‘’Un fonctionnaire a-t-il le droit de faire de la politique ?‘’ Telle que posée par le journaliste de Rfm, dans un dossier diffusé le 27 juillet 2016, la question n’est pas loin de celles dites ‘’inductives’’ ; inductives parce que ‘’incitant’’ l’interviewé(e) à répondre dans un sens souhaité ou suggéré par le journaliste. C’est pourquoi d’ailleurs ce type de questions est de celles qu’on déconseille à un journaliste de poser.
Le fonctionnaire a-t-il le droit de faire de la politique ? L’interrogation renvoyait à Ousmane Sonko, inspecteur des Impôts et Domaines et leader de parti politique, salué partout (ou presque) pour son courage citoyen. Il n’est pas exagéré de le surnommer le Snowden sénégalais (du nom d’Edward Snowden, cet ancien agent de l’espionnage américain qui a dévoilé sur un site internet des courriers diplomatiques confidentiels échangés entre la diplomatie américaine et ses homologues du monde entier).
Bien sûr qu’un fonctionnaire a le droit de faire de la politique, c’est une vérité de Lapalisse, un truisme. A notre avis, la question devait être ou aurait dû ou pu être : ‘’Un fonctionnaire faisant de la politique a-t-il le droit (le peut-il moralement) d’utiliser les informations qu’il détient de par ses fonctions à des fins politiques, au profit exclusif du parti qu’il a créé et dirige ou pour se peaufiner une image de justicier ?’’ . Voilà, il me semble, la question.
Si tant est qu’il était soucieux d’un objectif citoyen plutôt que de son héroïsme personnel, l’inspecteur Ousmane Sonko aurait pu communiquer ses informations à un ou à des journalistes et rester dans l’anonymat, peut-être frustrante, mais capable de porter des résultats aussi efficaces que si l’informateur avait agi à visage découvert… L’identité de Gorge profonde, Mark Felt, le fonctionnaire américain par qui a éclaté le scandale du Watergate ayant entraîné à la démission du président d’alors des Etats-Unis, Richard Nixon, n’a été connue que trente-trois ans après l’éclatement de l’affaire en 1972 ! ‘’Les seules personnes connaissant l'identité du whistleblower sont les deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, et leur rédacteur en chef de l'époque, Benjamin Bradlee. La véritable identité de Gorge profonde est finalement révélée par le magazine américain Vanity Fair du 31 mai 2005’’, écrit l’encyclopédie en-ligne www.wikipedia.org.
Mark Felt, ainsi qu’il l’avouera plus tard, avait agi par aversion (dépit de ne pas avoir été nommé à la tête du Fbi) pour le pouvoir de Nixon, et Sonko est à son image vis-à-vis du régime de l’Alliance pour la République (Apr). Mais la différence entre les deux est que l’Américain a su faire confiance à des journalistes alors que le Sénégalais s’est lui-même mis en avant, à découvert, obtenant notoriété pour lui et son parti. Faire le buzz n’a pas été la préoccupation de Gorge profonde.
Un journaliste à qui Sonko se serait confié aurait vérifié, recoupé et donc livré à son public une information équilibrée parce que ne représentant qu’un seul son de cloche. En effet, certaines informations de Sonko ont été contestées. Le recours à un journaliste aurait évité cela.
Qui ne se rappelle encore l’excellent et teigneux travail d’investigation que fit, dans les années 90, le journaliste Ousseynou Guèye, actuel conseiller en communication de la Stratégie de croissance accélérée (Sca), dans le journal Wal Fadjri en révélant l’énorme scandale des « ‘’gros débiteurs’’ qui contribuèrent à mettre à genoux des banques nationales comme Usb, Bnds ? Ousseynou Guèye avait été orienté et informé par des sources qui ont fait le sacrifice de ne jamais apparaître à la une ni même être citées ne serait-ce qu’en allusion. Que Sonko ne pouvait-il faire pareil ? Le journaliste a une éthique et une déontologie à l’égard de ses sources à qui il doit protection (même face au risque d’aller en prison) quand le juge le prévient que refuser de balancer ses sources est un entêtement éthique et déontologique qui peut valoir la prison au journaliste. Madiambal Diagne, alors directeur de publication du journal le Quotidien, est bien placé pour le savoir lui qui, en 2003, a été jeté au cachot pour exactement la raison d’avoir refusé, avec conviction et courage, de dire au juge quelles étaient ses sources.
C’est pour toutes ces raisons que, en tant que journaliste, je refuse de joindre ma voix au chœur des applaudisseurs et zélateurs de Sonko. A mon avis, ce dernier a eu tort ; et d’autres avant lui. Bien des fonctionnaires ont fait et font encore de la politique, sans jamais mettre sur la place publique des informations qu’ils détiennent par leurs fonctions. Avant d’applaudir Sonko, posons-nous la question de savoir ce que serait le pays et son Etat si, par exemple, des militaires du renseignement mettaient sur la place publique des informations sur la guerre en Casamance ou ailleurs. Et que dire encore de ce régisseur qui s’est cru inspiré et héroïque en ouvrant une page sur le réseau social Facebook pour raconter par le menu le séjour carcéral de Karim Wade.
En avoir contre un pouvoir politique ne doit pas conduire à défendre l’indéfendable (qui ne peut et ne doit être défendu). Ancien fonctionnaire national puis international, aujourd’hui opposant politique, Moussa Touré ‘’qui se fie à des sources relativement fiables (sic)’’ s’est mis, flamberge au vent, à défendre Sonko. Il a été tour à tour officier des douanes, ministre délégué au Budget, ministre des Finances et il y a fort à parier qu’il n’aurait jamais accepté qu’un inspecteur des douanes de l’époque de son passage au ministère se mît à faire des ‘’déballages à la Sonko’’. Il est vrai que le leader du parti Pastef a fait un important travail citoyen, de lanceur d’alerte, mais avait-il besoin de s’exposer de la sorte ? Sans doute que s’il avait filé ses informations à un journaliste, la suspicion n’aurait pas entaché l’ébruitement politicien des affaires qui l’ont fait connaître du public et rendu célèbre. L’intérêt national ne devrait-il pas primer sur le buzz et la notoriété d’un Ousmane Sonko ? Question. Bien sûr que je serais suspect de prêcher pour la chapelle de la presse… Tant mieux ! Ou tant pis !
Post-scriptum : Entre un Cheikhna Keïta et un Cheikhna Keïta, tous deux cousins germains, l’un officier de police à la retraite et l’autre ancien commissaire de police, tous deux très médiatiques, quel est celui qui prit part à une manifestation d’anciens policiers et interpellés par la police ? Des journaux ont pris la photo de l’un sans publier celle de l’autre.