiens où il n’y a que du bois trafiqué, volé de notre pays, sont hautement surveillés par l’armée gambienne. Et, nous, les défenseurs de l’environnement, nous sommes pourchassés et poursuivis. Les dépôts se retrouvent dans un pays étranger, mais le bois est sénégalais. Les mesures d’opération coup de point ne s’auraient suffire. Il faut une présence constante sur le terrain. Il faut installer la terreur dans le camp des trafiquants. Parce qu’actuellement, la terreur est dans le camp des gens qui veulent protéger la ressource. C’est eux qui sont terrorisés. Les trafiquants sont nombreux, surarmés et soutenus par l’armée gambienne qui protège cette manne qui ne profite qu’à une élite gambienne. Le trafic rapporte 140 milliards de f Cfa à la Gambie. Et ces chiffres sont de la douane chinoise. Et le bois de vène en question vient du Sénégal. Je suis content des mesures qui ont été prises, mais elles ne sont pas suffisantes.
Où se trouvent ces dépôts de bois ?
Les dépôts les plus éloignés sont à 2 kilomètres à l’intérieur de la Gambie. Les plus proches sont à 400 mètres. Donc, vous avez la frontière sénégalaise et, à 400 mètres à l’intérieur de la Gambie, vous avez des dépôts de bois qui viennent du Sénégal et qui sont surveillés par l’armée gambienne.
Alors, à votre avis, que faut-il faire ?
Il faut rendre pénal le fait d’attraper un trafiquant de quelque bord que ce soit pour l’environnement. C’est cette absence de sanctions pénales qui a amené les exploitants chinois en Gambie. C’est parce qu’en Chine, on a rendu pénal, le fait d’agresser l’environnement, alors ils sont venus en Afrique. Ils disent qu’ici, c’est tellement facile de corrompre l’autorité. C’est tellement facile de tromper les gens. Ils se sont installés en masse et ils exportent 120.000 m3 de bois. Si une nation, comme le Sénégal qui était, à 2010 à 40.000 hectares de forêts dans la Casamance, à la frontière gambienne, entre 2010 et 2015 perds 10.000 hectares de forêts qui sont pillés, volés et trafiqués via la Gambie pour aller en Chine, cela ne profite pas à notre économie. Mieux, il installe tranquillement le désert.
Donc, il faut rendre pénal le fait de trafiquer le bois. Il faut faire comme le maire de Djalembéré. Il a fait un délibéré pour installer une brigade verte dans sa commune. Chaque village a une brigade verte qui lutte contre le trafic de bois. La gestion des ressources naturelles est une compétence transférée aux collectivités locales. Donc, ce sont les maires qui ont en charge la gestion de leurs ressources naturelles. Il revient aux maires de prendre leurs responsabilités. Enfin, quand on a 200 ou 500 agents et qu’on les amène à 1000 et que malgré tout le trafic perdure, c’est parce qu’il est permis.
Si vous allez dans le Boukiling, il y’a une dizaine de dépôts qui sont signalés où il y’a du bois qui appartient à des exploitants qui ont des permis de coupe. Ils ont des permis pour le bois de chauffe. Mais, ils coupent du bois de grume. Tous les camions qui transportent du bois de chauffe ont à l’intérieur du bois de grume qui est interdit de coupe. C’est tout ça qu’il faut prendre en charge et arrêter la corruption au niveau des agents des eaux et forêts. Et, pour arrêter ce trafic, il faut être intransigeant sur les lois. Quand on arrête un trafiquant de bois ou de charbon, qui pille les forêts, au lieu de payer une simple amende, il faut qu’il soit emprisonné. Il faut aussi une présence permanente sur le terrain. Par ailleurs, il faut planter. Chaque Sénégalais doit éprouver le besoin de planter un arbre. Si on plante une cinquantaine de caïcedrat ou une centaine de cocotier pour un nouveau né, il aura 10.000.000 de F Cfa entre ses mains à l’âge adulte.
Vous venez de la Casamance. Un de vos constats est que les dépôts de bois sont surveillés par l’armée gambienne. Qu’est-ce qu’on peut retenir d’autres ?
Honnêtement, le trafic a diminué. Mais, il est encore présent. Je ne peux pas concevoir qu’un gouvernement se permette de prendre des vacances dans ces conditions. Là-bas, les trafiquants ne prennent pas de vacances. En tout cas, les ministres en charge de cette question primordiale, il est hors de question qu’ils prennent des vacances tant que ce problème n’est pas réglé.
On a annoncé des patrouilles militaires dans la zone. Est-ce que cela existe toujours ?
Oui, les militaires sont présents dans la zone et il faut le saluer. Maintenant, il faut aussi revenir sur le bois saisi parce que, très souvent, le bois saisi est vendu au gré à gré et profite encore aux agents des Eaux et forêts.
Pour vous, il y’a des agents des Eaux et forêts qui sont complices des braconniers ?
Des agents des Eaux et forêts sont de connivence avec les trafiquants. Si, de temps à temps, les agents des Eaux et forêt arrêtent des trafiquants, on peut dire qu’ils font leur travail. Mais, le problème est que le trafic de bois est présent partout en Casamance. Donc, ça ne peut se faire qu’avec la complicité de certains agents des Eaux et forêts qui sont corrompus. Sinon, ce n’est pas possible.
Vous vous investissez trop dans la lutte contre le trafic de bois. N’est-ce pas une façon de reconquérir le poste de ministre de l’Environnement et du Développement durable ?
La plus grande ambition que j’ai, est celle d’un écologiste. Je veux que nos ressources naturelles nourrissent tous les Sénégalais et toute l’Afrique de l’Ouest. La mesure écologique qui fait que la forêt est capitale pour la pluviométrie, l’écosystème, l’élevage et l’agriculture, tout cela font que, bien sûr, j’ai une très grande ambition. Aux élections législatives, nous allons avoir des députés qui vont se battre pour aller à l’Assemblée nationale. Pourquoi voulez-vous qu’on laisse libre champ à d’autres gens pour gérer ces questions qui sont primordiales et capitales pour nous. Or, nous pouvons les gérer nous-mêmes.
Donc, votre ambition est de retourner au ministère ?
Je veux remplacer le Président Macky Sall, si je le peux.
Les brigades des Eaux et forêts manquent de moyens en Casamance. Est-il possible de travailler dans ces conditions ?
Quand j’étais ministre, j’ai remarqué que le Centre de suivi écologique (CSE) a un outil très performant pour localiser les feux de brousse. C’est ainsi qu’une fois j’ai appelé un responsable des Eaux et forêt pour lui signaler que la forêt brûlait dans son secteur. J’ai appelé le commandant de zone dont je ne citerai pas le nom, je ne parlerai pas de la zone pour qu’on ne puisse pas l’identifier. Il m’a dit qu’il n’a pas de véhicule ni de carburant. Je lui ai répondu: «vous avez un salaire qui tombe à la fin du mois et une tenue qui fait de vous le commandant des Eaux et forêts de la zone, si vous voulez que ça reste, allez éteindre le feu. Sinon, je vous limoge». Le problème est que dans notre pays, les gens n’ont pas une culture du travail, mais une culture du profit. On n’émergera pas comme ça. Il faut que les gens aient une culture de travail et de rendement. Il faut donner des moyens, mais il faut aussi une volonté politique forte affirmée dans les plus hautes sphères de l’Etat de mettre un terme à cela.
Quelle attitude adopter vis-à-vis de la Gambie qui joue un rôle primordial dans ce trafic ?
Le président de la République avait très bien fait en fermant la frontière avec la Gambie pour la pousser à revenir à de meilleurs sentiments. Il fallait continuer cela jusqu'à régler tous les problèmes. Le trafic nourrit une mafia dirigée par l’Etat gambien. Il faut mettre toutes les questions sur la table et discuter.
La population est très pauvre dans les zones de coupes. En plus de cela, il y a la participation des ressortissants étrangers dans le trafic. Est-il donc facile de lutter contre le phénomène ?
Oui, bien sûr.
Comment ?
J’ai dis, et je le répète, si on me demande, par courrier, de régler le problème et donner carte blanche. Avec trois voitures pick-up, je règle le problème en trois mois. Je vais être sur le terrain en permanence. Je vais courir derrière les trafiquants et les mettre en prison. Il est impératif d’avoir une présence constante sur le terrain. Il faut des gens qui ont envie de résultats pour notre pays, des gens qui dorment et mangent dans la brousse et qui seront capables de faire face à ces trafiquants. On ne peut pas faire le combat en restant à Dakar.