Porte-parole démissionnaire de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), Mody Niang ne croit pas à la ‘’sincérité’’ du président de la République dans sa lutte contre la prévarication. Dans cet entretien, l’inspecteur de l’enseignement de l’éducation revient sur les difficultés et pressions dont faisait face la présidente sortante de l’Ofnac, Nafi Ngom Keïta. Il dit ne rien attendre du changement apporté à la tête de l’institution.
Y a-t-il une corrélation entre votre démission et la tournure des événements à l'OFNAC, notamment le départ de Nafi Ngom Keita?
Il n’y a aucun lien puisque j’ai démissionné de l’OFNAC depuis le 11 mars 2016. Aujourd’hui, la tournure des événements me donne raison, puisque nombre de mes parents et amis n’étaient pas d’accord sur cette démission. Il y en avait d’ailleurs qui étaient allés jusqu’à me traiter de fou, puisque que je tournais le dos, sans raison - à leurs yeux - à des indemnités substantielles.
Quels sont les obstacles auxquels fait face l'OFNAC dans l'exercice sa mission?
Comme je n’y suis plus, je dirais que L’OFNAC faisait face à des difficultés de plusieurs ordres. Mais tous ces obstacles, toutes ces difficultés renvoient au président de la République qui, malgré des apparences bavardes et trompeuses, manque manifestement de volonté politique dans la lutte contre la fraude, la corruption, les détournements de deniers publics etc.
Comme je l’ai précisé dans une émission ultérieure, il a mis en place l’OFNAC à pas de caméléon, moins par conviction que pour être en accord avec certaines fortes recommandations procédant notamment du Code de transparence dans la gestion des Finances publiques qui est une directive de l’UEMOA, du Protocole de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, de la Convention des Nations unies contre la Corruption (CNUCC), etc. Il existe bien d’autres conventions et protocoles qui recommandent vivement à tous les Etats de la Communauté internationale de mettre en place, dans leurs pays respectifs, des offices ou institutions de lutte contre la corruption.
C’est exactement dans ce cadre, presque contraint et forcé, que le Président Macky Sall a créé l’OFNAC qui devait être, à ses yeux, une sorte de faire-valoir, un office pour la galerie. Il s’est rendu compte, à l’arrivée, que l’OFNAC avait des pouvoirs importants que Mme la Présidente et son équipe allaient exercer pleinement. Ils ont mis ainsi en cause des hommes considérés comme des amis du Président et que tout le monde connaît désormais. L’un d’entre eux, mis sous mandat de dépôt, a été extrait de prison pour être nommé, sans état d’âme, à de hautes fonctions.
Donc, le Président de la République n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, sincère dans la mise en place de l’OFNAC. Il ne supportait finalement plus la Présidente et devait mettre fin coûte que coûte à son mandat. On le savait déjà très tôt d’ailleurs, puisqu’il a mis du temps pour mettre un budget à la disposition de l’OFNAC, après la nomination de sa Présidente. Il a d’abord donné 100 maigres millions, puis 500 millions, si mes souvenirs sont exacts. Nous étions encore en 2015. En 2016, le budget de l’OFNAC est monté à un milliard trois cents millions, contre neuf milliards six cents millions au Conseil économique, social et environnemental. Le développement que voilà, loin d’être exhaustif d’ailleurs, vous donne une idée des obstacles auxquels Mme la Présente de l’OFNAC et son équipe ont dû faire face. Pourtant, malgré tout, ils ont fait des résultats honorables.
L’OFNAC disposait-il de moyens humains et financiers pour remplir efficacement sa mission?
J’ai déjà répondu à une partie de la question. Pour l’autre, des ressources humaines de qualité existent à l’OFNAC. Mises dans de meilleures conditions, elles auraient certainement atteint des résultats plus consistants encore. Ce que beaucoup de nos compatriotes ne savent pas, c’est que l’OFNAC compte parmi ses membres et ses autres agents des inspecteurs généraux d’Etat, des colonels de gendarmerie, des commissaires de police divisionnaires, des colonels de douane, des inspecteurs du Trésor, des magistrats, de grands auditeurs, etc.
Je profite de cette opportunité pour lever un amalgame malhonnêtement entretenu. Quand une plainte ou une dénonciation arrive à l’OFNAC, elle est enregistrée et déposée auprès de la Présidente qui, après lecture, la transmet, avec des recommandations ou instructions, s’il y a lieu, au Comité de traitement et d’analyse des plaintes (CTAP) qui relève directement de son autorité. Le CTAP étudie le dossier, donne son avis et le retourne à la Présidente qui l’impute au Département « Enquêtes, Investigations, Audits et Vérifications », présidé par un inspecteur général d’Etat. S’il y a lieu, une enquête est déclenchée. La durée dépend notamment de la complexité du dossier. Si les investigations confirment les faits délictueux dénoncés, les enquêteurs dressent un rapport qu’ils adressent à la Présidente. Tout le dossier (comprenant des pièces justificatives, des procès-verbaux sanctionnant des auditions, etc.) est soumis par la Présidente à l’Assemblée générale de l’OFNAC qui décide ou non de la saisine du Procureur de la République.
On a entendu des gens incriminés investir les médias pour raconter des histoires. Les dossiers envoyés au Procureur de la République ne sont pas du toc. Les hommes et les femmes qui les ont élaborés ont tous blanchi sous le harnais, et ne se permettraient pas d’envoyer n’importe quoi au Procureur de la République. Des gens malhonnêtes s’accrochent toujours sur le fait que les mis en cause n’ont pas pu se défendre. C’est faux. Ils en ont eu toutes les opportunités, lors des auditions et parfois des confrontations contradictoires. L’OFNAC ne fait pas du contrôle, il mène des enquêtes. Ils parlent encore de pré-rapports qu’il ne ferait pas. Ce n’est pas dans sa mission. Les gens incriminés ont la possibilité de s’expliquer pendant les auditions, lors des enquêtes.
On reprochait aussi à la Présidente d’être sortie de sa réserve en présentant publiquement le Rapport d’activités de l’OFNAC. Pourquoi pas ? La loi lui reconnaît cette prérogative et le président de la République ayant refusé catégoriquement de la recevoir pour la présentation solennelle dudit Rapport. Tous les ans, l’IGE présente son Rapport au président de la République et, dès le lendemain, le contenu est dans toute la presse. Il en est de même de la Cour des Comptes. La gestion catastrophique de La Société nationale de l’Office des Habitations à Loyer modéré et de la Caisse de Dépôt et de Consignation n’était-elle pas étalée sur la place publique ? Le Président de la Cour des Comptes n’avait-il pas répondu à des questions de journalistes ? Pourtant, personne ne l’a attaqué et personne ne devrait l’attaquer.
La déclaration de patrimoine a-t-elle porté un coup de frein à l'OFNAC et contribué à détériorer les relations entre Nafi Ngom Keita et l'Exécutif ?
Oui, cette déclaration de patrimoine a donné lieu à une véritable levée de boucliers et contribué à détériorer notablement les relations entre l’OFNAC et nos compatriotes qui étaient assujettis, conformément à la loi. En vérité, la plupart avaient peur de faire leur déclaration de patrimoine craignant de laisser apparaître l’ampleur de leur gros patrimoine et d’attirer l’attention de la CREI. Or, les deux affaires ne sont pas liées. Nombre d’entre eux voulaient se contenter du minimum en révélant le nombre de titres fonciers (bâtis ou non bâtis) et leurs comptes bancaires sans appuyer leurs déclarations de documents justificatifs : titres fonciers, numéros comptes bancaires et leurs avoirs, etc. Ce n’est pas une déclaration de patrimoine ça, et ce n’est pas conforme à la Loi portant Déclaration de Patrimoine. Or, la Présidente tenait à appliquer toutes les dispositions de la Loi, et non pas seulement 40%, comme on le lui conseillait indécemment.
Nos compatriotes qui avaient peur de révéler leur lourd patrimoine lui en ont alors voulu à tort. L’un d’entre eux est allé jusqu’à l’appeler bien au-delà de minuit pour lui tenir des propos inconvenants pour un homme de son rang. Des propos qui avaient même l’allure de menace. La Présidente a réagi à juste titre le lendemain et il n’en fallut pas plus pour qu’on lui tombât encore dessus et lui reprochât d’être sortie de son « devoir de réserve ». Quant à celui qui l’a réveillée à une heure aussi tardive et prononcé à son endroit les propos peu amènes, il a continué à dormir tranquillement et n’a essuyé, le lendemai aucune critique. Je rappelle enfin à mes compatriotes, qu’en France, tous les assujettis font la déclaration de tout leur patrimoine, jusqu’au dernier centime. Leurs compatriotes peuvent les consulter à tout moment au site de l’Elysée ou de l’Hôtel de Matignon.
Donc Mme Keita subissait des pressions…
Bien sûr qu’elle en subissait, de très fortes d’ailleurs, puisqu’il arrivait que des rapports de l’OFNAC mettent en cause des amis du président de la République ou qui sont considérés comme tels. C’est notamment le cas pour celui qu’on a extrait de prison pour le bombarder Président de Conseil d’administration d’une structure extrêmement importante. C’est aussi celui du Directeur général du COUD qui s’est permis de traiter de tous les noms d’oiseau la Présidente de l’OFNAC et ses auditeurs. Sans frais. Il est d’ailleurs de plus en plus question qu’il va être nommé ministre dans un prochain remaniement. Alors que… Attendons toujours de voir !
Quels correctifs le gouvernement doit-il apporter pour que l'institution réponde aux attentes de sa mission ou bien avez-vous des craintes par rapport à la lutte contre la corruption et la prévarication?
Il ne s’agit pas de correctifs, il s’agit de volonté politique, de sincérité. Je n’ai pas le sentiment que l’homme qui nous dirige soit animé par ce sentiment. Autant il bénit la détestable transhumance, autant il bénit la corruption, puisqu’il protège ses amis dont la gestion de nos maigres deniers serait loin d’être catholique. Il bénit la mauvaise gestion puisqu’il ne sanctionne pas négativement. Il ne peut pas, il ne veut pas d’ailleurs, puisqu’il met le coude sur les dossiers compromettants.
Je crains fort que la corruption, la prévarication, la fraude, les détournements de deniers publics n’aient encore de beaux jours devant eux. Rien, dans le comportement de nos gouvernants actuels, n’indique le contraire. S’y ajoute qu’on nous menace maintenant tous les jours pour nous faire peur et nous faire taire, et nous gouverner alors comme Sassou Nguesso gouverne les Congolais. N’avons-nous pas entendu notre Président bien aimé « rendre hommage à la maturité démocratique des Congolais » ? Il était alors invité à l’installation officielle de son homologue qui venait d’être réélu pour la énième fois, dans les conditions que l’on sait. L’envie le caresse-t-il de rester au pouvoir autant que son ami de Brazzaville ?
L’affirmation selon laquelle la Présidente Nafy Ngom Keïta aurait été « coulée par les renseignements généraux » m’a fait tiquer. Qu’aurait-elle fait d’aussi grave pour attirer à ce point l’attention des Renseignements généraux ? Je doute sérieusement de cette source. Si elle a été coulée, elle ne l’a été, il n’y a aucun doute à cela, que par celui qui a le pouvoir de nomination et qui n’appréciait manifestement pas que, dans l’accomplissement de sa mission, elle mette en cause la gestion de ses amis et envoie, pour certains d’entre eux, les dossiers au Procureur de la République. Voilà fondamentalement ce qui lui était reproché et explique son départ de l’OFNAC : les Renseignements généraux n’y seraient pour rien du tout : ils ont normalement d’autres chats à fouetter.
Est-ce qu’il ne faudrait pas accorder la bonne foi au Chef de l’Etat qui vient de nommer une magistrate réputée être ‘’une traqueuse’’ de délinquants à col blanc ?
Je ne me permettrais pas de donner, d’ores et déjà, une appréciation sur la nouvelle Présidente. Je ne connais d’elle que ce que la presse en a dit ces derniers temps. Evidemment, je me rappelle qu’elle a eu à occuper des fonctions importantes et à juger des dossiers sensibles. Avec le temps, on verra ce qu’elle fera de sa nouvelle mission.
Pour ce qui est de la bonne foi qu’il faudrait accorder au président de la République, j’attends également de voir. Cependant, pour être franc, je n’attends pas grand-chose de lui en matière de bonne gouvernance principalement, quand il s’agit de lutter contre la corruption, la fraude, les détournements de deniers publics etc. L’impression qu’il me laisse, c’est plutôt qu’il encourage, entretient ces fléaux qui obèrent nos maigres ressources.