Marseille - Oum El Ghaït Benessahraoui est plus connue sous le nom de scène de Oum. Cette marocaine de 38 ans, mère et artiste de talent, a été l’une des grandes attractions de la dernière édition du Festival Africa Fête à Marseille. Auteure-compositrice-interprète, elle est considérée comme une ambassadrice de la culture marocaine et mêle, dans ses chansons, les influences hassani, jazz, gospel, soul, afrobeat et musique soufie. Lorsque nous la rencontrons dans ses loges peu avant qu’elle ne monte sur scène à l’espace Julien, l’auteur de Lik’ Oum (Ndlr, son premier album sorti en 2009) nous laisse une grande impression : celle d’une femme africaine charismatique et d’un talent à la voix angélique.
Présentez-vous à nos lecteurs et dites-nous quel genre de musique vous faites ?
Je m’appelle Oum, je viens du Maroc et je viens jouer ici à Marseille (Ndlr, l’entretien a eu lieu au dernier festival Africa Fête organisé à Marseille), mon dernier album intitulé Zahra bi, qui veut dire «tapis». C’est un album que nous avons enregistré dans le désert au Sud-Est du Maroc, dans un petit village du nom de Hamid Rigelane en plein air et en live. C’est une musique marocaine contemporaine mais qui porte surtout au niveau des rythmes et des percussions beaucoup de traces et de références à des rythmes traditionnels ou plutôt tribaux de plusieurs endroits du Maroc. Parce que, elle vient de nous qui sommes là aujourd’hui et qui avons traversé avant pas mal de cultures, touchées par plein de musiques différentes. C’est une musique du Maroc certes mais très ouverte sur les musiques d’ailleurs. On a même des Cubains qui jouent dans notre groupe et qui nous ont aussi un peu influencé sur certains morceaux…
Cet album dont vous faites la promotion semble avoir beaucoup d’importance dans votre carrière… ?
C’est un album que j’ai vraiment voulu concevoir dans une démarche très spontanée. Voire un peu naïve ou l’idée n’était pas de faire quelque chose de parfait au niveau du son, quelque chose de très soigné, très nettoyé, très brillant. L’idée était d’aller dans le désert et de se mettre un peu en danger parce que chanter en plein air ce n’est pas évident. On ne sait pas si on aura une petite tempête de sable ou autres. Nous avons aussi enregistré en live (…), ceci nous permet en définitive d‘accepter nos imperfections à l’intérieur. Donc je pense que c’est une idée qui est aussi ouverte à toutes les personnes et qui correspond à un mode de transformation musicale dans nos pays de façon traditionnelle. Dans ce choix, c’est la percussion et la voix qui font la base et non l’inverse. En Occident par exemple, on conçoit d’abord la musique avec des règles d’harmonie etc., et ensuite on vient poser la voix. L’idée aussi c’est de faire quelque chose de participatif et d’accessible à tous parce que c’est comme ça qu’on fait la musique chez nous. Il ne suffit pas d’être un musicien… Tout le monde prend ce qu’il a sous la main et tape. Quelqu’un chante et l’autre répète après lui et puis on danse et voilà on fait de la musique. Ça fait partie du mode de vie et vraiment cela ne relève pas forcément du spectacle du chanteur qui est sur la scène. J’espère qu’avec cela, que ça se ressente sur scène et que les gens puissent partir avec cette mélodie, la chanter avec nous, taper des mains, et que cela soit un moment que l’on passe ensemble.
Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons?
Des thèmes que m’a inspirés le désert au fil des années où j’étais allée le visiter. Je suis marraine d’un festival qui se tient dans le désert et qui met en avant les cultures. Notamment la musique et la poésie, les danses des peuples nomades. Je maîtrise donc toute cette région du Sud du Maroc jusqu’au Niger en passant par le Nord Mali, le Sud de l’Algérie, la Mauritanie, et le désert m’a beaucoup inspirée. La nuit dans le désert, les éléments qui y figurent, la lune, la vulnérabilité des personnes quand on est là, la leçon d’humilité. Je parle aussi d’oubli et de souvenance et j’invite vraiment à partir des petites réalités ; on va dire alternatives, où il fait bon vivre, qui sont faites à base de nos souvenirs et surtout les souvenirs sensoriels. Je fais une musique qui ne me fait pas beaucoup réfléchir...
Que représente pour vous le festival Arica fête?
Je retrouve dans ce festival cette africanité que j’essaie vraiment de revendiquer tout le temps et de faire passer à travers la musique ou dans mon travail mais aussi dans ma vie personnelle. Je pense que être une bonne citoyenne du Maroc c’est d’abord se rappeler qu’on est citoyen africain. Ce qui, je l’avoue n’est pas dans la tête de tout le monde dans le Maghreb. On est un peu entre cette Afrique Sub saharienne ou l’Afrique de l’Ouest et l’Europe avec la Méditerranée et ce zeste d’orient qui nous a traversés. Ce qui fait qu’au niveau de l’identité, je ne sais pas si nous on a choisi de nous définir comme ça ou si ce sont les autres qui nous ont défini comme ça finalement, mais les Maghrébins, on est un peu perçu ici comme un mix. Non pas d’Afrique et d’autre chose mais surtout d’Orient et d’islam. Alors que avant tout, nous sommes d’abord Africains et on est une belle porte de l’Afrique. Voilà pourquoi moi je porte l’Afrique sur ma tête dans mes vêtements aussi, dans les rythmiques, dans les symboles. Il y a des choses aussi que j’intègre dans mes textes et qui sont inspirées de proverbes africains. Cela traduit justement l’importance de savoir d’où on vient et de décider où est-ce qu’on va aller. Oui ! Mon africanité est vraiment primordiale. Je ne le dis pas et je ne le crie pas comme ça à haute voix parce que je pense que les vérités ne doivent pas forcément se dire avec des mots, ce seraient des pléonasmes. Je pense que notre identité on la porte et elle s’exprime au-delà de ce qu’on peut en dire…
Vous vous sentez donc plus Africaine qu’Arabe ?
Tout à fait. Je me sens d’abord africaine ensuite arabe, parce que c’est ma culture aussi. Mais Arabe d’Afrique, ce n’est pas Arabe de l’Orient. C’est vraiment deux choses très différentes. Nous sommes d’un pays qui est le plus à l’Ouest de tous les pays arabes et le plus ouvert sur les autres cultures. Je sais que nous avons vraiment été traversés par pas mal de courants de civilisations, de langues, d’ethnies, mais l’Afrique d’abord. La base, la racine dans laquelle l’on est né, on a nos pieds dedans et tout le reste, c’est l’Afrique. Mais l’Afrique vient de la terre. Donc c’est quelque chose de plus puissant, de plus intense. Je ne dis pas non à l’Orient mais ce n’est juste pas exactement mon identité. Il y a aussi dans mon identité de la méditerranée, il y a aussi le passage de la France même si relativement c’est court dans notre Histoire. Mais tout ceci nous a aussi façonnés d’une certaine manière. Qu’on le veuille ou non, il y a les Portugais qui sont passés, il y a les Phéniciens, donc oui ! Tout ça je pense qu’on le ressent, le manifeste ou non…Je pense qu’on a en nous ce mix de racine. Dernièrement j’ai vu une vidéo très drôle, c‘est dans une université américaine où ils ont travaillé sur un échantillon de personnes qui venaient de partout, de toutes les couleurs, toutes les religions, ils étaient une quinzaine et on leur a demandé un échantillon d’Adn et on est un peu allé chercher leurs origines et placer ça sur la carte du monde. Et les gens étaient vraiment hallucinés parce qu’ils voyaient des origines un peu partout. Je pense qu’on a tous la même origine. C’est juste à différents degrés et qu’on veuille le voir ou non, je pense que c’est notre plus grande richesse. Si on comprend qu’on se ressemble au départ, on s’aime mieux. (Rires).
Est-ce facile d’être artiste au royaume chérifien ?
C’est un honneur d’être une artiste au royaume chérifien. D’ailleurs vous le dites comme ça, mais Sa Majesté (Ndlr, le roi Mohammed VI) m’a décorée l’année dernière et j’ai été très touchée par son geste. Il m’a d’ailleurs dit qu’il est très fier de moi, du fait que je représente le Maroc dans son africanité et d’une façon subtile et gracieuse. Donc, je suis honorée d’être une sorte d’ambassadrice musicale de mon pays avec une marque africaine que les gens voient. J’adore cette idée. Ce n’est pas difficile d’être une artiste chez nous au Maroc. C’est difficile d’être un artiste tout court. Ce n’est pas non plus lié au sexe. Je ne pense pas. Moi je n’ai jamais eu de difficultés, j’ai grandi dans une famille avec des parents fonctionnaires mais qui m’ont inculquée tellement de bonnes valeurs. Pas des valeurs matérielles, ce n’est pas un héritage qui se compte en maison et en terrain ici et là. Mais avec des idées et des principes et un amour de la liberté, de la responsabilité. Donc je n’ai jamais rencontré de problème à ce niveau-là. Non ! Mes parents ne disaient pas : tu ne peux pas chanter ou tu ne devrais pas chanter. En revanche, c’est au cours de mes six années d’études dans une école d’architecture, que l’idée commençait à me traverser l’esprit de faire de la musique mon métier.
Vous êtes passée d’une école d’architecture à la musique ?
Eh oui ! Et depuis ce moment-là, mes amis, ma famille jamais personne ne m’a dit, ne fais pas la musique. Ils me disaient «bon tu fais ce que tu veux mais nous on ne sait pas si c’est le meilleur choix…» C’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas de référence qu’on pouvait voir quelqu’un qui a du succès, ça n’existait pas, ça existait mais dans d’autres registres musicaux. La musique traditionnelle un peu nationale à laquelle moi je m’identifiais, il n’y avait pas forcément cela, en ce moment-là. J’écoutais donc du gospel, je n’étais même pas dans la musique traditionnelle. Mais par contre mes parents me disaient: «tu fais ce que tu veux mais tu assumes ton choix». Et après dans la rue sur les chaînes, j’ai été très bien reçue, bien accueillie, surtout par la communauté des artistes qui est essentiellement masculine. Il faut le dire : au Maroc nous ne sommes pas très nombreuses à faire de la musique urbaine, contemporaine…Moi avec mon public, dans mon pays, il y a des familles, des mamans, des femmes voilées, des enfants qui chantent tous mes morceaux, pourtant je parle de tradition, d’érotisme, de spiritualité. Et j’aime bien le fait de pouvoir toucher un peu tout le monde. Cela veut dire que je porte quelque chose de chacun d’eux de la même manière qu’eux aussi.
Vous vous sentez en phase avec vos mélomanes…
Voilà ! On a des choses en commun. Et moi, j’aime bien savoir qu’il y a une dame dans le public qui pense que je pourrais être sa fille, une autre qui pense que je pourrais être sa sœur, c’est important parce que après tout la musique facilite la communication et l’évolution aussi de la pensée. Quand ça passe par le plaisir et que c’est fait de façon sereine, les gens vous acceptent ensuite vous pouvez tenir un discours et ces gens l’assimilent, l‘acceptent ou non…
Vous êtes artiste, femme, mère. Est-ce c’est facile de cumuler tout ça ?
Ce n’est pas facile et je le ressens aujourd‘hui plus qu’avant parce qu’aujourd’hui, depuis la sortie de cet album Zahrabi, on tourne beaucoup et c’est vrai que j’ai un rythme assez effréné et ce n’est pas évident.
Ça impacte forcément la vie de famille
Forcément. Même si, on est tous d’accord dans ma famille, mon mari, mon enfant, que c’est mon métier… Je pars, je travaille et je reviens… J’ai trouvé ça très équilibrant au contraire, de vraiment pouvoir partir m’épanouir dans la musique, rencontrer des gens voir des pays, écouter d’autres cultures. Je rentre chez moi, vraiment enrichie et ça m’aide à être bien chez moi. Et quand je passe quelques jours à la maison, je me concentre sur moi-même et les miens, avant de repartir vraiment en forme pour les concerts. Je veux bien passer l’été durant la période des vacances de mon garçon, mais un album doit vivre et quand on le sort on sait que le mieux qui puisse lui arriver c’est qu’il tourne le plus possible. Donc je ne vais pas me plaindre. Je suis très heureuse. C’est difficile mais j’ai bien de la chance de pouvoir faire cela, le faire librement et de pouvoir voyager avec ma musique.
Quel rapport avez-vous avec cet instrument que vous êtes seule pratiquement à savoir manipuler ?
C’est encore un lien avec l’Afrique. La musique, c’est l’expression et au Maroc de plus il y a des référentiels à l’Afrique parce que la musique nous vient de gens qui sont venus d’Afrique de l’Ouest, du Sud du Sahara, du Soudan notamment du Ghana et qui étaient des esclaves, fils d’esclaves et qui ont amené cette culture qui est fascinante. Une culture qui mêle quelque chose de tribal, de spirituel et paradoxalement d’assez libre. C’est un instrument qui se joue d’une certaine façon… La première leçon est de toujours tenir les crételles de sorte que vos poignets soient très proches l’un de l’autre parce que au départ ces gens-là (Ndlr, les esclaves) avaient les mains liées et les pieds aussi, et ils faisaient de la musique avec des morceaux de fer. C’était comme ça….
«Porter l’Afrique dans son cœur et ne pas la connaître assez est une lacune»
Oum, connaît-elle un peu la musique qui vient du Sénégal ?
Il me tarde vraiment d‘aller au Sénégal. Je ne connais pas vraiment la musique du Sénégal, mais j’ai de vieux disques de musique traditionnelle sénégalaise et malienne. Je ne connais pas la musique contemporaine du Sénégal mais je sais d’un côté que ça se passe bien. Il y a vraiment une effervescence musicale. Actuellement il paraît qu’il y a une belle mouvance culturelle et artistique aussi bien dans la mode que dans la musique. J’ai aussi des amis qui font du design de mode et j’ai vraiment très envie d’aller là-bas (Ndlr au Sénégal). Je trouve que c’est dommage que je n’en sache pas beaucoup. Parce que des fois c’est très bien d’aller sur place sans rien savoir et de prendre les bonnes informations. C’est pourquoi vraiment qu’il me tarde d’aller au Sénégal. C’est quelque chose qui me fait un petit peu mal. Je n’ai pas encore suffisamment, ni visiter l’Afrique en tant que moi une personne, ni en tant que musicienne. Je pense que les pays que j’ai visités en Afrique à part le Maroc, ça doit se limiter à six. Et là, je pense que c‘est une lacune. Parce que porter l’Afrique à ce point-là dans son cœur et en être passionnée, sans la connaître à fond, c’est une lacune. Je pense qu’il faut en avoir vu un petit peu davantage, mais l’occasion n’est pas encore arrivée et il faut vraiment que j’aille marcher un petit peu en Afrique (rires).
Donc disons à bientôt au Sénégal ?
Pas dans dix ans. Non ! Je n’espère pas.
Un projet musical en cours actuellement ?
J’ai un projet. Je ne sais pas pour quand mais mon prochain projet je vais prendre un peu de temps. Il s’agit d’une trilogie de trois disques. Et qui serait en hommage à deux grandes dames de la musique Jazz mais pas que Jazz, entre la période des années 20 jusqu’aux années 50. Ce seraient trois disques que j’ai géographiquement classés comme ça : le premier en Afrique, le deuxième en Amérique Latine et le troisième en Amérique du Nord. Et avec tout le monde, Miriam Makeba, Dayna Washington, Maria Tresavera, Cuba par exemple et traduire leurs textes (…), porter aussi ce discours dans ma langue… Ces textes exprimaient quelque envie de s’émanciper à leur époque en tant que femmes. Et aujourd’hui je pense que certains de ces discours peuvent être encore d’actualité dans nos autres communautés féminines afro arabes… Ce serait aussi un hommage à ces dames-là….