Après plus de 2 heures de débats et de plaidoiries, les 7 handicapés arrêtés vendredi dernier sont sortis hier libres du tribunal. Sokhna Kébé et Mamadou Sy ont été renvoyés des fins de la poursuite. Khoudia Lèye, Awa Seck, Awa Fall, Coura Ndiaye et Amy Guèye ont, elles, été relaxées au bénéfice du doute.
Vendredi dernier, 7 mendiants dont 6 femmes ont été appréhendés par les éléments de la brigade de recherche du commissariat central de Dakar pour les délits de mendicité sur la voie publique. Il s’agit de Khoudia Lèye (30 ans), Sokhna Kébé (45 ans), Awa Seck (30 ans), Awa Fall (34 ans), Coura Ndiaye (30 ans), Amy Guèye (30 ans) et Mamadou Sy (60 ans). Tout ce beau monde a comparu hier devant le tribunal d’instance.
Toutes les dames, en dehors de Sokhna Kébé, ont été arrêtées après la traditionnelle prière de vendredi, à quelques jets de l’hôtel des députés. Cette dernière a confié, à la barre, avoir été arrêtée vers les coups de 11h, en ville. Mamadou Sy a pour sa part déclaré qu’il a été cravaté par les limiers, à la même heure, alors qu’il se rendait au chevet de sa femme alitée et hospitalisée à l’hôpital Aristide Le Dantec. Les dames arrêtées près de l’hôtel des députés ont reconnu être des mendiantes. Mais au moment de leur arrestation, elles n’étaient pas en train de mendier, mais de se partager leurs gains du jour. ‘’Nous reconnaissons être des mendiantes, mais le vendredi, les policiers nous ont surprises en train de partager l’argent que nous avions mendié à la mosquée des ‘’Naar’’ située sur l’avenue Roosevelt’’, a soutenu la dame Khoudia Lèye. Une version qui a été confirmée par les autres coïnculpées.
Leur conseil a voulu savoir pourquoi elles mendient. ‘’Nous mendions car nous avons des familles à nourrir. Nos maris ne travaillent plus. On ne compte sur personne pour subvenir à nos besoins et à ceux de nos différentes familles. Voilà ce qui nous poussent à nous adonner à la mendicité’’, ont-elles répondu, comme si elles s’étaient passées le mot. Le vieux Sy de préciser, dans le foulée : ‘’On ne nous a jamais dit les places interdites de mendicité. Sinon, on n’allait jamais braver l’interdiction de l’autorité. Ils m’ont arrêté à hauteur de la cathédrale de Dakar et pourtant, je leur ai tranquillement répondu que je suis certes un mendiant, mais que j’étais en chemin pour aller voir ma femme alitée’’.
Le Procureur de la République a soutenu qu’excepté la dame Khoudia Kébé et Mamadou Sy, les autres sont coupables. Pour les deux cités, il a demandé qu’ils soient renvoyés des fins de la poursuite. Pour le reste du groupe, il a requis une peine de 10 jours assortie de sursis. Cette demande du Maître des poursuites a provoqué le courroux du public qui s’est mis à rouspéter. Provoquant l’intervention du Président du Tribunal pour que les esprits se calment.
‘’La carte d’égalité des chances, c’est l’ultime humiliation’’
A la suite du représentant du Parquet, les 9 avocats de la défense ont jugé l’article 245 du code pénal qui condamne ce délit anachronique, désuet et obsolète. De l’avis de Me Mbaye Jacques Ndiaye, il est inconcevable pour un Etat de droit de poursuivre en justice des personnes vivant avec des handicaps. ‘’Je n’ai jamais cru qu’un Etat pourrait être discriminatoire et méprisant face à des hommes vivant avec des handicaps. Je ne sais pas les raisons pour lesquelles le parquet les a mis sous mandat de dépôt. C’est une loi coloniale qui s’appliquait à l’époque sur le périmètre de la commune de Dakar-Plateau.
Elle a été faite pour empêcher les mendiants de s’approcher de cette commune’’, a déclaré avec amertume Me Ndiaye. Pour qui les mis en cause sont des nécessiteux. ‘’S’il y a quelqu’un qui a violé la loi, c’est l’Etat du Sénégal, car il a ratifié la convention internationale sur les protections des personnes vulnérables. La mendicité est l’ultime recours d’une personne digne qui ne veut pas voler, se prostituer ou vendre de la drogue. Il y a lieu aussi de préciser que depuis le régime de Senghor à nos jours, aucun gouvernement ne s’est soucié de ces personnes handicapées. Et avec la carte d’égalité des chances, c’est l’ultime humiliation’’, a pesté la robe noire. Avant de marteler que tous les Sénégalais sont des receleurs du délit dont les handicapés sont poursuivis.
‘’C’est inconcevable, inadmissible. Aucune religion n’interdit à ses croyants de donner de l’aumône. Et ces gens-là n’ont rien à voir avec les jeunes talibés qui sont exploités dans les rues par des adultes véreux’’ a conclu Me Ndiaye. A sa suite, Me Massokhna Ndiaye a soutenu que c’est l’Etat qui devrait être traîné à la barre, car il a failli à sa mission. Me Mamadou K. Diouf est lui d’avis que l’Etat n’est pas exempt de reproche, vu qu’il lui arrive d’être mendiant devant des puissances financières. Ainsi, tous les conseils de la défense ont demandé au Tribunal de libérer leurs 7 clients. Une chose qui a été faite.
Grand théâtre
Mais il faut dire que le procès a été haut en couleurs. A croire que toutes les personnes vivant avec un handicap s’étaient donné rendez-vous au Tribunal de Dakar. La salle 7 devant abriter le procès a été prise d’assaut, dès les premières heures de la matinée. Tout au long du procès, tous les propos ont été commentés. Ainsi, après que Me Mbaye Jacques Ndiaye a terminé de plaider, un individu qui a perdu ses jambes s’est levé pour crier à haute voix : ‘’Oui ! Vous avez dit vrai !’’ Il a été expulsé de la salle malgré ses explications. Lorsque le Maître des poursuites a terminé de faire ses réquisitions, on a entendu des handicapés furieux dire : ‘’Elle n’a pas de cœur. Qu’elle est sévère ! Comme si elle n’était pas une femme !’’
Mais le clou du procès a été la plaidoirie du député à l’Assemblée, Me El hadji Diouf. On se serait cru au grand théâtre. Avec la fougue qu’on lui connaît, ce sont des tonnerres d’applaudissements qui ont accueilli ses propos. Le Président, tellement surpris par cette effusion, a sorti les crocs. ‘’On n’est pas dans une salle de spectacle. Ici, c’est le Tribunal, on ne saurait tolérer certaines choses’’, a lancé le juge.
Vers la fin du procès, des avocats sont venus se constituer. Ce que beaucoup de personnes ont vu comme une tentative de politisation du procès et de recherche du buzz.
MENDICITE AU SENEGAL
Ce qu’en dit l’Article 245 du Code Pénal
‘’La mendicité est interdite. Le fait de solliciter l'aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrées par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité. (Loi n° 75-77 du 9 juillet 1975). Tout acte de mendicité est passible d'un emprisonnement de trois mois à six mois. Seront punis de la même peine ceux qui laisseront mendier les mineurs de vingt et un ans soumis à leur autorité. Tous mendiants qui auront usé de menace ou seront entrés, sans permission de l'occupant ou des personnes de sa maison, soit dans une habitation, soit dans un enclos ou dépendant; Ou qui feindront des plaies ou infirmités; Ou qui mendieront en réunion, à moins que ce ne soient le mari et la femme, le père ou la mère et leurs jeunes enfants, l'aveugle et son conducteur, seront punis d'un emprisonnement de six mois à deux ans.’’
REACTION
YATMA FALL (PRESIDENT DE LA FEDERATION SENEGALAISE DES ASSOCIATIONS DE PERSONNES HANDICAPEES)
‘’Le procès de la honte…‘’
‘’Après cette décision de relaxe prise par le Tribunal concernant les personnes handicapées qui étaient jugées pour les délits de mendicité sur la voie publique, nous avons un sentiment de satisfaction mêlée de mélancolie. Nous avons assisté aujourd’hui à un procès de la honte. Au lieu de faire le procès des personnes handicapées, on a plutôt fait celui de l’Etat. Et les responsables au niveau de l’Etat qui ont provoqué cela n’ont pas rendu service à l’Etat et au président de la République. Nous l’avons rencontré.
Nous avons discuté avec lui et nous savons toute l’ambition qu’il nourrit pour nous. Rafler des personnes handicapées, simplement parce qu’elles tendaient la main… Elles vont tendre la main, car nous vivons au Sénégal dans un système d’exclusion des personnes handicapées. Nous sommes exclus de l’école. Quand quelqu’un n’est pas allé à l’école, il n’a pas de formation, il n’a pas de métier. On ne pourra pas travailler. Quand on est de surcroît handicapé, on ne peut faire autre chose que de tendre la main. C’est l’Etat qui a été défaillant, parce que l’obligation lui incombe de garantir le bien-être, l’éducation, la santé, la formation, l’emploi de tous ses enfants y compris ceux vivant avec un handicap.’’