Près d’un mois après la décision de l’Etat d’initier la campagne de retrait des enfants de la rue, le phénomène persiste toujours en banlieue dakaroise. Les plans annoncés par les services du ministère de la Famille tardent encore à porter ses fruits, dans certaines zones périphériques de Dakar. Même si les enfants mendiants se font maintenant de plus en plus rares dans le centre urbain de la capitale.
Au jour du 22 juillet dernier, l’Etat avait retiré de la rue 377 mendiants. Parmi eux, des centaines d’enfants dont des talibés. Mais si depuis le début de la campagne de lutte contre la mendicité des mineurs, le phénomène a reculé au centre urbain de Dakar, dans la banlieue, la réalité est tout autre. Une enquête réalisée à Pikine et Guédiawaye a permis de constater que les tout-petits ‘’pullulent’’ toujours dans les zones périphériques de la capitale, malgré la détermination et les efforts du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance à travers la Direction des droits de la protection de l’Enfant et des groupes vulnérables (DDPEGV).
Carrefour Icotaf. Comme d’habitude, les lieux sont très animés dans les premières heures de la journée. Automobilistes, rabatteurs de clients, piétons, marchands ambulants etc. se disputent les différentes artères qui forment la célèbre intersection de Pikine. Au cœur de ce méli-mélo, des enfants talibés, habillés en haillons et sébiles en main, errent dans toutes les directions pour demander de l’aumône aux passants. Par petits groupes de deux, de trois ou parfois plus, les mômes se faufilent entre les véhicules (‘’cars rapides’’ et ‘’clandos’’), garés sur le bas-côté des rues, à la recherche d’une hypothétique donation. De temps en temps, les gamins entrent et ressortent des minibus en partance pour la ville, stationnés le long de la route.
‘’Je viens de la Guinée-Bissau’’
‘’Depuis 6 heures, je suis dans la rue pour ma quête journalière. Je dois verser chaque jour 500 francs CFA à mon maître coranique. J’étudie au ‘’daara Gouy-Gui’’ (école coranique) qui se trouve à Guédiawaye’’, révèle, en échange d’une pièce de monnaie, un talibé âgé d’environ 8 ans. Ce jeune originaire de la région de Kolda dit être au courant de la campagne de retrait de la rue des enfants, mais confie ne pas avoir le choix. Parce qu’il est forcé par son maître.
A quelques mètres de là, devant l’entrée d’une boutique, un autre gamin patauge pieds nus dans la boue noirâtre causée par les précipitations de la veille. Sans se soucier des dangers, l’enfant tend son pot aux passagers qui descendent des ‘’clandos’’ ralliant Guédiawaye et Pikine. Dans son récipient rouge, on pouvait apercevoir quelques grammes de riz brisé surmontés de sachets de biscuits et d’une bougie qui déborde à l’extérieur. ‘’J’ai fait un an dans le daara. C’est mon père qui m’a emmené ici (Sénégal), après, il est rentré en Guinée-Bissau’’, livre timidement en peul Demba Sadio, âgé d’environ 7 ans.
‘’Pas de renseignements sur notre ‘daara’’’
A l’image de ces deux adolescents, de nombreux autres jeunes sont aussi astreints à participer à la dépense quotidienne. Aux stations de services Tally Boumack, le constat est le même : des enfants talibés qui demandent la charité aux piétons. De part et d’autre, des enfants font des va-et-vient pour tendre leurs sébiles aux personnes. Chacun avec sa méthode pour attirer l’attention des généreux donateurs. Si certains choisissent de faire du bruit avec les pièces de monnaie empilées dans leurs mains, d’autres préfèrent scander : ‘’Sarax ngir Yàllà !’’ ‘’Fi sabi lilahi !’’ (De l’aumône pour l’Amour de Dieu !).
Chaque aumône reçue est accompagnée par des prières du jeune homme en wolof ou en arabe. ‘’Notre maître coranique nous a interdit de donner des renseignements sur notre ‘’daara et sur notre famille’’, fait savoir, la tête baissée, A Coly. Malgré notre insistance, l’enfant âgé de 10 ans à peine refuse de répondre à nos questions. Même pas contre la troque d’une pièce de monnaie.
Terminus de Guédiawaye, zone prisée par les talibés
A Guédiawaye aussi, la campagne de retrait des enfants de la rue peine à porter ses fruits. Dans ce département abritant une bonne partie des ‘’daara’’ de la banlieue, les enfants prennent également d’assaut les artères des différentes communes de cette agglomération avant même le lever du soleil. On les rencontre presque à chaque coin de la rue. L’un de leurs endroits privilégiés est le terminus de Guédiawaye. Chaque jour, aux heures de départ ou de la rentrée, ils sont nombreux à investir les lieux dans l’espoir d’amasser le maximum d’aumônes. ‘’Nous nous levons à 4h du matin. Après deux heures de lecture du Coran, nous prenons nos pots pour mendier jusqu’à 10 heures. Après le déjeuner, nous repartons dans les rues dans l’après-midi’’, explique S. Ndiaye, talibé au ‘’daara’’ Djily Mbaye.
Plus de trois semaines après son lancement par le gouvernement, l’opération de retrait des enfants de la rue peine toujours à devenir une réalité dans la banlieue de Dakar.