La Chambre criminelle d’appel de Dakar a mis fin hier à l’incarcération des deux jeunes de Colobane condamnés à 20 ans de travaux forcés pour le meurtre du policier Fodé Ndiaye. Cheikh Sidaty Mané dit Gatuso et Cheikh Diop dit Chris ont été acquittés, après quatre années d’incarcération.
‘’Je demande à la justice de me rendre ma liberté, car je suis étranger aux faits qu’on me reproche’’ ; ‘’Je veux rentrer chez moi car je suis innocent.’’ Hier, Cheikh Sidaty Mané alias Gatuso et Cheikh Diop dit Chris, les deux jeunes de Colobane déclarés coupables de la mort du policier Fodé Ndiaye se sont exprimés ainsi à la fin des plaidoiries de leurs avocats. Et la Chambre criminelle d’appel de Dakar a exaucé leurs vœux en les acquittant. Contrairement aux juges de la défunte Cour d’assises, ceux d’appel sont habités par le doute. ‘’Votre présence sur les lieux du crime est un indice, mais pas une preuve’’, a lancé le juge Mamady Diané aux accusés qui ont passé quatre années en prison, car accusés d’être responsables de la mort du jeune auxiliaire de police tué à coup de briques, le 27 janvier 2012, lors de la répression des manifestations de protestation contre la validation de la candidature de Me Wade à la Présidentielle de 2012.
Leur libération a été accueillie par les pleurs et les cris de joie de leurs parents et proches qui ne se sont pas privés d’applaudir les juges et de porter en triomphe les avocats. Contrairement à Chris, Gatuso est resté inconsolable. Il faut dire que si le parquet général avait été suivi dans son réquisitoire, Gatuso et Chris allaient rester encore en prison. L’avocat général Cheikh Diakhoumpa avait requis 10 ans ferme, car il estime que Gatuso et Chris méritent certes de ‘’larges circonstances atténuantes’’, mais leur responsabilité pénale ne souffre d’aucun doute.
Même si tout au long de l’interrogatoire d’audience, les accusés appelants n’ont cessé de clamer leur innocence. Cheikh Sidaty Mané a certes reconnu qu’il n’était pas d’accord avec la candidature de Me Wade, vu que ce dernier avait emprisonné son leader Modibo Diop, mais il n’a pas participé aux manifestations. ‘’Je regardais les manifestations à partir de notre terrasse. Je ne suis sorti que bien après les évènements. Soit aux environs de 2 heures du matin pour acheter du thé’’, s’est défendu Gatuso. Dans ses explications, le mécanicien, né en 1984, a soutenu que les policiers l’ont cueilli chez lui deux jours après les faits. A la police, on lui a montré une vidéo dans laquelle il a identifié les nommés Cheikh Cissé, Boubacar Diallo, Téranga Keïta et Matar Diaw. Aux enquêteurs, il avait aussi dit que le nommé Antou lui avait narré les faits le lendemain, en lui disant que Vieux Camara, Mamadou Keïta, Cheikh Cissé, Matar Niang et Ousmane Thiombane avaient participé à la manifestation. Que ce dernier avait arraché la porte de la maison où les policiers s’étaient réfugiés.
Hier, à la barre, Gatuso a aussi déclaré que la personne vêtue d’un maillot vert, qu’il a identifiée, est un autre Cheikh Diop, différent de son coaccusé et qui aurait déménagé. Ce qui a fait dire à l’accusé Cheikh Diop qu’il a été arrêté à cause d’une confusion sur sa personne. Il a laissé entendre qu’au moment des manifestations, il était au Terrou-bi et n’est rentré qu’à 19 heures. Selon ses dires, à son retour, il n’est pas ressorti sur les conseils de son épouse. Mais, contre toute attente, les policiers l’ont arrêté le lendemain. Cheikh Diop a également réfuté avoir été identifié sur la vidéo par sa femme qui aurait déclaré que lui aussi tentait de dissuader les bourreaux de Fodé Ndiaye de jeter des pierres.
Devant leurs dénégations, les accusés ont été confrontés aux déclarations du témoin principal Arame Sow faites à la police, mais absente hier. Elle avait dit à la police, à l’instruction et lors du procès, que les accusés étaient présents sur les lieux du crime. Elle avait même décrit l’accoutrement de Gattuso, tout en précisant que celui-ci avait certes un gourdin, mais n’avait pas participé à la lapidation. ‘’Je ne peux rien dire par rapport aux allégations d’Arame Sow habituée à accuser injustement les personnes. D’ailleurs, elle l’a même fait à son propre frère qui est allé en prison par sa faute’’, a rétorqué l’accusé.
Quand les témoins se perdent
Ensuite, les trois personnes entendues hier, à titre de renseignement, ont cherché à tirer d’affaire les accusés, mais avec beaucoup d’incohérence et de contradiction. C’est le cas de Ndèye Sène, l’épouse de Cheikh Diop, qui contrairement à son époux, a soutenu que celui-ci est rentré tardivement cette nuit-là. La peur au ventre, la voix à peine audible, elle s’est illustrée par des tergiversations au point que le président Diané a menacé, à plusieurs reprises, de mettre fin à son interrogatoire. Babacar Fall a également tenu des propos qui laissent perplexe, en déclarant qu’au moment des évènements, aucun locataire, y compris Gattuso, n’est sorti de la maison, car il l’avait fermée depuis 19 heures. ‘’Vous êtes un drôle de bailleur’’, lui a lancé le président. En revanche, le témoin Cheikh Cissé, qui avait été acquitté par la Cour d’assises, est largement revenu sur les tortures dont lui et ses ex-codétenus ont fait l’objet pour les pousser à avouer. ‘’Nous avons été torturés de 22h à l’aube, alors que nous sommes toujours victimes des manifestations en tant qu’habitants. Même à la prison, les gardes nous torturaient sous le prétexte que nous avions tué un policier’’, a-t-il narré.
Ainsi, au cours de ses plaidoiries, la défense est longuement revenue sur les tortures. ‘’Qu’est-ce qu’on peut faire d’un PV issu d’actes de tortures?’’ s’est interrogé Me Baba Diop dont la plaidoirie a été suivie d’une salve d’applaudissements, puisqu’il a porté la voix des populations de Colobane qui subissent les manifestions. ‘’Il faut rendre justice au défunt Fodé Ndiaye, mais aussi à ceux qui sont accusés’’, a renchéri Me Aliou Sow. De l’avis de Me Mbaye Jacques Ndiaye, il y a un problème de preuve et d’imputabilité des faits. ‘’Personne n’a la certitude que la vidéo est authentique, qu’elle concerne les faits incriminés. Elle doit être écartée des débats’’, a asséné la robe noire. Me Demba Ciré Bathily a abondé dans le même sens pour dénoncer un dossier monté de toutes pièces. Me Ramatoulaye Bâ Bathily est, elle, revenue sur les tortures subies par leurs clients. ‘’C’est une patate chaude dont personne ne veut. Les auteurs des tortures devaient comparaître’’, a-t-elle martelé.
‘’Voici ceux qui ont tué votre camarade : vengez-vous’’
D’ailleurs, c’est à cause de ces tortures que, dès l’entame du procès, la défense a soulevé des exceptions de nullité. A ce propos, Me Mbaye Jacques Ndiaye a dénoncé une violation des droits de la défense, en relevant que tous les inculpés souffraient des mêmes blessures, au même moment. ‘’Ils ont été atteints dans leur intégrité physique par des objets que seule la police détient’’, a fulminé la robe, tout en indiquant que Cheikh Diop a une cicatrice de 2 cm au niveau de l’appareil génital. Quant à Gattuso, il a, selon Me Ramatoulaye Bâ Bathily, trois entailles sur le sexe sans compter les autres sévices. ‘’Ils ont été conduits à l’Ecole de police où on a dit aux GMI : ‘’Voici ceux qui ont tué votre camarade : vengez-vous’’.
D’après Mes Demba Ciré Bathily et Baba Diop, les accusés ont été tellement torturés qu’au moment de leur inculpation, ils ne pouvaient pas tenir sur leurs deux jambes. Au regard de ces sévices, ils voulaient que la procédure soit annulée car les aveux étant extorqués. La défense avait également demandé que la constitution de partie civile de l’Etat du Sénégal soit déclarée irrecevable. ‘’On ne change pas les règles en plein jeu, comme pour éviter le combat final’’, avait répliqué l’Agent judiciaire de l’Etat, en laissant entendre que l’Etat a sa place dans cette affaire, puisque le policier était en service commandé. Toutefois, il a reconnu qu’il y a eu torture, mais aussi un policier mort. Le parquet a abondé dans le même sens, en invitant la Cour à se référer à la jurisprudence, puisque, même s’il y a tortures, la loi n’a rien prévu dans ce sens.
REACTIONS
ME BABA DIOP, AVOCAT DES JEUNES
‘’Le droit a été dit par des juges courageux’’
‘’Nous sommes très satisfaits de cette décision qui consacre quatre années de combat avec la population de Colobane. Maintenant que les jeunes sont acquittés, nous pouvons dire que c’est une décision satisfaisante, parce que la Chambre criminelle d’appel nous a finalement donné raison. Surtout par rapport au doute sérieux qui subsistait dans ce dossier que les policiers ont biaisé, depuis le début, jusqu’à même pousser le juge instructeur à l’erreur. Mais le juge a compris qu’il y avait des doutes et il l’a rappelé aux accusés, en rendant sa décision.
Il leur a dit : « Nous vous acquittons seulement parce que nous n’avons pas la preuve formelle de votre culpabilité. Ce n’est pas simplement le fait que vous soyez sur les lieux du crime qui vous rend coupables de ce meurtre ». Cela nous conforte, car nous l’avons plaidé, en disant que tout ce qu’il y avait comme charge dans ce dossier, est simplement lié à leur présence. Cela n’est qu’un indice. Le droit a été dit et bien dit par des juges qui ont eu le courage et qui ont pris leurs responsabilités de le rendre au nom du peuple. Ils ont osé dire le droit, malgré toute la pesanteur autour de ce dossier et nous avions espoir.
ASSANE BOCOUM, COORDONNATEUR COLLECTIF DES JEUNES DE COLOBANE
‘’La vérité a montré que les Colobanois ne sont pas criminels’’
‘’Nous avons un sentiment de fierté pour la justice sénégalaise. La population est consciente que nous avons une justice juste et équitable et pour les pauvres. Nous avons une justice qui sait réorganiser et reprendre et prendre ses responsabilités face à des situations données. Aujourd’hui, la vérité a jailli et a montré que la population colobanoise n’est pas criminelle. Ce verdit conforte à suffisance l’innocence qu’on avait accordée à ces jeunes. Et nous nous attendions à cette décision. Nous prions pour que cette affaire marque un tournant pour la justice.’’
KILIFEU DE Y’EN A MARRE
‘’La justice a entendu notre cri’’
‘’Tout d’abord, nous rendons grâce à Dieu, car Seules Sa Puissance et Sa Force sont au-dessus de tout. C’est dire que c’est tout ce que nous attendions de notre justice que nous remercions cette fois-ci, car elle a entendu notre cri. Donc, nous remercions et encourageons la justice à continuer à défendre les faibles. Merci à tous les Sénégalais et tous les internautes qui soutenaient de près ou de loin ce combat.’’